L’hiver dernier, j’ai visité un terminal portuaire à Billingham, dans le nord-est de l’Angleterre. Mon guide, un Anglais d’une cinquantaine d’années, m’a alors expliqué la dure réalité sociale de ce secteur, éprouvé par le déclin de l’industrie. Puis il a ajouté : « Mais savez-vous ce qu’on fait aux Français là-bas ? » J’avouais mon ignorance. « Renseignez-vous, me dit-il. Billingham n’est pas bien loin de Hartlepool… »
La chanson Who hung the monkey ? (« Qui a pendu le singe ? »), écrite par Edward « Ned » Corvan vers 1855, raconte en effet une histoire sordide qui se déroule durant les guerres napoléoniennes (1803-1815). Elle parle d’un navire français échoué non loin de Hartlepool, et de son seul survivant, un singe, habillé avec un simulacre d’uniforme français, qui fut capturé par les habitants. N’ayant jamais vu ni singe, ni Français, ils décidèrent d’organiser un procès séance tenante pour juger cet espion français qui refusait de répondre aux questions malgré la torture. Le singe fut finalement pendu haut et court et les habitants de Hartlepool sont depuis surnommés les Monkey Hangers (« pendeurs de singe »)…
Mais quelles sont les sources de cette histoire ? D’après les historiens, Edward Ned Corvan a écrit cette chanson en s’inspirant d’autres chants, notamment The Baboon (« Le Babouin »), qu’il aurait entendu sur la côte de Newcastle, plus au nord ; il retracerait une histoire véridique, celle d’un singe arrivé en Angleterre avec des soldats cosaques. À Hartlepool, il s’agirait donc d’une chanson ayant créé une véritable légende locale, et non l’inverse. Cela dit, un doute subsiste pour certains historiens sur l’identité du pendu puisque de jeunes garçons, surnommés powder-monkeys, étaient embarqués à bord des navires de guerre pour amorcer les canons avec la poudre. Cette version n’a cependant pas été retenue par l’imaginaire collectif des habitants de Hartlepool qui chantent toujours Who Hung the Monkey ? pour soutenir leurs équipes de football et de rugby.
La légende a également inspiré une bande dessinée à Wilfrid Lupano et Jérémie Moreau, Le Singe de
Hartlepool (Delcourt, 2014).
Anaïs Boulay