Par Jean-François Garry – Selon son plan de voilure et les caractéristiques de sa coque, un bateau ne réagit pas de la même façon à la poussée du vent. Quelques notions et calculs simples permettent d’avoir un aperçu des influences respectives de tous ces éléments.
Nous avons imaginé différentes formes de carène (CM 245) et estimé le déplacement du bateau (CM 247). Il va falloir à présent le faire avancer. Pour les bateaux à moteur ou mus à l’aviron, la propulsion est maîtrisée à volonté. Les voiliers utilisent, pour leur part, la force du vent, mais cette dernière les fait également gîter, et parfois chavirer. Il convient donc de gérer au mieux ces effets.
Si la force du vent n’est pas maîtrisable, on peut néanmoins régler les voiles pour contrôler la « poussée vélique ». Ainsi, si l’on réduit la surface, on diminue d’autant la poussée. Celle-ci est également proportionnelle à la vitesse du vent (graphique 1 de gauche, p. 78). Attention toutefois : si la vitesse du vent double, la poussée devient quatre fois plus forte. Il ne faudrait donc plus porter qu’un quart de la voilure initiale si l’on veut que la poussée reste identique, sauf si l’on accepte de gîter davantage pour gagner en vitesse.
Les formes de carène et le déplacement définissent en grande partie la stabilité et donc la capacité à porter la toile. Une coque large avec une carène plate et peu de creux peut porter sa voilure en gîtant peu, grâce à une forte stabilité initiale qui augmente dans les angles de gîte modérés. Cela peut dispenser du recours à un lest ou en minimiser l’importance, à condition que ce type de bateau – un dériveur ou un day-boat léger par exemple – soit destiné à naviguer par beau temps sur des plans d’eau abrités, avec parfois l’équipage au rappel. Car on sait aussi que son comportement peut vite changer dans une survente et que sa stabilité de formes décroît brutalement aux angles de gîte plus importants, au point parfois de se solder par un chavirage. Mais rien n’empêche de lester une carène large, qui va, dans ce cas, bénéficier aussi d’une stabilité de poids.
Une carène étroite, de section ronde ou en V, avec un creux profond, a une faible stabilité de formes. S’il s’agit d’un bateau d’aviron, l’équilibre sera maintenu par le centrage de l’équipage. S’il s’agit d’un voilier, il sera obligatoirement lesté pour augmenter sa stabilité de poids. Ce type de carène est bien adapté à une navigation au large par vents puissants et mer formée, dans laquelle elle passe avec aisance. Ce fut d’ailleurs longtemps l’archétype du petit mais valeureux yacht de croisière.
Voyons maintenant la surface de voilure. Là encore, le programme de navigation a une forte incidence sur les choix opérés. Un farouche régatier souhaitera probablement un maximum de voilure, alors qu’un père de famille se montrera beaucoup plus raisonnable pour son bateau de promenade. Mais comment évaluer la surface de voilure nécessaire en fonction de données objectives ?
La voilure doit avoir une puissance suffisante pour « tirer » le bateau en charge. Une formule permet d’en juger : la racine cubique du déplacement en charge (en m3) multipliée par un certain coefficient, inférieur à 4 pour un bateau que l’on souhaite voilé modérément, entre 4 et 5 pour un bateau normalement toilé, et supérieur à 5 pour un bateau fortement voilé. Le résultat obtenu est ensuite élevé au carré pour obtenir la surface de voilure. Précisons que cette formule, rapide et pratique, n’a qu’une valeur indicative, de même que les tableaux auxquels on peut se référer pour estimer une surface de toile (graphique de droite, ci-dessous).
Si l’on s’en tient à une surface « normale », nous pouvons estimer qu’un day-boat de 0,66 m3 de déplacement devrait porter une voilure comprise entre 12 et 19 m2. Le nom-bre le plus faible correspond à la « voilure de route », le plus élevé à toute la toile légère de petit temps. Un petit croiseur de 6 m à dérive déplaçant 0,95 m3 porterait entre 15 et 24 m2. Si on lui ajoute 250 kg de lest, sa voilure varie de 18 à 28 m2. Avec 450 kg de lest, de 20 à 31 m2, et avec 750 kg, de 23 à 36 m2.
Mais avant de nous jeter sur nos crayons, un second calcul permet de vérifier le bien-fondé de nos estimations. Il s’agit cette fois de comparer la surface de voilure à la surface mouillée de la carène (CM 245). La formule est des plus simples. On divise la surface de voilure (en m2) par la surface mouillée (en m2). Un résultat inférieur à 2 est la marque d’un bateau très peu voilé au regard du frein que constitue le frottement de l’eau sur la surface de carène. Entre 2 et 2,2, la voilure reste modeste. De 2,2 à 2,5, le rapport est satisfaisant. Supérieur à 2,5, le bateau est largement voilé.
Connaissant les surfaces de voilure nécessaires, nous allons maintenant pouvoir les dessiner.
Un plan de voilure fin, c’est-à-dire en hauteur et étroit, permet le meilleur contrôle de la forme d’une voile pour une grande efficacité au près. C’est la définition du sloup ou du cotre bermudien. Ce type de gréement a sa place sur les petits yachts classiques de belle plaisance, croiseurs ou day-boat, surtout s’ils portent un foc 7/8 et un guignol. Question de style. Mais la médaille a son revers : un plan de voilure en hauteur élève, en effet, le centre de voilure et de poussée, augmentant la gîte, qui diminue la surface offerte au vent et rend la navigation moins confortable. La longueur du mât est, d’autre part, importante, ce qui entre aussi en ligne de compte lorsqu’il faut transporter son bateau ou le mâter.
Les voiles quadrangulaires – au tiers, à livarde, à corne, et houari – ont une géométrie qui place le centre de voilure plus bas qu’une voile bermudienne, donnant un « moment inclinant » plus faible. C’est une caractéristique précieuse pour les embarcations que l’on souhaite faire gîter le moins possible : les bateaux d’aviron légers, non lestés et étroits ; les voiliers larges, légers et de faible profondeur qui marchent mieux « à plat » ; les bateaux de promenade qui privilégient tranquillité et confort. Ce que ces voiles traditionnelles perdent au plus près du vent, elles le regagnent en puissance aux allures plus arrivées. La balance s’équilibre donc.
Une seconde remarque résonne comme un dicton : il faut « porter la toile du temps ». Pour cela, il y a les ris, les bômes à rouleau, les enrouleurs de focs mais aussi la division de la voilure. Cette dernière approche peut être judicieuse pour les petits bateaux classiques ou traditionnels qui nous concernent.
Une voilure divisée avec un étalement longitudinal des voiles contribue à abaisser le centre de voilure, diminue la gîte, éloigne l’instant où la réduction devient nécessaire et facilite la réduction de toile, qui peut se faire en amenant une ou plusieurs voiles, tout en conservant l’équilibre à la barre. Le gréement à deux mâts n’est pas réservé aux grands voiliers. Parfaitement opportun sur un canoë, une plate, un day-boat, un canot à misaine et tapecul, une chaloupe ou un petit croiseur gréé en yawl, il est, de plus, très esthétique.
Les croquis de carène et de voilure ne donnent, cependant, que l’esquisse d’avant-projets. Tout au plus l’idée de différents bateaux qui se précisent peu à peu en indiquant les rapports de taille, de forme, de poids et de surface entre les différents éléments. Il y a encore du travail sur la planche à dessin.