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Le chalutier Vigilance, lancé en 1926 à Brixham, sur un conteneur du port de Brest. Il est en cours de restauration à Plymouth. © Mickaël Eymann


Par Virginie de Rocquigny – Les bateaux du patrimoine constituent l’unique motif de Mickaël Eymann, qui travaille sur les quais, à hauteur des gamins, en pleine fête maritime. Cette année, il débute sa saison par la Semaine du Golfe et fera encore naviguer son public sur des dizaines de sous-bocks illustrés !

Mickaël Eymann a trouvé un passe-droit tout aussi efficace qu’un bateau pour se faire une place dans les fêtes maritimes : un stylo. Son atelier itinérant, un chariot en bois fait main, est connu des habitués de Brest, Paimpol, Amsterdam ou Flensburg. Assis sur un minuscule tabouret, assez peu proportionné à sa silhouette massive, l’artiste dessine au ras des quais sur une petite tablette. Des bateaux, toujours des bateaux, et encore des bateaux, croqués d’un trait vif et précis, au stylo Bic et au pastel. « Avec ce chariot, je dessine à hauteur des gamins. C’est important pour moi qu’ils puissent voir ce que je fais », souligne Mickaël Eymann. Peut-être espère-t-il ainsi semer quelques graines, comme son grand-père l’a fait avec lui.

Jean Touraine était l’un des derniers patrons de pêche à la voile en rade de Brest. Il a dragué la coquille Saint-Jacques et le maërl jusqu’à la fin des années 1980 à bord du Loch Monna. Retraité, il a patronné la gabare Notre-Dame de Rumengol après son rachat par l’association An Test. Son petit-fils n’a pas tout de suite attrapé le virus. « Au début, je n’aimais pas trop ça… Et puis en 1990, il m’a emmené faire toute la tournée des fêtes à bord de Rumengol : Morgat, Le Conquet, Lampaul, Le Tinduff… La révélation ! »

« Une période un peu monomaniaque où je ne dessinais que du ketch ! »

Mickaël se met alors à dessiner les bateaux qu’il aime. Il commence par ceux de la rade, qu’il connaît depuis son enfance. Puis il enfourche sa mobylette et part faire la tournée des ports du Finistère pour crayonner les constructions en cours dans le cadre du concours Bateaux des côtes de France du Chasse-Marée. Il affine son regard, compare les gréements et les lignes, accumule les détails. Il puise son inspiration dans les œuvres d’Henry Kérisit, Jean Bellis et Yvon Le Corre, trio de tête de ses idoles. Il s’en démarque néanmoins par des moyens volontairement rudimentaires : en guise de support, à force de traîner dans les bars, il prend goût aux sous-bocks de bière, des cartons ronds qui sont devenus sa marque de fabrique.

Mickaël Eymann se sert de sous-bocks pour représenter au stylo les bateaux du patrimoine (ici, Bessie Ellen). Dans son carnet, il consigne ses recherches sur le gréement avant son dessin final. © Mickaël Eymann

Lors de Brest 92, il arpente les quais sans relâche, se refusant presque à dormir pour ne pas rater une miette de l’événement. « Une claque monumentale », résume-t-il. C’est le début de nombreuses amitiés dans le milieu de la voile traditionnelle et d’une passion jamais tarie pour ces célébrations du patrimoine maritime. Dans sa maison brestoise sont sagement empilées des boîtes transparentes remplies de cartons ronds parmi lesquels on pioche comme dans un album de souvenirs. « Fleur de Lampaul, Notre-Dame de Rumengol… Ils reviennent souvent. J’ai eu une période un peu monomaniaque où je ne dessinais que du ketch ! Ces bateaux me font rêver. »

Certains lui résistent et il s’y reprend année après année jusqu’à obtenir un dessin « qui a de la gueule ». Les gréements au tiers des chaloupes douarnenistes lui ont ainsi donné du fil à retordre… Il a dessiné certaines unités si souvent qu’il repère le moindre changement au fil des ans. « La gabare de l’Iroise André-Yvette, je peux dire précisément de quand date tel dessin ou telle photo, je connais son évolution par cœur depuis sa construction en 1936. J’adore les détails : savoir en quelle année le radar a été installé sur la cabine ou dans le mât par exemple, si tel bout est clair ou foncé… La couleur du pavois de La Granvillaise, tout le monde s’en fout, mais moi j’aime bien ! Je suis très physionomiste en ce qui concerne les bateaux. »

« L’histoire du bateau, c’est ça qui m’intéresse »

Il travaille sur les quais, mais rarement devant son modèle. « Je dessine tout de mémoire mais pour y arriver, je regarde beaucoup chaque bateau, je compte les haubans, les bastaques… » Pour suivre les métamorphoses de ces sujets, Mickaël ne se contente pas d’aiguiser son regard : il parle aussi beaucoup. C’est ce qui donne de la saveur à sa vie d’artiste des quais. « L’histoire du bateau, c’est ça qui m’intéresse. La connexion avec les marins est super importante, j’ai plein d’informations comme ça ! Les gens viennent me voir, me font remarquer ce qui a changé, ils se confient. » À ses débuts, s’il avait l’habitude de dessiner entre vingt et vingt-cinq bateaux par jour, il a réduit la voilure depuis, son réseau se multipliant au fil des ans. « Je passe tellement de temps à discuter que c’est plutôt dix à quinze dessins par jour maintenant. »

Popoff, chalutier lancé en 1946 au chantier Vernazza à La Rochelle, représenté ici en carénage en 2010. © Mickaël Eymann

Mickaël ouvre sa saison 2025 avec la Semaine du Golfe dont il est un fidèle depuis les débuts. Chaque année, l’artiste balade son chariot et ses stylos dans une dizaine de fêtes maritimes. Il aime les événements authentiques, pas trop commerciaux, « où il y a plus de bateaux que de stands à granités », et apprécie autant les grandes manifestations que les petites fêtes de la mer, comme celles du Tinduff ou de Pors Beac’h, en rade de Brest. Le patrimoine fluvial l’intéresse autant et il apprécie particulièrement les fêtes des ports de La Possonnière ou du Thoureil, sur la Loire.

Son atelier itinérant calé dans le coffre de sa voiture, il bourlingue jusqu’en Hollande, au Danemark, en Belgique ou en Allemagne. La Rumregatta de Flensburg fait partie de ses événements favoris. « J’ai été bercé par l’idée que les Bretons étaient les meilleurs dans le domaine du patrimoine maritime, reconnaît le Finistérien. Et puis en 2000, la première fois que je suis allé en mer Baltique, passée la première écluse, quand j’ai vu les estacades en bois, j’ai découvert un nouveau monde, une culture maritime phénoménale ! » Depuis, il voyage au moins une fois par an en mer Baltique pour y croquer des bateaux.

Travaillant sur le port de Brest, Mickaël ne se prive pas de dessiner sur les conteneurs

Son horizon s’est élargi l’année dernière à la Méditerranée, puisqu’il était invité à Escale à Sète. Parmi ses rêves encore inaccomplis, une virée sur les côtes anglaises de Cornouailles. « Mais j’ai peur de devoir rester six mois tellement il y a de choses que j’aimerais voir là-bas ! » Parmi ses bateaux favoris se trouve un ketch anglais, Keewaydin, actuellement en chantier dans la rivière de Falmouth. « Je suis amoureux de ce bateau, lâche Mickaël. Et j’adorais son patron, qui est malheureusement décédé. » En guise de déclaration d’amour, l’artiste a vu encore plus grand que le dessin : il a passé un an à dessiner les croquis et six mois à fabriquer un modèle réduit navigant du smack, une maquette radiocommandée de 2,25 mètres, qu’il a déjà mise à l’eau lors de plusieurs fêtes maritimes. Il a quelques autres maquettes à son actif, dont celle de Solweig, cotre-pilote de Logonna-Daoulas ayant fait naufrage, ou celle de la gabare Fleur de Mai, en cours de finition.

Si la vente de ses dessins lui procure un petit revenu, Mickaël est aussi cariste-lamaneur en intérim pour la Penn ar Bed, la compagnie maritime qui dessert Ouessant, Molène et Sein. « Quand je suis au port de Brest, je travaille sur le premier éperon, donc je suis aux premières loges pour regarder les bateaux ! » De quoi lui donner forcément envie de dessiner… Ce qu’il ne se prive pas de faire, pendant son temps libre, sur les conteneurs de la compagnie, des supports métalliques et ondulés qui ne lui facilitent pas la tâche. « J’ai commencé à la craie mais les marins se tachaient ! Alors maintenant j’utilise des marqueurs Posca. J’aime voir mes dessins se patiner avec le temps, et puis ça plaît aux gens. Le problème, c’est que parfois je n’ai pas le temps de finir : la boîte part, et je dois attendre qu’elle revienne pour terminer. Là, j’ai un dessin en cours qui est en route pour Le Conquet… »

Mickaël Eymann, ici à Fécamp en 2024, est de toutes les fêtes maritimes avec son atelier itinérant. © Mélanie Joubert

Au total, il a déjà personnalisé vingt-cinq conteneurs qui se promènent en mer d’Iroise. Il a profité de ces grands formats qui s’offraient à lui pour réunir des flottilles qui lui sont chères. Le charpentier de Landéda, Benoît Cayla, a ainsi droit à un conteneur où sont rassemblés Swallow, Rose of Argyll et Maggie Helen.

« Si je gagne au Loto, je construirai un Eel drifter, après avoir donné un billet à tous les bateaux que j’aime… »

Avec ses propres bateaux, Mickaël a connu quelques difficultés. En 2002, il a monté une association pour tenter de sauver le dernier thonier de Morgat, le Gisèle-Roger, construit en 1951 au chantier Keraudren. Après moult déboires administratifs, le Brestois parvient à le récupérer pour un euro symbolique. Le navire a souffert de ses onze ans à l’échouage, il est en piteux état et les avaries se succèdent… « Ça s’est mal fini », conclut pudiquement Mickaël, qui lui a consacré plus de dix ans. Le thonier a été démoli en 2015.

Dans son jardin brestois, l’artiste, qui a une formation de menuisier, s’est aussi lancé dans la construction d’une barge de la Tamise de 6 mètres. « Elle a pourri avant d’être terminée ! J’avais utilisé du bois de mauvaise qualité. Mais c’est pas grave, on a bien bricolé avec mes deux fils ! » Ces mésaventures n’ont en rien émoussé son ardeur. « Je suis passionné par les dragueurs d’huîtres danois, les Eel Drifters. J’aimerais bien en construire un de 8 mètres, transportable par la route. Pour l’instant, je fais des croquis. Je rêve aussi d’un petit cargo. Avec ça, tu peux voyager et trimballer tout ton bazar ! Si je gagne au Loto, c’est ce que je ferai, après avoir donné un billet à tous les bateaux que j’aime… »

Mickaël à bord de Solweig, une maquette navigante qu’il a construite, ici au Port-Rhu, à Douarnenez.

La liste est dressée mais elle s’avère bien trop longue pour être reproduite ici. Et comme le Brestois n’a jamais peur de rêver trop grand, il a aussi prévu ce qu’il ferait en cas de victoire à EuroMillions : « Je reconstruirai le Tropique II, le plus grand dundée mauritanien construit à Douarnenez. J’adore ce bateau. Pour moi, c’est ce qu’on a construit de plus abouti en Bretagne. »

Pour l’instant, toute son énergie est tournée vers l’un de ses (nombreux) bateaux de cœur, Notre-Dame de Rumengol. Très investi dans l’association An Test, Mickaël a mis en place une opération en 2023 pour lever des fonds pour le grand carénage de la gabare. Cela lui a permis de joindre son amour de la voile traditionnelle à une autre passion, tout aussi débordante mais 100 pour cent plastique, le Lego. Deux mondes aux antipodes que l’artiste tente parfois de réunir. Aux Ateliers des Capucins, à Brest, il a ainsi réalisé une fresque de 21 mètres de long, haute de près de 2 mètres, représentant Notre-Dame de Rumengol. Défi relevé avec deux cent cinquante mille briques, ce qui lui vaudra peut-être une mention dans le Guinness Book des records !

Pour les 80 ans du voilier, qui seront célébrés le 28 juin au Tinduff, il se creuse déjà la tête : « J’aimerais bien créer quatre-vingts portraits en Lego de personnes qui ont participé à la vie de ce bateau. » Il y mettra les pionniers de l’aventure mais aussi des charpentiers, des bénévoles, et son grand-père. Celui qui, le premier, lui a donné le goût du patrimoine maritime. ◼

ENCADRÉS

Le Tropique II à Ernest Tanno

Mickaël Eymann rêve de reconstruire le Tropique II, le premier mauritanien lancé en 1932 par le chantier Le Gall de Douarnenez. Ce dundée motorisé, d’un peu plus de 23 mètres, de 112 tonneaux, pouvait stocker 1,4 tonne de langoustes dans ses viviers. Il a été lancé le 1er septembre 1933, pour le compte du patron Ernest Tanno de Tréboul, par grande marée de vives-eaux, devant une foule immense au Port-Rhu.

© Collection Bruno Le Gall / Bagou coz

Un an plus tard, La Dépêche du Finistère du 5 août 1934 relate que Tropique II a mis à la voile la veille avec ses huit hommes d’équipage. Tanno, « un rude gaillard de 35 ans, au teint basané », croisé sur les quais, raconte au journaliste le but de sa campagne : « Je pars tout droit pour Saint-Louis du Sénégal, pour pratiquer la pêche à la langouste verte, entre le Cap-Vert et le cap Blanc. Si les vents me sont propices, j’y serai dans une vingtaine de jours. J’ai à mon bord des vivres pour trois bons mois, je ne mouillerai qu’en cas de force majeure […]. Il y a quatre semaines que je suis rentré de Dakar. La pêche était excellente, nous avions au vivier 11 000 kilos de langoustes, mais dès l’arrivée au port nous constations avec angoisse une grande mortalité dans nos crustacés, ainsi le cœur serré nous dûmes jeter à la mer 5 000 kilos. Les frais étant très importants nous pûmes tout juste les couvrir. Mes hommes découragés mirent alors sac à terre. Après quatre semaines d’attente j’ai pu reformer mon équipage. Nous partons avec beaucoup d’espoir et aussi avec beaucoup de courage. »

Le patron Tanno a disparu en mer deux ans plus tard, fin décembre 1937, à 39 ans, dans la mer des Antilles, emporté par une lame alors qu’il maniait le loch. C’est un autre dundée, le Mont-blanc, qui apporta la nouvelle à Douarnenez trois mois plus tard. Le Tropique IIa été vendu à Henri Balannec, et semble avoir ensuite quitté Douarnenez. N. C.