Douarnenez, en plein miz du (« novembre » en breton), une bonne douzaine de fêlés se réunissent au Port-musée pour créer une nouvelle association : Les gardiens du bateau-phare. Fêlés, oui, il faut l’être pour s’attaquer à la sauvegarde de ce qui est devenu au fil des années un des emblèmes de la ville, le Scarweather, l’ancien bateau-feu mouillé dans le Port-Rhu. Une « star » qui semble désormais attendre qu’on lui règle son sort, comme on a pu le faire à certains de ses anciens compagnons, jadis vedettes du renouveau du patrimoine maritime à Douarnenez et en France, quand le Port-musée a été créé, navires mythiques qu’on se pressait de visiter : Northdown, la barge de la Tamise, aujourd’hui coulée, comme Notre-Dame des Vocations, le thonier de Concarneau, ou encore Notre-Dame de Rocamadour, le dernier langoustier « mauritanien », dépecé voici quelques semaines… Sans oublier Anna Rosa, la galéasse norvégienne que tout le monde sait désormais condamnée, car dévorée par des champignons.

Triste constat, et raison de plus pour réveiller les consciences afin que ne disparaisse pas ce qui reste, bien entendu en veillant à ne pas accuser tel ou tel et surtout pas le Port-musée qui tente de faire face, la ville de Douarnenez (14 000 habitants) dont il dépend n’ayant évidemment pas les moyens de maintenir à flot ces unités. Reste que l’urgence est là, avec le risque qu’au fil des amputations ce ne soient pas seulement les témoins du passé qui disparaissent, mais aussi la culture maritime et son patrimoine, soit l’essence même de ce petit port niché au fond d’une baie magnifique.

Scarweather ? Ce n’est pas français ça… Non, mais c’est l’un des derniers représentants de ces bateaux-feu mouillés dans tous les coins les plus pourris du Channel et des côtes anglaises, là où les bancs ne laissent pas beaucoup d’espoir à ceux qui se sont perdus dans le mauvais temps ou la brume. À leur bord, des marins veillaient sur la vie des autres, quelquefois au péril de la leur, avant qu’on ne remplace leur navire par des bouées.

Notre bateau-feu a été construit en 1947 à Dartmouth par le chantier Philip and Son pour le compte de la Trinity Corporation, sous le nom de LV4. Au cours de sa carrière, il va successivement signaler une douzaine de bancs, dont il prend le nom dès qu’on l’y ancre. Retiré du service en 1989, il est acquis en 1991 par le Port-musée de Douarnenez, qu’il rejoint un an plus tard pour l’inauguration du bassin à flot. Scarweather, le seul de sa série à être doté d’une plateforme hélicoptère, est alors considéré en bon état. Mais, dès 1996, un an après la liquidation judiciaire de la structure Port-musée d’alors, il n’est plus entretenu. En 2008, il monte une dernière fois sur le slipway de Douarnenez pour carénage et peinture avant de rejoindre son mouillage dans le Port-Rhu, là où il se trouve encore, défraîchi, abandonné, et pourtant toujours admiré.

Aujourd’hui, faute de pouvoir l’assurer, car aucun expert ne souhaite l’inspecter, il n’est pas question de le remorquer jusqu’à un chantier dans un autre port. L’unique solution est donc locale : c’est celle du fameux slipway, situé à quelques encablures du Port-Rhu, là où il est déjà sorti de l’eau pour carénage. Mais, curieusement, cet équipement est lui aussi menacé. Et bien plus même puisqu’on veut le détruire pour le remplacer par un élévateur !

Le patrimoine industriel de Douarnenez serait-il voué, comme les bateaux, à finir sous une tronçonneuse ou un bulldozer ? Alors même que cet outil de 1964 est le dernier exemplaire de slipway latéral au monde ? C’est en outre le seul équipement capable de sortir de l’eau des navires sans leur imposer des contraintes excessives et souvent destructrices – le poids du bateau porte sur sa quille et non sur des sangles. D’où son intérêt, non seulement sur le plan local pour caréner les bateaux du Port-musée, mais aussi régional pour l’entretien des autres navires du patrimoine, La Recouvrance, Nébuleuse, Grayhound… et bien d’autres, sans oublier des unités d’Angleterre ou d’Europe du Nord qui pourraient aussi être intéressées.

Défendons un patrimoine vivant, un patrimoine pour le bien de toute une communauté et notamment celle de travailleurs. Peut-être que l’avenir de Douarnenez passe aussi par son passé. Ce ne serait pas contredire les célébrations de la grève des sardinières de 1924 qui occupent la ville cet hiver…

Patrick Chalmeau Jobert

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