Etaples, situé au fond d’un estuaire, est à l’origine un port de commerce ; l’ensablement progressif a ruiné cette activité et les premiers travaux de stabilisation des dunes, ordonnés dès 1614, comme les endiguages successifs, n’ont pu que ralentir cette invasion. Seuls les bateaux de pêche maintiennent leur activité, mais faute d’installations portuaires, ils doivent échouer sur la vase, à l’instar de leurs voisins de Merlimont, Berck ou Equihen. A partir de 1849, grâce à la mise en service d’un premier quai en bois, ainsi qu’au développement commercial lié à l’ouverture de la ligne ferroviaire Boulogne-Amiens, les bateaux d’échouage bordés à clins sont progressivement remplacés par des coques à franc-bord de plus fort tonnage : les lougres. Fortement tonturés, de formes pleines, mais non sans élégance, ils possèdent un arrière à voûte et un avant bien défendu avec un brion en coin.
Au nombre d’une soixantaine et majoritairement construits par les chantiers étaplois (Caloin, Adams ou Brasseur), leur taille varie entre 30 et 44 pieds de quille (dix à quinze mètres) et 10 à 23 tonneaux (exceptionnellement 25 ou 27 tonneaux) de jauge. Contrairement aux grands lougres de pêche de Gravelines, Boulogne ou Fécamp qui ont gardé les trois mâts, on préfère à Etaples le -gréement simplifié à deux mâts et trois voiles au tiers déjà utilisé sur les navires d’échouage et dans d’autres ports picards, sous le nom de bourcet-malet. Très spectaculaire dans cette dimension, il se caractérise par un bourcet de 110 m2, dont on ne trouve l’équivalent que sur les grands Zulus écossais. Ce bourcet dont la bordure arrive sur l’arrière jusqu’à une overlope enjambant la barre se hisse sur un mât rabattable emplanté à l’avant. Le malet, légèrement incliné sur l’avant, est surmonté d’un flèche, ou pantalon. Une queue de malet non haubanée longue de 7 m permet de les border. Les Etaplois en font, dit-on, “une grande consommation”. Deux balouettes (girouettes) ornées de motifs découpés et peints de couleurs vives tournent en tête.
Le lougre est cloisonné en quatre compartiments : à l’arrière, le poste d’équipage avec bancs et coffres, bannettes, poêle à charbon ; à l’avant du poste, le troubadou qui occupe toute la largeur du bateau pour le rangement des aussières ; au centre, la cale à poissons où sont également stockés les pains de glace et à l’avant, le pic.
L’aménagement du pont est directement lié aux conditions de travail. La manœuvre du chalut s’effectue toujours à tribord. Halé à bord avec l’aide du cabestan, le bras du chalut passe par l’écubier avant d’être transféré et bloqué en fin de manœuvre par une galoche placée aux deux tiers avant du pavois. La meulette (patin) avant étant immobilisée, celle de l’arrière est embarquée grâce au palan de capon frappé sur la potence en bois placée à l’avant du malet. La partie centrale est occupée par les panneaux de descente ou de cale. Le canot est à bâbord.
La pêche des lougres se résume en deux activités principales : la capture du -hareng aux filets dérivants d’octobre à décembre et le chalutage à perche, entre les bancs de l’estuaire de la Tamise et la baie de Somme, le reste de l’année. L’importance des équipages varie suivant la technique utilisée : de 6 à 9 hommes la plus -grande partie de l’année, jusqu’à 10 à 13 pendant la campagne des harengs. Les effectifs sont généralement complétés par des “terriens”, souvent des agriculteurs ou des jeunes, qui habitent la ville ou la région. En mer, leur travail se limite aux manœuvres du cabestan, au “secouage” des filets dérivants ou au rangement. L’équipage d’un lougre se compose généralement d’un patron, de deux mousses (dont un très jeune, le surnuméraire), d’un ou deux novices et de matelots.
Régréés au début du siècle en dundée, les lougres disparaissent rapidement dès l’apparition, en 1924, des premiers moteurs.