Utilisé par les pêcheurs de la presqu’île de Séné, dans le golfe du Morbihan, le sinago est à l’origine une petite embarcation à arrière pointu, longue de 4 à 5 mètres, gréée d’une voile carrée. Au milieu du XIXe siècle, ses dimensions augmentent et elle adopte un gréement de chaloupe avec deux voiles au tiers de forme rectangulaire, sans apiquage, parfois dites “en bannières”.
Ces bateaux, qui prennent le nom des habitants de la presqu’île, sont construits localement par une dynastie de charpentiers, les Martin, et naviguent surtout dans les eaux abritées du golfe. Les équipages, constitués d’un patron et d’un matelot, souvent la femme ou l’un des enfants du patron, pratiquent principalement la pêche des crevettes ou chevrettes et, accessoirement, celle des huîtres sauvages, à l’aide d’une drague. Son faible tirant d’eau lui permet de fréquenter la plupart des hauts fonds du golfe, dont il ne sort que pour se rendre en rivière de Pénerf, où abondent les bancs d’huîtres sauvages.
A partir de 1878, la longueur augmente graduellement. En effet, les fonds commencent à s’épuiser et, au tournant du siècle, les pêcheurs s’éloignent davantage de leurs zones traditionnelles d’activité où ils pratiquent d’autres métiers comme la senne, le filet de battue, voire le filet aux harengs. A la belle saison, ils sortent du golfe pour rejoindre la baie de Quiberon et y pêchent au chalut à perche. Dès lors, le sinago voit sa coque s’agrandir, ses formes s’étoffer avec un franc-bord arrière accru, pour affronter les houles de la baie, tandis que son gréement se modifie encore, certains patrons retaillant leurs voiles pour leur donner de l’apiquage. La flottille dépasse alors les 120 unités.
Eloigné du domicile familial durant plusieurs jours, l’équipage mange la cotriade de poisson, cuite à bord et, entre deux marées, se repose à l’abri du pontage avant, dans un poste fermé et garni de paille que l’on nomme le “bi”.
Au lendemain de la grande Guerre, les constructeurs de Séné ont cessé leur activité et c’est vers le chantier Querrien du Bono, pays des forbans, que se tournent les pêcheurs sinagos. Les formes des bateaux vont encore évoluer, car désormais, à la belle saison, bon nombre de patrons pratiquent le chalut à perche depuis la baie de Quiberon jusqu’au Croisic. Le sinago est devenu une solide chaloupe de 9 à 10 mètres (10,50 mètres pour les plus grands), avec des vergues fortement apiquées qui permettent d’augmenter le rendement de la voilure au plus près. Avec son étambot à forte quête, son franc-bord plus important et son bouchain bien marqué, le sinago gagne en stabilité. Ses aménagements intérieurs évoluent peu, il reste un bateau creux qui, néanmoins, n’hésite pas à pratiquer en pleine mer la pêche au poisson frais, tout comme les sloups pontés.
L’hiver, la plupart des sinagos se cantonnent aux eaux du golfe pour s’y livrer à leur pêche de prédilection et y faire la drague des huîtres. Devant l’appauvrissement des bancs, les autorités réglementent cette pêche qui se pratique en fonction des lieux et dates fixés par l’administration maritime. La fraude reste fréquente et les pêcheurs sinagos conservent leur vieille réputation de déjouer par mille ruses la surveillance des bateaux garde-pêche.
Les plaisanciers, organisateurs des régates qui se déroulent chaque été autour du golfe, ne sauraient se passer de la présence des sinagos, dont l’habileté à la manœuvre et les pittoresques voiles rouges attirent un public très nombreux. Ces manifestations, dont la fréquentation diminue après la Seconde guerre mondiale, permettent à la flottille, même très réduite, d’acquérir une célébrité durable, alors que la voile de travail a disparu presque partout ailleurs.