C’est au cours d’une promenade du poète Samuel Coleridge avec son ami et frère de plume William Wordsworth en 1797, que s’ébauche le Dit du vieux marin. Ce long récit d’errance, nouvelle Odyssée fondatrice du romantisme, connaîtra un immense succès.
Coleridge impose le volatile au bestiaire du siècle, comme un représentant de ce monde surnaturel, mystérieux, auquel sa poésie entend faire une place, « de crainte que l’esprit accoutumé aux petitesses de la vie ne se rétrécisse trop. » Nous citons ici la traduction de Bertrand Bellet.
À la fin nous croisa un Albatros,
Il surgit dans le ciel brumeux ;
Et le saluant comme une âme chrétienne,
Nous criâmes le nom de Dieu.
Il mangea des mets inconnus de lui,
Et resta autour à voler.
La glace se fendit – bruit de tonnerre –
Et le barreur nous fit passer !
… Puis un bon vent du sud se mit d’arrière ;
L’Albatros suivit notre train,
Et chaque jour, pour manger ou jouer,
Il vint à l’appel des marins !
Las, le marin commet l’irréparable et met à mort l’oiseau fatidique. Le vent salutaire s’éteint, la soif et la faim font des ravages… Les marins unanimes accablent le meurtrier…
Autour, en une cohue tournoyante,
La nuit, les feux de mort dansaient ;
L’eau, comme les huiles d’une sorcière,
Verte, et bleue, et blanche brûlait.
Ah ! quelles journées ! quels regards mauvais
Des jeunes et vieux je reçus !
À la place de la croix, l’Albatros
Autour du cou me fut pendu.
Une cinquantaine d’années plus tard, Charles Baudelaire fait du « prince des nuées » le symbole du « poëte », fait pour les sphères les plus élevées, mais complètement paumé dans le monde terrestre.
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’Azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
L’auteur et chanteur populaire Michel Tonnerre ravivera dans les années 1970 les croyances liées aux pétrels et autres albatros, incarnations d’âmes de marins damnés invoquées dans sa chanson Sataniclès (surnom du pétrel-tempête) :
– D’où viens-tu, oiseau de mer ?
– J’arrive d’une grande île
Vous annoncer que la terre
Est proche de quelques milles.
– Est-ce vous, capitaine Trood,
Qui vous posez sur le pont
Lorsque s’écorchent nos coudes
Au bois du mât d’artimon ?
Et me reconnaissez-vous
Capitaine Trood, moi qui, de vous,
Ai pris cent coups de bâton
À charge de punition ?
Dites-nous que terre est proche
Et que les vents sont portants
Sonne l’heure de la bamboche
Attendue de si longtemps !
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L’albatros : Mythes et réalités, article publié dans le Chasse-Marée n°52 en octobre 1990.
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