Durant des siècles, faute de ports, seul l’échouage est possible sur les côtes plates et sablonneuses du Calvados. Dans la dernière décennie du XIXe siècle, Port-en-Bessin, Honfleur et Trouville sont aménagés et deviennent des abris sûrs, tandis que Grandcamp verra encore longtemps ses bateaux fatiguer au mouillage sur le plateau des Cordiers, son port à flot n’étant construit qu’en 1926.

Dessin Barque chalutière de la Manche
Barque chalutière de la Manche © J. P. Guillou

La généralisation de la pratique du chalut, et l’aménagement de bassins abrités, va apporter un changement radical dans l’évolution et la conception des bateaux de pêche de Basse-Normandie. La pêche au chalut, autorisée en Manche dès 1729, est d’abord pratiquée sur les rivages de Basse-Normandie, notamment dans l’amirauté de la Hougue. Au XIXe siècle, seul Saint-Vaast-la-Hougue, sur la côte Est du Cotentin, offre un abri relativement sûr. Abandonnant du même coup la pêche de dérive au maquereau d’Irlande et ses grosses bisquines, ce port commence à armer des sloups pour le chalut et la drague des huîtres.

Jusqu’alors les métiers pratiqués le long de ces rivages bas et peu hospitaliers consistent essentiellement en pêches de dérive. Ainsi, ce sont ces embarcations à fond plat, gréées en houry, les plattes, qui traquent le hareng jusque sur les côtes hollandaises et anglaises.

Le chalutier à voiles doit être un bateau puissant, dérivant peu pour permettre la traction de la “chausse” sur le fond. La construction sur quille est la meilleure garantie de cette qualité. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l’évolution du bateau à quille atteint rapidement sa perfection. L’arrière rond disparaît au profit de la voûte, donnant ainsi plus de place sur le pont.

La voilure divisée caractérise les bateaux voués aux pêches de dérive : le lougre, le houry, la bisquine, commencent à évoluer vers celle, plus simple, de barque. Dans l’amirauté du Havre, cette évolution semble imitée dès la fin du XVIIIe siècle.

Ce gréement autorise une puissance de traction importante, grâce, en partie, à la grand voile qui est bômée. Celle-ci n’est pas transfilée sur l’espar, ce qui permet de régler la vitesse en faisant varier la position du point d’amure, situé sur l’extrémité avant de cette bôme.

Les pêcheurs de Port-en-Bessin hissent encore au -cabestan leurs barques sur la grève dans les années 1850. C’est pourquoi les dimensions restent limitées et que la longueur de ces coques aux formes lourdes ne dépasse guère 12 mètres. L’adoption du gréement de barque -modifie les formes de carène, en apportant une légère mise en différence des tirants d’eau. Celles-ci ont commencé à s’affiner, de manière différente, dans les divers ports de chalutage : à Trouville et Dieppe, les varangues sont plus relevées qu’à Port-en-Bessin et Grandcamp. Les chantiers de ces localités lancent des barques chalutières longues de 15 à 17 mètres.

Dieppe, qui abandonne le hareng plus tardivement que les ports de Basse-Normandie, pratique le chalut avec des barques du même type, mais d’une taille légèrement plus importante.

Vers 1910, les barques atteignent de telles dimensions (18 à 20 mètres) que la grand voile à corne devient -difficile à manœuvrer et que certaines adoptent le gréement de dundée. A partir des -années 1920, les chantiers de Fécamp se font une réputation dans la -construction des grands dundées mixtes armés à Port-en-Bessin comme à Trouville. Les voiles ne seront définitivement abandonnées qu’au moment où l’on fera vraiment confiance au moteur… c’est-à-dire peu avant 1940.

Les dispositions d’aménagement, à l’intérieur et sur le pont, sont semblables. A l’avant, la corde, ou hâlin, passe sur un rouleau enserré par l’étrave et une forte joue placée dans le pavois, la galoche, avant de plonger dans la mer vers le lourd filet : c’est le signe distinctif de ces bateaux qui “poussent” leur chalut. C’est avec le treuil à bras, le moulinet, que quatre matelots virent le chalut à bord. Les hernies ne sont pas rares ! Au début du XXe siècle, les perches atteignent 12 à 14 mètres. Le virage du chalut au moulinet nécessite alors l’aide d’un petit moteur à essence disposé dans le pic avant.

bateau en carénage
Carénage du Jean-Baptiste Léon, de Grandcamp. © DRAC Basse-Normandie

Le rouf de la chambre, où sont disposées une table et des cabanes avec paillasses, se trouve à l’arrière avec sa descente devant le banc de quart et la barre franche. Si le temps le permet, un petit poêle à charbon est mis en -service, le plus souvent pour une matelote. Sinon “on mange au p’tit cidre”, c’est-à-dire du biscuit à soupe trempé dans du cidre. Cinq à six hommes, dont un mousse, forment l’équipage.

Les barques de Port-en-Bessin ont le plus souvent, de chaque côté de l’étrave, des “moustaches” peintes en rouge, jaune, vert, blanc et plus rarement bleu. Ce sont les “faces” à Trouville, dont les bateaux ont la réputation d’être très colorés, avec un goût prononcé pour le vert et le rouge. L’intérieur des -pavois est souvent vert, les fileux et autres taquets de manœuvre sont verts avec les extrémités peintes en rouge. Très souvent, les fusées des mâts sont décorées avec des bandes rappelant les couleurs utilisées pour la coque. Les barques portent souvent en tête de mât un ensemble en fer forgé, comprenant une girouette avec son penon, une croix avec des rameaux bénis, une potence pour hisser le feu ou le pavillon en pêche. Cette pièce, appelée verguillon, disparaîtra après la motorisation des barques, au moment où les pêcheurs abandonneront aussi leurs vareuses blanches pour des vareuses bleues.

A Grandcamp, les coques sont noires, avec un filet or – on ne dit pas jaune – ce dont on est très fier ; les intérieurs de pavois sont gris pâle ou vert très pâle.

Les lieux de pêche ne sont pas exactement les mêmes pour tous ces ports. Ils changent en fonction de la saison. A l’automne, Grandcamp et Port-en-Bessin travaillent surtout sur les côtes anglaises. L’hiver est une saison propice pour la Manche, car le poisson descend de la mer du Nord. Au printemps et en été, les chalutiers traînent très près, souvent trop près, de la côte. Les Trouvillais fréquentent les mêmes eaux, mais certains vont jusqu’en mer du Nord et s’établissent même durablement à Ostende.

A partir de la fin du siècle, le poisson est livré le plus souvent au Havre ou à Cherbourg. Ce dernier port, grâce à sa facilité d’accès et à sa liaison ferroviaire sur Paris, est déjà très fréquenté au temps de la voile et deviendra un port d’armement de chalutiers à vapeur avec des équipages et patrons grandcopais.