Comme ses voisins, le port de Gravelines, situé à l’extrémité d’un long chenal, subit l’effet du courant de flot qui y draine un banc de sable. Il faut donc aux pêcheurs du cru un bateau calant peu pour pouvoir entrer et sortir du port à mi-marée et capable d’affronter des mers agitées par des vents forts de secteurs ouest et nord. Le lougre s’est avéré le voilier le plus apte à satisfaire ces critères. Utilisé à la petite pêche, il est aussi armé au cabotage pour les ports anglais, et pour la pêche aux harengs d’Ecosse. Les plus grandes unités sont envoyées à Islande pêcher la morue.
Dans les dernières décennies du XIXe siècle, les dimensions des bateaux se sont fixées autour de 15 mètres de long, pour 5 mètres de large et 2 mètres de creux. Membrée et bordée à franc-bord en chêne du pays, la coque est peinte en noir ; un fin liston blanc souligne la tonture. Plate de varangues, de formes pleines, elle se termine par un large tableau qui reçoit un gouvernail. Le maître-bau se situe au tiers avant. Trois mâts en pitchpin portent une voilure au tiers. Sur l’avant, le mât de misaine est maintenu par deux bastaques capelées au -sommet. Il reçoit une misaine à deux bandes de ris. Le grand mât à forte quête arrière, emplanté au milieu du navire, est tenu par deux bastaques capelées aux trois quarts de sa hauteur au-dessus du pont. On y hisse un taillevent à une -bande de ris, surmonté le plus souvent d’un hunier pointu. Le palan d’écoute de -taillevent coulisse sur une barre d’écoute, l’overlope, qui enjambe la barre de gouvernail. Le mât de tapecul fixé contre le tableau est décalé pour augmenter le débattement de la barre. On y établit un tapecul dont l’écoute passe à l’extrémité d’un arc-boutant rétractable. Le foc est amuré sur un rocambeau qui coulisse sur un bout dehors mis à poste au moment de l’appareillage. Un cabestan à barres installé à l’arrière aide aux -manœuvres du chalut ou des filets. Sous tourmentin, misaine et taillevent aux bas ris, hunier pointu et tapecul serré, il faut déjà une bonne brise pour lui faire prendre une légère gîte. Le lougre marche bien au portant, mais son plan de dérive réduit et ses formes pleines à l’avant n’en font pas un bateau de près.
La plupart du temps, les lougres sillonnent les eaux du détroit à 20 milles de part et d’autre du port de Gravelines. Début janvier, ils arment au chalut ou à la pêche aux cordes. A la mi-avril, la flottille part pour une campagne morutière de trois mois, dans les mers du Nord. On la retrouve aux Orcades, aux Shetland, sur les côtes -norvégiennes, le Fisher Bank, et enfin sur les côtes d’Ecosse, suivant les migrations de la -morue, d’où le nom de -“Nordiers” qui leur est souvent donné. La pêche se pratique à la ligne à main, le long du -bateau mouillé sur son drifoc, une espèce d’ancre flottante. De la mi-août jusqu’à la mi-octobre, certains voiliers se livrent à la pêche au maquereau dans l’embouchure de la Tamise. La fin de -l’année est -consacrée à la pêche aux harengs qui abondent sur les bancs du Ruytinghen et du Dyck à quelques milles du port. Pour cette pêche, le mât est abattu.
Le lougre a été construit jusqu’à l’aube du XXe siècle dans les chantiers gravelinois. La structure le plus souvent familiale de l’entreprise n’est sans doute pas étrangère à cet état de choses.
Le dernier lougre est sorti des chantiers le 6 avril 1898 ; il ne doit sa désaffection qu’à l’arrivée du dundée, un bateau plus performant et plus maniable