À la suite d’une étude sur les tableaux de voiliers du peintre marseillais Louis François Prospère Roux conservés à Sòller sur l’île de Majorque, Michel Waller s’est lancé dans l’étude de deux ex-voto présentés dans l’église de Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille, dont les doubles exactes sur trouvent sur Majorque.
Les ex-voto marins de Sóller et de Marseille
De la fin du XVIIIème jusqu’au début du XXème siècle, le trafic maritime entre Majorque, la France et les côtes de Catalogne était intense. La flotte de voiliers caboteurs espagnols, auxquels se sont joints sur le tard quelques vapeurs, assurait une part prépondérante de ces échanges. Une des activités emblématique du port de Sóller était consacrée au transport saisonnier des oranges vers les ports du littoral français.
Les liens commerciaux et humains entre les communautés majorquine et provençale étaient très forts, non seulement dans le cadre de leurs métiers respectifs mais également sur certains aspects culturels et religieux. Récemment j’ai découvert un aspect inattendu de cette identité partagée. Mais avant de vous en faire part plus précisément, commençons par quelques rappels historiques et les circonstances qui ont conduit à cette découverte.
Le port le plus fréquenté était évidemment Marseille où les patrons trouvaient toutes facilités pour s’approvisionner, acheter du matériel d’accastillage, faire réparer leur bateau. Mais surtout ils pouvaient trouver du fret pour le voyage de retour: blé, guano, tuiles, ciment, et produits manufacturés……
Ainsi l’escale à Marseille pouvait se prolonger, dans l’attente des fournisseurs, des réparations. La présence de majorquins et catalans installés dans la ville facilitait les affaires et la recherche d’un fret retour avantageux.
Sur les quais, un peintre, Louis François Prosper Roux, proposait aux patrons en escale un tableau de leur voilier. C’est ainsi que l’on retrouve ses oeuvres dans des maisons de famille de Soller. Vous pouvez lire cette histoire en cliquant sur ce lien: https://drive.google.com/file/d/0BwvS1xJ-4VGWd2Y0RVA1TElLSkE/view
La très belle revue ‘Marseille’, éditée par la Chambre de Commerce et d’Industrie de la ville, a publié un article consacré aux ex-voto marins de la basilique Notre Dame de la Garde. J’y ai découvert que notre Louis Roux avait laissé quatre oeuvres dans cette extraordinaire collection de témoignages de ferveur religieuse. J’ai pris contact avec Bernard Cousin, professeur d’histoire à l’université d’Aix-Marseille, auteur de l’article et d’une thèse sur les ex-voto de Provence. Il m’a conseillé le livre:
‘Les ex-voto marins de Notre Dame de la Garde’ Félix Reynaud Editions Thune’ dans lequel sont référencées et commentées les quatre peintures de Louis Roux.
Le trois mâts barque Maddalena Mimbelli 1880 / Signé Louis Roux 1881
Passant en revue tous les ex-voto recensés dans ce remarquable ouvrage, 135 au total, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que dans la chapelle du Santo Cristo du couvent de Sóller étaient exposés deux exemplaires strictement identiques.
Cette duplication de témoignages, à priori très surprenante, a suscité ma curiosité.
Définissons tout d’abord ce qu’est un ex-voto.
Ce terme emprunté au latin signifie littéralement: ‘ ex / à la suite..(d’un)..voto / voeu’ Définition du Larousse: tableau ou objet symbolique suspendu dans une église, un lieu vénéré, à la suite d’un vœu ou en remerciement d’une grâce obtenue.
Dans le monde des gens de mer, les marins qui rencontrent du mauvais temps, une forte tempête, font une prière, invoquent leur saint patron, ou la Vierge Marie pour les aider à surmonter le grand péril du naufrage et de la mort.
Lorsqu’ils en sortent indemnes, en rentrant au port, persuadés qu’ils sont saufs grâce à l’intervention divine, ils témoignent de leur gratitude par une prière d’action de grâce. Mais la coutume est aussi de manifester matériellement cette reconnaissance par un ex-voto. Apporté, déposé, accroché cérémonieusement au mur du lieu saint, il reste à jamais un témoignage matériel du prodige.
Cette offrande matérielle peut prendre différentes formes: maquette du navire, plaque de marbre gravée, ou tout objet ayant un lien avec l’évènement. Mais les marins préféraient plutôt confier à des peintres spécialisés la reconstitution de la scène de l’épreuve: le voilier, le vapeur, la barque sont représentés en grande difficulté dans une tempête, ou échoués, ou prêt à sombrer. Dans un coin supérieur du tableau, l’artiste peint fréquemment une image du personnage invoqué: un saint ou la Vierge en habit de couleur d’où émanent des rayons lumineux qui éclairent la scène. Parfois il y a un intercesseur intermédiaire; le saint invoqué est à genoux devant la Vierge. Au bas du tableau, sur une bande ou carré de couleur sont écrites les informations plus ou moins détaillées de l’événement, la date, le nom du patron, des marins. L’oeuvre est peinte à l’huile sur un support toile, carton ou bois. Elle peut être signée ou anonyme.
La qualité artistique est très variable; des peintres de marine reconnus, comme Louis Roux, pratiquaient occasionnellement cet art. Un dessin plus schématique ou naïf révèle un travail d’amateur. C’est parfois l’acteur du drame lui même qui réalise l’oeuvre.
La basilique Notre Dame de la Garde, à Marseille est sans doute le sanctuaire où sont rassemblés le plus grand nombre d’ex-voto de toutes natures, mais surtout marins. Les marseillais et plus particulièrement les gens de mer, ont une dévotion fervente pour la ‘Bonne Mère’. Ils implorent sa protection avant de partir en voyage et sollicitent son secours en cas de danger. Sa réputation est telle que des marins d’autres lieux, même étrangers, viennent parfois de très loin déposer leur témoignage de gratitude sous forme d’un ex-voto.
La qualité artistique est très variable; des peintres de marine reconnus, comme Louis Roux, pratiquaient occasionnellement cet art. Un dessin plus schématique ou naïf révèle un travail d’amateur. C’est parfois l’acteur du drame lui même qui réalise l’oeuvre.
La basilique Notre Dame de la Garde, à Marseille est sans doute le sanctuaire où sont rassemblés le plus grand nombre d’ex-voto de toutes natures, mais surtout marins. Les marseillais et plus particulièrement les gens de mer, ont une dévotion fervente pour la ‘Bonne Mère’. Ils implorent sa protection avant de partir en voyage et sollicitent son secours en cas de danger. Sa réputation est telle que des marins d’autres lieux, même étrangers, viennent parfois de très loin déposer leur témoignage de gratitude sous forme d’un ex-voto.
Paul Signac (1863-1935) la basilique Notre Dame de la Garde
Dans notre île de Majorque on trouve des ex-voto marins dans plusieurs églises. Mais c’est dans la chapelle du Santo Cristo de l’église du couvent de Sóller que l’on peut trouver le plus d’exemplaires, soit une dizaine.
Et c’est en ce lieu que se trouvent, entre autres, les deux ex-voto dont j’ai trouvé les copies strictement identiques dans la basilique Notre Dame de la Garde, à Marseille:
Le xabec Providencia et le laud Maria
Les méfaits du temps, de l’humidité, le manque d’attention ont bien détérioré les quatre tableaux mais la similitude originelle des deux paires est évidente. Cependant, l’ex-voto du xabec Providence comporte une différenciation volontaire très significative. Sur le tableau de Marseille, en haut à droite, c’est la Vierge qui illumine la scène. A Sóller elle a été effacée et remplacée par une croix simple, symbole du Santo Cristo. Certains membres de l’équipage furent ils plus confiants dans la ‘Bonne Mère’, d’autres dans le Santo Cristo ou peut être invoquèrent ils simultanément les deux intercesseurs pour plus de certitude ? Autre détail significatif, sur l’ex-voto du xabec du Providencia la bande légende porte mention de l’avarie du voilier ‘cassé le mât’ écrite en français sur les deux sites.
Le laud Maria ne comporte pas de dessin d’un saint ou de la Vierge mais on peut supposer que ce sont les mêmes deux intercesseurs qui ont été invoqués.
Nota: laud en castilla, llaut en majorquin, llagut en catalan
Dans le livre de Félix Reynaud, une équipe de chercheurs a fait un remarquable travail d’enquête pour retracer l’historique du navire à partir de documents d’époque, presse, chambre de commerce, autorités portuaires,… Dans la plupart des cas ils ont pu trouver la relation de l’évènement dans les rapports de mer déposés à la Chambre de Commerce à l’arrivée du navire à Marseille.
Louis Roux a fait un tableau du Providencia, représenté en mer, devant Marseille. Il a été construit à Sóller en 1865. Des archives de la ville révèlent que les xabecs Providencia et America ont été affrétés conjointement pour le transport d’oranges. Nous n’avons pas trouvé d’information fiable sur le laud Maria. d’autant que de très nombreux voiliers ont porté ce nom.
Extraits du livre ‘Les ex-voto marins de Notre Dame de la Garde’’
La rubrique 53 de l’inventaire de Félix Reynaud et de son équipe donne les informations suivantes sur la fortune de mer qu’a subie le xabec Providence.
« Le xabec Providence était espagnol, attaché au port de Sóller. Il jaugeait 67 tonneaux. Son équipage comptait huit hommes, y compris le capitaine Ferrer. Le 19 mars 1878, il avait quitté le port de Santa Pola, près d’Alicante avec un chargement de 22 tonnes d’oranges pour Marseille.
En cours de route, un coup de vent lui cassa le mat avant, mais grâce à l’intervention de Notre Dame de la Garde, les dommages purent être limités. En effet le chébec arriva au Vieux Port le 27 mars, après huit jours de traversée, ce qui constitue un délai raisonnable et Ferrer ne jugea pas utile de se présenter au tribunal de commerce pour rendre son rapport de mer. Par contre il se rendit chez Jules Roméo, peintre connu spécialiste des ex-voto, chez qui il commanda ce tableau.
A remarquer que le peintre a francisé le nom du bateau ainsi que celui du patron. L’image de la Vierge porte le manteau bleu foncé avec une robe rouge, vêtement traditionnel. Ces couleurs seront remplacées à la fin du XIXème siècle par le bleu et le blanc inspirés par les apparitions de Lourdes. »
La rubrique 43 de l’inventaire de Félix Reynaud et de son équipe donne les informations suivantes sur le laud Maria.
« Le laud Maria, de 74 tonneaux, monté par huit hommes, était parti de Soller le 21 février 1866 avec un chargement d’oranges. Dans le Golfe du Lion, justement réputé pour ses tempêtes, il dut rencontrer un très mauvais temps qui le retarda puisqu’il mit plus de deux semaines pour arriver à Marseille, le 5 mars. Cet ex-voto montre les circonstances périlleuses dans lesquelles s’est déroulé le voyage. Nous ignorons les dégâts subis par le navire car le capitaine ne déposa pas de rapport de mer; cette abstention était fréquente chez les patrons de caboteurs espagnols.»
Mais tous les ex-voto ne sont pas offerts à la suite d’un accident, d’une fortune de mer qui aurait pu être fatale sans l’intervention surnaturelle. Des capitaines, animés d’une foi religieuse fervente se mettent sous la protection de la Vierge au cours de leur carrière ou avant d’entreprendre leurs voyages. Il semblerait que les capitaines ayant pratiqué ainsi une dévotion préventive aient connu des navigations heureuses ! Les ex-voto constituent une base complémentaire de données pour les recherches dans le domaine maritime. En écrivant l’histoire du xabec Corazon de Jesus, et du llaut Union les légendes descriptives de l’ex-voto ont permis de recouper, compléter les informations sur la carrière des deux voiliers. La date de l’ex-voto du Corazon précédait un arrêt pour grande refonte du navire sans doute consécutive aux avaries subies lors de la tempête.
Pour les experts de la navigation à voile, l’ex-voto permet de comprendre comment les marins disposaient leur gréement pour faire face au gros temps. Contrairement aux voiliers à gréement carré ou aurique, il semble que xabecs et llauts ne pouvaient prendre l’allure à la cape et dériver travers à la lame. Face à la tempête, les marins disposaient leurs voiles au vent arrière, en allure de fuite.
Les ex-voto témoignent des navires qui ont surmonté l’épreuve, grâce à la prière des marins et leur foi en l’intervention divine. Mais combien ne sont jamais arrivés à destination, disparus sans témoins et sans explications.
Cette pratique de l’ex-voto peint s’est éteinte progressivement au cours du XXème siècle. Les manifestions de reconnaissance prirent plus couramment la forme d’une plaque de marbre gravée d’un message succinct. Ne sont quasi plus mentionnées les circonstances justifiant ce témoignage, et le nom complet du donateur est souvent absent. Ces objets uniformes, sans intérêt pour des tiers, ont désormais perdu toute charge émotionnelle, ainsi que toute valeur artistique et ethnographique.