
Comme l’écrivent deux sauveteurs bénévoles de la SNSM (CM 341), la perte de trois jeunes marins dans le naufrage du chalutier Breiz, en janvier 2021, au large des côtes normandes, a été une tragédie qui nous a tous extrêmement touchés et émus. Le patron du canot SNSM de Ouistreham, qui remorquait ce chalutier lorsqu’il a coulé, a été poursuivi devant le tribunal maritime du Havre, qui l’a relaxé. Cette poursuite a créé beaucoup d’émoi au sein de la SNSM et une pétition a même été lancée pour inviter les pouvoirs publics à instaurer rapidement un statut juridique spécifique qui protègerait les sauveteurs bénévoles dans l’exercice de leurs missions.
Mais ce statut juridique spécifique, qui instaurerait une irresponsabilité de principe des sauveteurs bénévoles, est-il souhaitable ? Il me semble que non, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, nous vivons dans un État de droit et notre organisation juridique repose, notamment, sur les principes de responsabilités civile et pénale hérités du droit romain et perpétués depuis des siècles pour protéger la société, donc toutes les victimes des fautes civiles et pénales qui peuvent être commises.
C’est une responsabilité dont l’objectif est à la fois indemnitaire, pour que les victimes soient indemnisées en application du principe de la réparation intégrale, et comminatoire, pour que chacun soit incité à la prudence, de crainte d’être poursuivi devant le juge civil ou pénal (lequel prononce des sanctions civiles lorsque la faute pénale est avérée et qu’elle a été à l’origine d’un préjudice).
En droit civil, ce principe résulte de l’article 1 240 du code civil, qui dispose : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » En droit pénal, c’est l’article 121-1 du code pénal qu’il faut considérer, selon lequel : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait », ce qui signifie a contrario que chacun est pénalement responsable de ses faits, lorsqu’ils sont pénalement qualifiables.
Par ailleurs, si la loi ou la jurisprudence reconnaissent des causes exonératoires de responsabilité (comme un événement extérieur caractérisant la force majeure ou le fait d’un tiers, notamment), la gratuité de l’intervention de l’auteur de la faute n’en fait pas partie, parce que l’obligation de ne pas causer de « dommage » est déterminante.
En outre, et ce n’est pas un détail, organiser l’irresponsabilité des volontaires bénévoles de la SNSM, c’est oublier le sort des victimes, qui ne pourraient plus obtenir réparation. C’est aussi diminuer l’exigence d’efficacité lors des interventions de sauvetage en mer, donc multiplier les risques. Et il n’est pas non plus envisageable que l’indemnisation des victimes soit assurée par la création d’une présomption de responsabilité qui ne pèserait que sur la seule personne morale de la SNSM.
En effet, si notre système juridique peut retenir, dans certains cas, la responsabilité d’une personne morale, ce n’est qu’à la condition que la faute de son ou ses préposés soit établie, ce qui serait impossible en cas d’irresponsabilité civile et/ou pénale des bénévoles.
Pour tous les marins, professionnels, plaisanciers ou bénévoles de la SNSM, la mer est exigeante et formatrice en ce qu’elle est une école de responsabilité ; nous ne pouvons donc pas l’oublier, c’est un gage de sécurité.
Jean-Michel Berly, sociétaire de la SNSM
Publié dans Le Chasse-Marée 343, février-mars 2025.