Bateau emblématique de la pêche à Islande, la goélette figure parmi la -flottille morutière du grand port flamand dès la Restauration, mais il s’agit alors d’un type de gréement plus que d’un navire spécifique. Il faut attendre le -milieu du XIXe siècle pour que les constructeurs, s’inspirant de leurs homologues -nord-américains, lancent les premières goélettes “Balaous”. La quête arrière -prononcée de leur mâture caractérisera longtemps la silhouette des goélettes dunkerquoises.
Entre 1850 et 1870, chaque année, près de 70 goélettes quittent Dunkerque pour Islande. Toujours construites sur place, elles sont bordées sur membrures en chêne et orme de l’arrière-pays, chevillées en cuivre ou en fer galvanisé ; leurs mâts sont en pin, importé de la Baltique. Devant travailler plus de six mois de l’année par des mers particulièrement fortes où les déferlantes sont monnaie courante, leur échantillonnage est en conséquence et leur longévité atteint couramment 25 ans.
La taille de ces goélettes évolue au cours du XIXe siècle, la longueur passant progressivement de 20 à 27 mètres, -voire 30 mètres en toute fin de siècle. Le maître-bau -varie de 6 à 7 mètres, tandis que le tirant d’eau, dicté par les -infrastructures portuaires, reste quasi immuable aux environs de 3,50 mètres.
La grande majorité des constructeurs sont eux-mêmes armateurs à Islande ou alliés à des familles d’armateurs, ils travaillent en parfaite symbiose avec leur milieu et acquièrent une expérience exceptionnelle dans la mise au point d’un type de bateau propre à satisfaire les capitaines d’Islande les plus exigeants. Ceux-ci recherchent d’abord et avant tout un navire “pêcheur”, car on ne part pas six mois à Islande pour naviguer, mais bien pour ramener du poisson, le plus de poisson possible.
Pour avoir un jour la chance d’être désignée “Reine de l’année”, la goélette doit, dans l’ordre, être susceptible de bien tenir la dérive, avoir un plan de pont -dégagé, posséder un grand volume -porteur, et enfin être capable de se relever d’une côte sous le vent ou de changer de lieux de pêche sans trop traîner lorsqu’un coup de temps menace.
A Islande, contrairement à Terre-Neuve, les hommes ne quittent pas le navire, ils pêchent alignés au vent, le long du -bastingage, à la ligne individuelle, le -bateau en dérive par rapport au vent et au courant. Cette dérive doit correspondre à un subtil équilibre entre forme de coque et réglage du plan de voilure ; si elle est trop rapide, les lignes sont à long pic et le pêcheur ne sent pas le poisson mordre, de plus, il faut, trop souvent “reprendre ses eaux”, c’est-à-dire revenir sur les lieux de pêche, perdant ainsi de précieux instants pour la pêche elle-même. Si la dérive est trop lente, le bateau risque de passer sur les lignes, provoquant d’inextricables sacs de nœuds…
Le plan de pont est organisé en fonction du mode de préparation et de conservation de la morue des marins du Nord, dit “à la Hollandaise”. Vidée, étêtée, puis tranchée et lavée, la morue est mise à égoutter pendant quelques heures dans de grands paniers (mandes). Elle est ensuite relevée avant d’être une -première fois paquée. Le saleur la dispose en rond dans une tonne (tonneau contenant 135 kilos de poissons), la saupoudrant à chaque fois d’un “plat de sel”. Lorsque la tonne est pleine, elle est recouverte d’un prélart et arrimée sur le pont pendant quelques jours. Passé ce délai, les tonnes sont vidées (dépotées) de leurs poissons qui sont à nouveau lavés et nettoyés minutieusement et remis en tonne avec du sel neuf. Le tonnelier s’assure de leur étanchéité et alors -seulement les tonnes sont descendues en cale. Toutes ces opérations -nécessitent de l’espace. C’est pourquoi la cuisine se fait dans le poste d’équipage et non sur le pont comme sur les goélettes bretonnes. Pendant la durée de la campagne, le canot est suspendu à des pistolets à l’extérieur du tableau et les espars de -rechange (la drome) sont installés le long du beaupré.
De la place, il en faut aussi en cale où le nombre de tonnes embarquées -détermine les capacités de pêche ; si, en fin de campagne, les tonnes viennent à manquer, les morues sont stockées directement en cale (grenier), mais ce type de traitement est très peu prisé des armateurs dunkerquois.
Les goélettes du Nord ont un maître-bau important et des formes très pleines, ce qui n’avantage pas leur marche, mais la notion de vitesse est d’un intérêt relatif ; il suffit que le navire puisse se -relever lorsqu’il est rafalé à la côte, ou qu’il soit capable, en -équipage réduit, de louvoyer correctement pour retrouver le banc de poissons qu’il a quitté du fait de sa dérive. Les -goélettes dunkerquoises ne sont pas construites pour la marche, cependant, entre deux campagnes d’Islande, les plus grandes d’entre elles sont expédiées au -cabotage sur les côtes européennes, de la Baltique à la Méditerranée. La moyenne alors constatée sur des -parcours aussi variés reste dans les standards de l’époque pour des navires de cette taille (4 à 6 nœuds).
Successivement taillée dans de la toile de chanvre, de lin puis de coton, la voilure d’une goélette est d’environ 850 m2. Elle est -composée, à l’avant, de quatre focs de 50 à 890 m2, sur le mât de misaine, d’un hunier à -rouleau et d’une misaine-goélette, sur le grand mât, de la grand voile (250 m2) dont les marins redoutent le gui lors des empannages. Les Dunkerquois ne sont pas adeptes des voiles de flèche, mais ils utilisent parfois une voile d’étai. Ils conservent par contre très longtemps l’usage d’une grande fortune carrée sur la misaine.
Avec sa coque blanche ou noire, son élégante tonture soulignée par un liseré de couleur, la goélette n’arbore qu’une coquetterie, sa figure de proue ; une -tradition qui perdure jusqu’à la fin du XIXe siècle et qui n’est jamais reprise ni sur les lougres ni sur les dundées.
Cette “posture”, comme la nomment les Dunkerquois, est en accord avec le nom du bateau. Si les armateurs, pour baptiser leurs navires, font largement -appel aux qualités reconnues de la gente féminine : Audacieuse, Résolue, -Charmante, Ravissante, Curieuse, ou encore Active et Alerte, ils empruntent également beaucoup au répertoire lyrique de l’époque : Irma, Dame-Blanche, Lulu-Zaza, Norma ou Frigga. La religion, avec la dévotion à Notre-Dame des Dunes est aussi très présente : Etoile du Marin, Etoile de la Mer, Souveraine ou foi et Espérance. Contrairement à une croyance bien ancrée, toutes les goélettes ne portent pas un nom -féminin : il existe des Amiral L’Hermite ou Courbet, qui font, il est vrai, figure d’exception !
Construite à plus de 200 unités pendant près d’un demi-siècle par les même chantiers, selon la tradition, la goélette dunkerquoise possède l’équilibre et l’harmonie des outils parfaitement adaptés, dans le temps et dans l’espace, à leur destination.