A l’apogée de la pêche bretonne à Islande, Paimpol y envoie 80 goélettes, armées par 1 900 marins. Peu de navires ont enflammé l’imagination comme les goélettes d’Islande, sans doute grâce au succès populaire du roman de Pierre Loti, Pêcheurs d’Islande, et à la consonance proche des noms de goélette et de goéland. Ce type est arrivé à une élégance réelle au début du XXe siècle.
En 1852, Louis Morand, armateur au cabotage, éleveur d’huîtres, négociant, brasseur, épicier, arme la première goélette paimpolaise à destination d’Islande ; il sera suivi dès 1857 par les armateurs des autres ports de la baie (Le Portrieux, Binic, Le Légué, Dahouët). Après bien des mécomptes, ces derniers ont compris vers 1870 la nécessité d’une politique sérieuse d’investissements, notamment au niveau de la construction navale. Jusque-là, l’essentiel de la flottille bretonne se composait de bâtiments hétéroclites et âgés, sloups, lougres et goélettes anciennes, achetés d’occasion dans les ports de Normandie ou du Nord.
L’intérêt des Bretons va se porter exclusivement sur un nouveau type de goélette, conçue sur place, spécialement adaptée aux conditions de pêche à Islande grâce au développement de ses qualités nautiques (vitesse montant à 10 nœuds, possibilité de se relever des dangers de la côte en cas de vent du large), à l’accroissement du tonnage (embarquement d’un équipage optimum de 24 à 26 hommes) et au renouvellement fréquent en neuf (maintien en pêche de 10 à 15 ans seulement). Ces progrès n’éviteront pas les catastrophes : en 1873, une vingtaine de goélettes bretonnes est surprise par un ouragan de Sud-Est portant à terre : 5 navires sont jetés à la côte et perdent 69 hommes. En 1901, lors d’une tempête, les navires à la cape sont projetés les uns sur les autres : les rafales de vent venues des glaciers ont gelé les cordages, empêchant les navires de manœuvrer ; 111 hommes, dont 74 du quartier de Paimpol, disparaissent. Ces sinistres, qui frappent souvent des villages entiers, ont un tel retentissement qu’on en vient à oublier que les risques encourus à la pêche d’Islande ne sont pas statistiquement supérieurs à ceux des autres genres de navigation.
Après 1870, ces nouvelles goélettes sont construites dans les chantiers de Paimpol, Binic, Saint-Malo, La Richardais ou parfois en basse Loire. Elles évoluent vers un type bien caractérisé qui les différencie de leurs homologues de pêche et de celles de cabotage.
Construite en chêne et orme, la goélette de pêche jauge 185 tonneaux bruts en 1913, mesure 35 mètres de long, 7,50 mètres de large au plus fort, tirant d’eau arrière en charge 4,50 mètres et avant en charge 3,20 mètres. La voilure, plus basse que celle des caboteurs, se compose d’une grand voile, dite “goélette” (goueletenn) ou “latine”, à bordure libre (pas de rouleau) et deux ris. Les cercles inférieurs de mât (rakennou) sont supprimés de façon à pouvoir diminuer la toile sans prendre de ris en pesant le point d’amure (et le cas échéant en choquant la corne). Ceci donne à la voile, quand elle est ferlée sur la corne, une apparence caractéristique, car elle reste séparée du gui sauf au niveau du point d’écoute. La misaine goélette (goueletenn vizan) se serre en rideau (girafe). Le beaupré, contrairement à celui des goélettes de cabotage, est doublé d’un bâton de foc et porte un clin foc (fok ’n eil), un petit foc (fok bihan) et un grand foc (fok braz). La trinquette (trenkedenn) amurée près de l’étrave se serre en boudin sans être descendue, et les focs sur le bâton de foc.
Le hunier carré (kestell, gouel gestell) est en général unique et utilise le système du rouleau commandé depuis le pont. Est-ce une invention dunkerquoise ou paimpolaise ? Il est plus probable qu’il y a là deux adaptations locales d’un système déjà connu. Les petites voiles (goueliou bihan), voile d’étai (gouel dragon) et flèche (flech dreoñ), sont très souvent portés, contrairement à leurs homologues du Nord. Le tout, avec la voile carrée utilisable par vent portant et la fortune (gouel fortun), fait environ 480 à 500 m2 pour une longueur de 32 à 35 mètres sans la guibre.
Les deux mâts sont plus verticaux qu’autrefois. Quelques unités, souvent pour avoir la possibilité de faire la campagne à Terre-Neuve, portent le hunier double à l’ancienne, concurremment avec un guindeau plus fort et une demi-dunette soulignée par une fargue. La barre est franche ou à roue avec protection d’une “tortue”.
La goélette bretonne perd de la hauteur sur l’eau pour faciliter le hissage du poisson à bord. Par contre, pour se défendre mieux de la mer de l’avant, la guibre se relève en suivant la tonture générale marquée. On abandonne les ornementations anciennes, figures de proue, queues de violon, pour prendre cet élancement curviligne élégant qui la différencie des avants droits des dundées et de l’ornementation de volutes et feuilles d’acanthe des caboteurs. La voûte arrière est plus marquée et la différence de tirant d’eau avant/arrière est plus accentuée. Les fonds sont en général doublés en cuivre.
Les goélettes de Paimpol, qui bénéficient d’un bassin à flot, et ne font pas en principe de cabotage d’hiver dans des ports à échouage, peuvent adopter des fonds plus fins que celles de Binic et de Dahouët, engagées entre deux saisons de pêche aux livraisons de pommes de terre, comme les caboteurs.
On reconnaît le pont des bretonnes à la présence de la cabane de cuisine et, après 1895, à la présence de deux canots emboîtés sur chantier, tandis que les goélettes et dundées dunkerquois portent leur embarcation unique sur des “pistolets” à l’arrière.
Dans les années 10, les officiers de la Station de surveillance d’Islande constatent les progrès importants accomplis par les goélettes paimpolaises, tant pour les qualités nautiques que pour l’habitabilité. Le problème majeur provient de l’importance des équipages (24 à 26 hommes, chiffre déclaré chez les Bretons, contre 18 chez les gens du Nord) et de la difficulté à augmenter la taille des navires sans avoir recours aux goélettes à trois mâts, difficiles à équilibrer en pêche. Dahouët aura la particularité d’armer quelques goélettes à trois mâts avec 30 hommes. Il sera quand même possible d’améliorer la logeabilité dans le poste et de supprimer les couchettes humides dans le pic avant, en augmentant le -tonnage et en gagnant sur la cale des goélettes classiques.
Le manque de place, combiné à la présence des coffres de marins encombrants, n’était pas sans déclencher çà et là des commentaires peu favorables sur le désordre, et même la crasse, des navires armoricains. Mais les excellents résultats obtenus lors des inspections de propreté des navires font cependant douter de la pertinence des critiques. Une controverse va prendre naissance à la même époque sur la qualité de la construction paimpolaise, jugée trop rapide. Une étude un peu attentive des accidents analysés dans les rapports de mer démontre facilement qu’ils ne se sont pas produits à cette date et qu’ils ne concernent pas les chantiers de Paimpol.
Ceci est confirmé par l’avis que le commandant de la Station, en 1914, formule sur les goélettes bretonnes à la fin de la période islandaise : “Elles marchent mieux et les dernières mises en service sont beaucoup plus confortables. Un grand progrès a été réalisé par les constructeurs de Paimpol au moment où la goélette de pêche est sur le point de disparaître. Il est probable qu’ils n’en auront plus à construire beaucoup désormais. Cette année il y en avait quinze de moins que l’an dernier.”