La pinasse est sur le bassin d’Arcachon l’embarcation traditionnelle la plus ancienne, indissociable de l’activité nautique locale. La première description cohérente de la pinasse, appelée tillole, date du début du XVIIe siècle et fait déjà apparaître ses caractéristiques essentielles : forme effilée en “navette”, fonds plats, bordages à clin, y compris ceux de la sole. La ceinture extérieure qui tient l’ensemble forme vers l’avant bien relevé des sortes de cornes qui existent toujours aujourd’hui. Bâtie en pin du pays, la tillole est entièrement chevillée en bois. Mue principalement à l’aviron, on lui grée à l’occasion une petite voile carrée.
Vers 1880, la construction à clin et le chevillage en bois demeurent, mais deux éléments nouveaux sont apparus : un gouvernail suspendu à une ferrure métallique, à l’instar des chaloupes du pays, et, à la fin de la décennie, la dérive coulissante en puits qui est adoptée sur certaines unités. La voile est alors couramment utilisée ; il s’agit d’une grand voile dite au tiers, mais restant très rectangulaire de forme, toujours amurée en abord. Un système d’inclinaison variable du mât améliore les performances sous voiles aux différentes allures.
L’expansion massive de l’ostréiculture dans la deuxième moitié du XIXe siècle entraîne un rythme effréné de la construction des pinasses, même si de nouveaux types de bateaux de service apparaissent sur le Bassin, comme les baleinières, les filadières, les allèges ou pontons, le bac à voiles…
La pinasse, qui sert de bateau de pêche à la côte pour la senne, et dans le Bassin pour toutes les autres activités de pêche ou de service, reste l’embarcation préférée des riverains du Bassin : bateau de servitude extrêmement sollicité, son coût est très inférieur à celui des autres types. Le pin des forêts voisines ne manque pas et elle peut être construite par le marin du cru, qui est souvent peu ou prou charpentier. Son faible tirant d’eau lui permet de manœuvrer au-dessus des bancs, et sa légèreté d’être mise au sec et à l’abri, à dos d’hommes s’il le faut. La pinasse traverse ainsi les siècles, quasi immuable.
C’est au début du XXe siècle qu’elle se transforme avec le moteur à pétrole, qui est adopté par les plaisanciers du Bassin sur les canots de promenade. L’essai est tenté sur une pinasse, il est concluant, les pêcheurs sardiniers s’y mettent rapidement. La flottille est motorisée dans sa presque totalité dès 1906.
Le chevillage métallique est alors adopté pour résister aux vibrations du moteur, des quilles d’angle rigidifient le lien entre la sole et les bordés de côté, un système à crémaillère et à cardan est utilisé pour relever facilement la ligne d’arbre. La finesse de l’embarcation permet à des moteurs de faible puissance de l’enlever à bonne vitesse. La pinasse, devenue “pétroleuse”, garde sa silhouette singulière avec ses “cornes” d’étrave qui sont devenues un peu son symbole. Le clin est également abandonné pour la sole qui est maintenant réalisée à franc-bord. Celui des bordages de côté se fait plus discret, à feuillure, tandis que le rivetage en cuivre devient prépondérant sur la membrure désormais “bouillie”. Après la Première guerre, de nombreuses grandes pinasses à moteur seront construites pour l’ostréiculture, la pêche, la plaisance.
Jusqu’aux années 1960, de grandes et belles pinasses à l’aviron sont toujours en service pour la pêche à la senne à l’Océan, tandis que les passionnés vont remettre au goût du jour, dans les années 80, la régate à la voile, quelque peu délaissée après la Seconde Guerre. Et au début du XXIe siècle, on construit encore des pinasses…