Par François Vivier – Le premier volet de cet article (CM 272) examinait les textes réglementaires s’appliquant aux voiliers monocoques non pontés de moins de 6 mètres de long, avant de déterminer comment calculer et positionner les volumes de flottabilité. Il est désormais de faire des essais pour vérifier que « ça marche ».
Sur un bateau dont la coque a été construite en bois époxy, il est possible de faire des caissons étanches dotés de trappes d’accès du type de celles que l’on trouve sur les dériveurs légers. La norme 12217 exigeant un test d’étanchéité, il faut être très soigneux au moment de refermer le caisson par collage pour être certain qu’il n’y aura pas de fuite. Pour autant, la mise en œuvre est difficile, car cette même norme impose de vérifier l’étanchéité quand le caisson est en surpression… Or les trappes de visite ne sont alors plus étanches. Une solution pragmatique – mais non conforme à la lettre – peut consister à s’assurer que les caissons sont restés secs ou presque après avoir laissé le bateau chaviré d’un bord et de l’autre ou même après qu’il est resté totalement retourné durant un quart d’heure.
Il est également possible de faire des caissons non étanches – solution qui s’applique à tous les types de construction – à condition de les remplir de volumes de mousse de flottabilité à cellules fermées. On peut alors installer des drains et d’éventuelles prises d’air. Les plaques de polystyrène extrudé dont on se sert pour isoler les combles- d’une maison – densité de 25 à 35 kg/m³ – conviennent très bien comme remplissage. Attention toutefois à ne pas utiliser de polystyrène sur une coque en polyester, car il serait dégradé par les solvants employés. Par ailleurs, si on ajoute des caissons sur un bateau en bois classique, il faut prendre garde de ne pas empêcher l’air de circuler pour éviter la pourriture. On peut aussi contourner ce problème en réalisant des caissons démontables.
Il est également possible d’ajouter de la flottabilité sans construire de caissons, par exemple en utilisant des volumes gonflables com-me ceux – certes un peu petits – dont sont dotés les Optimist, ou comme les défenses souples, chè-res mais robustes. Il faudra alors veiller à ce qu’ils soient bien assujettis au bateau, les forces devant être très importantes une fois ce dernier rempli d’eau. On peut aussi emballer de la mousse de flottabilité souple (polyéthylène à cellules fermées) dans une toile qui rappelle l’esprit traditionnel du bateau. Pour ce faire, les « frites » vendues comme accessoires de piscine sont bien adaptées, comme les matelas de camping dont on multiplie alors les couches. On peut encore, une fois le bateau à l’eau, se servir de ses défenses ou des rouleaux qui ont servi à le déplacer sur la plage, ce qui a l’inconvénient toutefois d’obliger à un peu de matelotage entre les temps de navigation et de manutention. Enfin, solution plus high-tech, il existe des sacs à gonflage automatique qui se fixent en tête de mât.
Essai de redressement et de flottabilité
La norme iso 12217 concerne tous les types de bateaux de plaisance, les voiliers monocoques non pontés de moins de 6 mètres de long – ceux qui nous intéressent ici, car a priori chavirables – étant traités dans le dernier de ses trois volumes. Celui-ci (le 12217-3) décrit un mode opératoire d’essai tout à fait réaliste que nous allons illustrer ici grâce notamment aux tests réalisés au début de l’autom-ne dernier sur les bateaux cons-truits par Skol ar Mor, le cen-tre- de formation à la charpente navale traditionnelle de Mesquer (Loire-Atlantique). Attention, si la norme concerne les bateaux neufs, y compris les constructions amateur, il est tout de même conseillé d’examiner son application sur les bateaux anciens pour s’assurer tout simplement de leur niveau de sécurité.
Deux tests sont à réaliser, un essai de redressement après chavirage et un essai de flottabilité. Pour le premier, réalisé en eau calme, les voiles de près sont établies, la dérive est descendue et verrouillée en position basse si un dispositif le permet. Le bateau a préalablement été doté de ses équipements normaux, y compris le moteur – que l’on prendra soin, bien entendu, de remplacer par un objet de poids et de flottabilité équivalents et placé au même endroit.
Le bateau doit être chaviré approximativement à 180 degrés ou jusqu’à l’angle d’équilibre maximal atteignable, après quoi l’équipage se met à l’eau, à côté de la coque retournée. Durant les cinq minutes qui suivent, on attend… le bateau ne devant pas couler, ni le gréement toucher le fond. En-suite, on doit pouvoir le redresser, sans aide extérieure. Seuls trois essais sont permis, chacun limité à cinq minutes. Si une personne seule n’y parvient pas, on ajoute du monde à la manœuvre, mais alors on sera toujours censé naviguer avec cet équipage « minimum ».
Après que le bateau a été re-dres-sé et qu’une personne d’un poids d’au moins 75 kg est remontée à bord, le bateau doit flotter avec suffisamment de franc-bord résiduel pour permettre son assèchement par pompage ou écopage. À noter que la position longitudinale de cette personne embarquée peut être optimisée pour obtenir ce franc-bord résiduel.
Le principal inconvénient de ce test est la nécessité d’une profondeur d’eau suffisante, c’est-à-dire supérieure au tirant d’air du bateau gréé. Or pour réaliser l’essai dans des conditions de sécurité satisfaisantes, il est préférable de le faire dans un lieu abrité, voire à proximité d’un ponton. Si ces conditions ne sont pas réunies, il est possible de faire deux tests de redressement – ce que nous avons fait avec les bateaux de Skol ar Mor – : le premier sans mât, bateau chaviré à 180 degrés ; le second bateau gréé chaviré à 90 degrés. Certes ce n’est pas conforme à la lettre de la norme, mais un mât en bois ayant une flottabilité positive, il facilite plutôt le redressement tant qu’il est sous la flottaison. On se place alors dans une configuration plus contraignante.
Le second test consiste à vérifier la flottabilité du bateau envahi et chargé après s’être assuré que le niveau de l’eau est le même à l’intérieur et à l’extérieur. S’il est nécessaire d’équilibrer ces deux niveaux, on fait gîter jusqu’à mettre le plat-bord dans l’eau. Une fois l’équipage, jusqu’au nombre limite de personnes, remonté à bord, le bateau doit flotter avec une assiette approximativement horizontale pendant au moins 5 minutes, avec pas plus du tiers du pont ou du livet submergé. Il est conseillé de prendre des photos et de rédiger un compte-rendu détaillé. Cela peut être utile, en particulier si le bateau est impliqué un jour dans un accident.
Outre le fait de vérifier la correspondance aux normes, ces essais sont également la meilleure façon d’être préparé à un chavirage, événement qui arrive souvent sans pré-venir. Cela permet par exemple de découvrir des problèmes, même sur un bateau de série : la barre ou les planchers qui partent en flottant, la dérive qui rentre dans son puits, le mât qui s’échappe de son emplanture, l’écope qui est trop petite – à noter au passage qu’un seau en toile est très utile à bord –, etc. Cela permet aussi d’apporter des améliorations : adoption de quilles de bouchain qui permettront la préhension au moment de redresser, perçage dans la dérive pour la doter d’un erseau permettant de la sortir du puits par l’extérieur, ajout de réserves de flottabilité…
Nos connaissances autour des voiliers monocoques non pontés de moins de 6 mètres de long étant désormais précises, nous traiterons dans un prochain article des autres cas : bateaux creux de plus de 6 mètres, voiliers ayant une raideur à la toile suffisante pour réduire le risque de chavirage, canots d’aviron, bateaux à moteur…
A lire
Le chavirage – Comment rendre son bateau redressable ?
Le premier volet de cette série d’articles concernait la maîtrise du risque de chavirage. Aujourd’hui, nous abordons les aspects conceptuels, à savoir comment faire pour qu’un bateau soit apte à être redressé et vidé après un chavirage. Les prochains articles aborderont des aspects plus pratiques.
Les bateaux auxquels ça ne devrait pas arriver…Le chavirage – Le temps des essais
Les deux précédents articles ont traité des voiliers chavirable pouvant être redressés, soit essentiellement les dériveurs légers et les canots voie-aviron. Mais quand la taille et le poids d’un bateau creux augmentent, la possibilité cde le redresser devient très aléatoire… Et si le bateau est principalement propulsé par un moteur, alors le chavirage ne peut plus être considéré comme un événement « normal ».