2. Préparer sa navigation
Une virée en kayak ne se planifie pas tout à fait de la même manière qu’une croisière en voilier… en témoignent ces premiers préparatifs de notre balade vers Molène avec Bernard Moulin, pionnier du kayak de mer en France. Le jour, l’heure et la route définitifs dépendront de la météo, de la marée et de l’état de la mer, bien sûr, mais aussi des équipiers.
Nous vous proposons ici un exemple de planification établie à la date du 23 juin 2018. Comme le souligne volontiers Bernard, « le but d’une bonne préparation, c’est de mieux gérer les imprévus. » Autrement dit, la vocation d’une planification méticuleuse est d’être remise à plat, surtout dans ces parages dangereux. Cela dit, voici comment se présente le programme à ce jour : il s’agit de rejoindre Molène en traversant le magnifique archipel qui entoure l’île, à commencer par Béniguet, réserve naturelle, et les environs de Morgol, habités par une colonie de phoques. Bernard a choisi pour nous lancer dans ces parages où les courants de marée sont parfois très forts (plus de 8 nœuds aux grandes marées, par endroits) une date où le marnage sera raisonnable (coefficient 57).
Au ras de l’eau, à quatre nœuds
Le kayakiste fait corps avec son bateau et passe partout ou presque (30 cm de profondeur lui suffisent). Il navigue à vue, essentiellement : il importe de tracer une route pour les longues distances sans amer et en cas de faible visibilité mais, dans les cailloux, on ne navigue pas avec l’œil sur le compas ! De plus, dans les rochers, avec des courants traversiers, sa route est tout sauf droite. Le kayakiste procède par sauts de puce, jouant des contre-courants, au ras du rivage ou à l’abri des îles, îlots et rochers, puis faisant un « bac » en traversant, comme une rivière, le courant en biais.
Là encore c’est à vue, en choisissant un alignement, que le kayakiste va constamment corriger en fonction de la force du courant et de sa vitesse. Dans notre cas, nous ne partirons évidemment pas si la brume menace, mais nous établirons une route au compas « au cas où… » pour la première partie du trajet, la seule qui s’éloigne vraiment des repères remarquables.
À noter que la visibilité depuis un kayak est très réduite en regard de celle dont on bénéficie debout sur le pont d’un bateau. L’horizon en kayak, sur une mer plate, n’est qu’à 1,5 mille au plus, et à moins d’un mille si le clapot, même modéré, est de la partie. Il faut en tenir compte quand on essaye de se projeter dans le paysage et la navigation qui nous attendent, au fil de la marée. De même, le kayakiste est très peu visible depuis les autres bateaux. On ne s’attardera donc pas dans les zones fréquentées par les navires importants ou les navettes desservant les îles de l’Iroise.
Il est raisonnable de tabler sur une vitesse de 4 nœuds pour des kayakistes adultes en balade, en forme correcte, modérément expérimentés mais non novices, équipés correctement. Le clapot et le vent de face réduiraient vite cette vitesse, fatiguant d’autant plus les pagayeurs.
Outre les points de repli que l’on liste à l’avance, en cas de problème, on prévoit toutes les heures, au mieux, et toutes les deux heures au moins, un changement de rythme, si possible une pause à terre. À cette vitesse, un parcours quotidien d’une dizaine de milles reste agréable et tout à fait accessible. « Tout dépend du groupe, mais quand on est un peu nombreux et si les niveaux sont différents, c’est déjà bien. On peut aller jusqu’à 15 ou 20 milles, mais ça fait une bonne tirée ! ». Les kayakistes experts peuvent miser sur une vitesse de croisière de 5 à 6 nœuds.
1. Départ de la presqu’île de Kermorvran (accès en auto et mise à l’eau faciles) une heure avant la basse mer, de façon à traverser vers Béniguet avec des courants faibles. Pour cette section, la seule où un cap compas pourrait avoir une utilité en cas de perte de visibilité, la route sur le fond (262°) correspond, compte tenu de la marée et de la déclinaison magnétique, à un cap compas de 282°. En droite ligne, 2 milles… que l’on se donne une heure pour couvrir tranquillement, en comptant la déperdition de vitesse due au courant, la pause et les éventuelles flâneries en rejoignant les parages de Béniguet.
2. De Beg Bihoc à Quéménès, la distance en droite ligne est à peu près la même (2,5 milles). Une heure de balade encore, dans un courant de flot naissant, encore très modéré, par le travers, et une multitude de rochers et d’îlots entre lesquels zigzaguer…
3. Même rythme prévu pour la distance de Quéménès à l’île aux Chrétiens (1,4 mille en 30 minutes).
4. Le courant traversier sera plus fort à cette heure du parcours, qui sera aussi la troisième du flot. Ces lieux, peu recommandés aux néophytes, fût-ce en mortes-eaux, sont réservés aux kayakistes bien aguerris quand les marées prennent plus d’amplitude et que les courants passent les 5, voire 8 nœuds par endroits ! Cela dit, si tout le monde est à l’aise et si nous avons un peu d’avance, nous pourrions gagner notre destination en contournant Molène par le Sud.
Nav’ papier et électronique
Les documents nautiques réglementaires qui doivent être à bord du kayak sont les mêmes que sur tout autre navire de plaisance s’aventurant dans ces eaux. Desquels se sert-on vraiment, et que consulter en plus ? « On se base essentiellement sur la carte marine (dans ce cas, celle du shom), ainsi que sur les instructions fournies par l’Almanach du Marin breton pour les courants et le pilotage. Pour ce qui est des conseils spécifiques pour la zone, Bernard recommande également les guides de randonnée nautique très complets, zone par zone, de Véronique Olivier et Guy Lecointre, parus aux éditions Le Canotier. « J’aime beaucoup, pour ce qui est de la navigation électronique, l’appli IphiGeNie, qui superpose les cartes du SHOM aux cartes d’État-Major de l’IGN, pleines d’informations utiles et de points de repère à terre, sans compter les vues satellitaires également très intéressantes en rase-cailloux. » À noter que si en général l’estran est accessible, il n’en importe pas moins de s’informer des points de débarquement et de bivouac autorisés : dans la zone du Parc marin de la mer d’Iroise où nous nous rendons, par exemple, le camping n’est permis que sur un terrain réservé à Molène, tandis qu’un gîte est établi à Quéménès. En outre, il est interdit de mettre le pied à terre à Morgol, fût-ce sur l’estran. Jacques van Geen
À lire : Le kayak et la mer, de Bernard Moulin et Michel Guégan, éditions Le Canotier.