Par Philippe Urvois – Accompagner les enfants à la pêche à pied est une façon agréable et efficace de les sensibiliser à l’univers maritime. Exemple d’une de ces sorties, dans un milieu rocheux…

Une épuisette garnie de moules cassées pour pêcher les crevettes. © Mélanie Joubert

Pour chausser ses bottes, on choisira une marée de vive-eau (avec un coefficient de plus de 70), qui découvre suffisamment les rochers. On aura aussi vérifié l’état sanitaire des lieux de pêche auprès des pouvoirs publics (<pecheapied-responsable.fr>). L’idéal est d’être à pied d’œuvre une heure avant la marée basse et de repartir une heure après le début du flot, pour éviter de se laisser surprendre.

À l’étage des spaghetti de mer

On commencera par descendre jusqu’au bord de l’eau : cette zone, appelée étage infralittoral par les naturalistes, n’est découverte que brièvement (un dixième du temps) et abrite des espèces franchement marines, comme les laminaires. Ces longues algues brunes, aisément repérables, fixées aux rochers par des crampons, ne montent pas plus haut sur les grèves. Elles cohabitent souvent avec une autre variété d’algues brunes, de 2 à 4 mètres de long, s’étalant comme une fine chevelure à la surface de l’eau ou sur les rochers : Himanthalia elongata. Surnommée « spaghetti de mer », elle est comestible et peut être ramassée par les enfants, de préférence au printemps, quand elle est tendre. De retour à la maison, elle sera rincée, blanchie 5 minutes dans l’eau bouillante, puis plongée dans un saladier d’eau glacée qui fixera sa couleur, devenue verte. On pourra ensuite la poêler rapidement au beurre et la servir en accompagnement d’une viande, à la manière de haricots verts, ou la déguster froide, assaisonnée d’une sauce japonaise : 3 cuillérées à soupe de sauce soja ; 1 cuillerée à soupe et demie de vinaigre de riz ; 1 cuillerée à soupe et demie d’eau et 1 cuillerée à café de sucre en poudre. Les puristes y ajouteront une pincée de graines de sésame torréfiées à la poêle. Délicieux, plein de vitamines et d’oligoéléments…

À ce niveau de l’estran poussent également des petites algues rouges, comme la « mousse d’Irlande » (Chondrus crispus) dont les frondes sombres ont parfois des reflets bleutés et l’aspect d’une salade frisée. Les enfants peuvent en récolter une bonne poignée pour tester ses propriétés gélifiantes et épaississantes. Une fois rincées, elles seront mises à bouillir un quart d’heure dans du lait. Après en avoir retiré les algues, ils y ajouteront du sucre et du cacao en poudre : en refroidissant, cette préparation se transformera en flan au chocolat…

Mini casiers à crevettes

La partie basse de l’estran abrite également de nombreux animaux. Les laminaires constituent par exem­ple l’habitat du bouquet (Palameon serratus). Cette grosse crevette au corps translucide et délicatement strié se nourrit de débris d’algues ou d’animaux. On la capture traditionnellement avec une épuisette ronde d’au moins 20 centimètres de diamètre, passée au hasard dans les algues et autour des roches. Cela demande cependant un minimum de savoir-faire. Les enfants peuvent donc utiliser une autre méthode : après avoir disposé des moules ou des berniques écrasés au fond de leur épuisette – on peut aussi y attacher une tête de maquereau – ils la posent à plat dans les mares ou dans les recoins sombres des rochers immergés. Au bout de deux à trois minutes, ils la relèvent d’un coup de poignet sec : la crevette, attirée par la nourriture, restera piégée.

Ce mode de pêche sera particulièrement efficace dans les failles ou l’eau commence à remonter, car les crevettes suivent la marée. Il permettra également de capturer des étrilles (Necora puber), crabes reconnaissables à leurs carapaces recouvertes d’une sorte de velours brun et à leurs pattes arrière aplaties, qui leur permettent de nager.

Les enfants remonteront ensuite vers le haut de la grève, dans la zone régulièrement découverte par la marée, ou étage médiolittoral. On pourra alors leur expliquer les contraintes de ce milieu : en attendant la marée, les animaux doivent se cacher sous les pierres ou dans leur coquille pour résister au froid ou à la chaleur, tandis que ceux qui restent dans les mares affrontent de fortes variations de température, de salinité ou d’oxygène. Seules des espèces adaptées à ce milieu peuvent vivre là…

Dans les mares, on pourra pêcher la crevette rose (Palameon elegans) à l’épuisette, comme le bouquet. Les enfants pourront aussi se fabriquer un petit casier avec une bouteille en plastique : il suffit de couper sa partie haute jusqu’à la base du cône, de la retourner et de l’emboîter dans le corps de la bouteille. Garni de quelques moules écrasées, ce casier miniature est plongé dans une mare. Au bout de quelques minutes les crevettes y pénétreront…

Dans cette zone abondent aussi les crabes verts (Carcinus maenas), comestibles quoique moins goûtés que l’étrille. Les enfant peuvent s’exercer à les attraper : d’une main, on immobilise le crabe contre le sol en appuyant sur sa carapace. De l’autre main, on le saisit ensuite entre le pouce et l’index, juste derrière les pinces. En le retournant, on pourra aussi examiner la forme de sa languette ventrale : si elle est triangulaire, c’est un mâle. Si elle est arrondie, c’est une femelle.

Berniques casanières

Sous les algues et les pierres – qu’on remettra en place soigneusement ensuite – on ramassera également des bigorneaux noirs (Littorina littorea). Pour être sûr de ne pas les confondre avec leurs « cousins » sans valeur culinaire, il faut examiner leur coquille autour de l’opercule : elle doit être blanche et non nacrée. Plus tard, on les laissera dégorger 1 heure dans de l’eau, avant de démarrer leur cuisson à l’eau froide, salée et poivrée. Le feu sera coupé dès ébullition et on les y laissera refroidir, avant dégustation…

La sortie se conclura en examinant de près une bernique (Patella vulgata). Sa coquille épouse parfaitement la forme du rocher, ce qui lui permet de garder une petite réserve d’eau pour respirer en attendant la marée haute. C’est efficace mais contraignant : à chaque marée basse, elle doit revenir exactement à la même place !

Une dizaine de ces gastéropodes – abondants – seront récoltés. Après les avoir plongés deux minutes dans l’eau bouillante, on ne gardera que leurs pieds, qui seront replacés dans leurs coquilles avec un beurre aillé, persillé, salé et poivré. On les passera cinq minutes au grill après les avoir recouvert de chapelure… Succès garanti.

1. Himanthalia elongata
2. Chondrus crispus,
la « mousse d’Irlande »
3. L’art de tenir un crabe vert (Carnicus maenas)
4. La languette ventrale du crabe est triangulaire : c’est un mâle !
5. Berniques (Patella vulgata)
6. Une colonie de bigorneaux noirs (Littorina littorea)