Au flot qui envahit à grande vitesse ce plan d’eau, la baie de Somme se couvrait des voiles quadrangulaires des sauterelliers. Saint-Valery a compté plus de 50 bateaux pêchant la sauterelle, nom picard de la crevette grise (qui saute dans le parc).
Formes avant pleines, maître-bau très avancé, arrière fin et dégagé, le sauterellier est construit à franc-bord, bordé en chêne ou en résineux. La quille est en chêne, ou en hêtre, pour mieux glisser sur le sable. Les membrures, en chêne étuvé, sont ployées en fin de construction, et rivées au bordage par des carvelles.
Gréé en bourcet-malet, le sauterellier a son mât de misaine emplanté presque sur l’étrave. Sa voile au tiers porte jusqu’à cinq rangs de ris ; sa bordure libre fait toute la longueur de la coque, l’écoute étant frappée sur une verlope (ou overlope). Le mât de tapecul est emplanté sur bâbord du tableau, que traverse la queue-de-malet ; le bout-dehors peut porter un petit foc, un foc bâtard, ou un grand foc ballon. Ainsi gréé pour chaluter, le sauterellier est puissant et ardent et se manœuvre aisément sous ses trois voiles cachoutées.
Dotés d’une quille longue (1,40 mètre de tirant d’eau pour 8 mètres de long) au début du siècle, les sauterelliers, du fait de l’ensablement de la baie, diminueront leur tirant d’eau et se doteront d’une dérive pivotante en puits, maintenue basse par une cheville.
Le métier de la sauterelle dure de février à novembre. Par marées de neuf heures, on ramène 10 à 20 kilos de crevettes qu’on cuit dans une grande chaudière à la maison, et qu’on laisse refroidir sur la table en bois, avant expédition sur Rouen ou Dieppe. L’hiver, les matelots embarquent au hareng à Dieppe ou à Boulogne, ou encore emmènent à la chasse en baie des Messieurs de la ville.
Beurrier, dit Caderot, charpentier à Abbeville, était l’un des plus réputés constructeurs de sauterelliers de la côte. Les vieux disaient de ses bateaux, souvent construits à partir de bois récupéré sur des épaves de péniches : “Chés abbevillois, y s’ront soldats (ils dureront vingt ans), chés caouais (de Cayeux), y s’ront communiants.”