Par Louise Cognard, photographies de Mélanie Joubert - Qu’ils soient sous les feux des projecteurs du Musée Maritime de La Rochelle ou bichonnés dans l’atelier, la centaine de dériveurs de l’association Petite Plaisance ont souvent les pieds au sec. Chaque été, depuis quatre ans, un trophée leur fournit l’occasion de s’animer sur le plan d’eau des Pertuis. Début juillet, Moth, Snipe, Argonaute, Caneton, Sprint et autres Fireball ont paradé dans le port de La Rochelle, avant de s’affronter par un petit vent – un peu trop – musclé.
Exit les mannequins en taille réelle qui tiennent mollement la barre dans le hall du musée. Sur la cale du port des Minimes, une vingtaine de régatiers de tous âges viennent mettre à l’eau les bateaux de la collection Petite Plaisance de l’association des Amis du musée Maritime de La Rochelle. Au programme : une journée et demie de régates entre la plage de la Concurrence et les bouées du chenal, plus une parade dans le Vieux-Port prévue le samedi après-midi. Cette régate, le trophée Michel Rouillé, constitue la manche rochelaise du Challenge de la voile légère classique, dont les trois autres rencontres ont lieu sur le plan d’eau du Yacht-club de l’Île-de-France lors de la manifestation Voiles au fil de l’eau, sur le lac d’Annecy avec les Voiles du lac et, enfin, aux Rendez-vous de l’Erdre.
Au-delà du défi sportif, ce trophée, qui porte le nom de l’organisateur des trois premières épreuves, permet de replonger les dériveurs du musée dans leur milieu naturel. Construits pour la plupart il y a près de soixante ans, parfois par des amateurs, ils sont nés dans la période d’après-guerre, au milieu des Trente Glorieuses. Ces « canots », d’abord en bois, puis en contreplaqué, un matériau encore moins coûteux et plus léger, se transportaient alors facilement derrière une 2CV ou sur le toit d’une 4L. Véritables madeleines de Proust pour beaucoup d’adhérents, ils rappellent une époque où la plaisance populaire était en plein essor.
En vingt ans, l’association des Amis du musée a rassemblé une centaine de dériveurs, une collection unique qui doit pour beaucoup à Alain Barrès, l’ancien président, qui n’hésitait pas à sillonner les routes pour aller récupérer un voilier au fond d’une grange. Tout commence en 2001 lorsqu’on lui confie la remise en état d’un Moth nantais qui doit participer au Rendez-vous de l’Erdre aux côtés de dizaines d’unités du patrimoine et de canots voile-aviron. Alain Barrès explique : « Construit en 1945, ce Moth est un des plus anciens parmi les survivants de la série. Il symbolise bien une époque décisive dans l’histoire de la voile légère et dans l’histoire en général : la fin d’une période douloureuse, le début d’une ère d’espérances et de projets, en particulier pour la plaisance, même si quelques inventions nouvelles suscitent un peu d’inquiétude. On l’a donc appelé Bikini en souvenir de ce qui se faisait de plus petit, de plus prometteur et de plus “explosif” cette année-là ! » [Les Américains ont testé leur bombe atomique sur l’atoll de Bikini en 1945, NDLR].
Ils peuvent se piquer d'avoir la plus belle flotte de Moth au monde
Le pari est réussi : Bikini flotte ! Depuis, les propriétaires se passent le mot et confient les dériveurs de leurs aïeuls aux bons soins de l’association. Le collectif en a acheté un seul – grâce à la générosité d’un donateur – afin d’agrandir sa collection. Aujourd’hui, les Amis du musée Maritime de La Rochelle peuvent se piquer d’avoir, par exemple, la plus belle flotte de Moth au monde. Pour preuve, le passionné Bob Patterson est venu tout droit du Mexique pour assister au trophée et découvrir ces dériveurs rochelais, lui qui a construit son premier Moth en 1964, un Shelley, avec lequel il a remporté l’International Moth World Championship en catégorie junior.
« La famille des Moth symbolise bien les débuts de la plaisance populaire, peut-on lire dans la Lettre des Amis du musée Maritime de La Rochelle du printemps 2016. La tradition veut que les premiers Moth aient navigué dans le New Jersey en 1929. À l’époque, la grande crise obligeait à la parcimonie mais stimulait les imaginations, d’où l’idée de quelques sportifs passionnés de s’inspirer des embarcations minimalistes et passe-partout, construites pour les chasseurs de canards dans les lagunes de la côte est, pour concevoir des voiliers de régate minimum. Souhaitant courir en temps réel avec des chances égales, les promoteurs choisirent de créer une série “à restriction”, système qui consiste à laisser la liberté de conception et de dessin dans le cadre de cotes strictement définies. La longueur de la coque fut limitée à 11 pieds (3,35 mètres), le mât à 16 pieds et demi (5,03 mètres), la bôme à 9 pieds et demi (2,90 mètres) et la surface de la voile à 72 pieds carrés (soit 6,69 mètres carrés). »
En 1935, l’International Moth Class Association (IMCA) voit le jour et démocratise la pratique aux États-Unis, en Australie – où une série similaire est apparue dès 1928, l’Inverloch Eleven Footer Class –, puis en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1962, le vieux continent donne d’ailleurs son nom à un Moth bien spécifique conçu par Aloïs Roland, un monotype qui sera choisi comme série olympique pour le solitaire féminin jusqu’en 2004.
Parmi les participants de la régate de La Rochelle, un Moth Europe, construit par Cristalli en 1962, attire justement les regards. Sa coque en acajou moulé saturé de résine époxy brille comme un miroir à la surface de l’eau. Le samedi après-midi, alors que la régate du matin a été annulée par Christian Vialle, l’organisateur du trophée, pour cause de vent trop fort, le Cristalli est l’un des seuls Moth à se risquer sur l’eau pour la parade. Frédérique Larrarte, également propriétaire d’un Europe, a passé son tour. « Je n’ai pas osé car je sais qu’entre les deux tours du port le vent est très instable. » Elle prendra sa revanche le lendemain en terminant deuxième de la régate derrière… le Cristalli.
« Quant tu fais une bêtise... tu finis à l'eau ! »
Frédérique a découvert le dériveur en naviguant sur des 420 à Socoa, le fief historique de cette série en double. Mais le jour où son coéquipier a arrêté de naviguer, Frédérique s’est retrouvée coincée : « On m’a dit : “Tu devrais essayer l’Europe.” J’avais quinze ans. J’en ai cinquante-huit aujourd’hui et je fais toujours de l’Europe ! » Frédérique apprécie ce dériveur qu’elle peut manipuler seule, facilement, et qu’elle peut mener sur lac, rivière ou en mer. « C’est un bateau agréable et réactif. Quand tu fais une bêtise, tu le paies assez vite et tu finis à l’eau ! »
Si les Moth sont restés discrets le samedi, les dériveurs en double bravent le vent pour s’offrir en spectacle sur le Vieux-Port, sous les commentaires de l’intarissable Alain Barrès. Leurs frêles silhouettes se dessinent entre les deux tours de La Rochelle et sont rejointes par des navires du Yacht-club classique (YCC), comme le Dauphin Vert, un ketch de 1955, ou le mythique Pen Duick 3 de l’association Éric Tabarly.
À terre, les adhérents de l’atelier Petite Plaisance exposent sept dériveurs à différentes étapes de restauration. Un bateau « tout déshabillé », dont le bois présente de nombreuses cicatrices, fait peine à voir. C’est un Argonaute, dont le nom héroïque a été choisi pour encourager la jeunesse française à naviguer sous l’Occupation allemande. Dans son livre La Nouvelle Histoire de l’Occupation, l’historien Éric Alary explique que « pour Pétain, la France est moralement et physiquement effondrée face à l’Allemagne. C’est pourquoi il veut reprendre en main, par l’exercice physique, le corps de la jeunesse de France. Il a compris que la massification, la popularisation du sport était vitale face au développement de la radio, des actualités cinématographiques contre lesquels il fallait lutter. »
Pour répondre à la demande du gouvernement de Vichy, l’architecte naval Jean-Jacques Herbulot publie en 1942 les plans de cet Argonaute, un voilier aux formes simplifiées, de facture classique, avec une quille et un gréement bermudien. Prisé par les constructeurs amateurs, il trouve une place de choix dans les écoles de voile sur les plans d’eau intérieurs, car, pendant la guerre, la navigation en mer est interdite. Les flottes se regroupent à Choisy-le-Roi, sur le lac d’Annecy, et à Socoa, près de Saint-Jean-de-Luz, où se trouve la plus ancienne école de voile française.
Tombé en désuétude après la guerre, il ne resterait plus que trois exemplaires de l’Argonaute. L’un figure sur l’inventaire du musée de la Marine, le deuxième appartient à un Breton et le troisième attend d’être restauré par l’équipe des Amis du musée de La Rochelle. Il vient d’être classé monument historique, ce qui permettra à l’association de bénéficier de subventions pour mener les travaux. Pas moins de quarante et un bateaux de la Petite Plaisance sont d’ailleurs protégés à ce titre grâce aux dossiers montés par l’association.
Jean, un homme aux doigts de fée, se dévoue pour l’association depuis près de vingt ans – mais refuse de révéler son nom, qui commence par un R ! Quand on lui demande quel est son bateau préféré, il pointe du doigt avec malice l’anorak d’un camarade, dont le dos est orné d’un dessin de Caneton Brix, devenu le logo de l’atelier Petite Plaisance, créé en 2003 par une poignée d’adhérents de l’association des Amis du musée Maritime de La Rochelle. Le Caneton Brix, baptisé Patouche, a été leur premier vrai chantier. Construit entre 1936 et 1938, il a surtout navigué dans le Fiers d’Ars, la baie située à l’extrémité nord de l’île de Ré, avant d’être récupéré par Alain Barrès dans un jardin de l’île, où il végétait depuis trente ans. L’association a mis sept ans à le restaurer. Pour Jean, c’est le plus beau bateau de la collection : « Cinq mètres en vrai bois, pas de contreplaqué. C’est un bateau d’avant-guerre qui a navigué dans la région et fait quelques régates en région parisienne. Il marche bien, même s’il est taillé un peu lourd. Une fois qu’il est parti, c’est bon. » Alors que près de huit cents exemplaires auraient été construits, il n’en resterait que quatre aujourd’hui, dont ce fameux Patouche.
Lorsque Jean débarque à La Rochelle au début des années 2000, il a déjà un long passé dans la charpente marine, en amateur, pour restaurer ses propres bateaux. Un jour, alors qu’il vient emprunter des livres sur le modélisme à la médiathèque de La Rochelle, on lui parle de l’atelier Petite Plaisance lancé par Alain Barrès. Le coup de foudre est immédiat : Jean est bientôt sur tous les chantiers et n’a plus de temps à consacrer à ses maquettes.
Il est particulièrement fier de la dernière restauration d’un Moth dessiné par Pierre Haag au tout début des années 1950, l’un des premiers réalisés en contreplaqué. Là encore, il y a eu beaucoup de travail car le bateau avait été plastifié par-dessus le bois par son ancien propriétaire : « Nous, on ne fait jamais ça, c’est interdit d’un point de vue patrimonial. L’objectif, c’est de retrouver l’état de neuvage. » Sur le Haag, il a fallu changer la membrure de la coque à double bouchain, comme les clous qui avaient perdu leur galvanisation. Jean a également refait une partie de la dérive, l’ensemble du tableau, la marotte…
L’atelier Petite Plaisance s’est installé à quelques mètres du musée Maritime de La Rochelle dans l’ancienne criée du port, l’Encan, un local gracieusement mis à sa disposition par la mairie. Les tôles transparentes offrent un puits de lumière sur ce qui ressemble à une caverne aux trésors. Entre les vieilles cases de mareyeurs et les filets de pêche entassés pêle-mêle sont alignés les dériveurs de l’atelier. Tous attendent patiemment de faire peau neuve. Les machines sont installées dans un coin bien rangé, délimité par des établis chinés à droite et à gauche. Certaines machines des années 1950 ont été récupérées par le fils de Jean dans un lycée agricole, où elles étaient destinées à la déchetterie. Scie à ruban au plateau inclinable, ponceuse fixe, dégauchisseuse… ont peu à peu rejoint l’atelier où, vingt ans auparavant, il n’y avait pas un outil.
La jeune retraitée est responsable du chantier du Bulot
Certains ont été achetés avec les subsides de l’association, qui proviennent de la subvention de la mairie et des adhésions des membres. S’y ajoutent les recettes liées aux activités, qui permettent de financer l’achat des peintures, vernis, bois… L’association organise par exemple des sorties à bord de Damien, l’ancien cotre de Jérôme Poncet et Gérard Janichon, et de Joshua, le ketch de Bernard Moitessier. Et si les travaux les plus importants sur ces deux bateaux emblématiques du musée sont réalisés par des chantiers professionnels, les Amis de l’atelier Petite Plaisance se chargent des petits aménagements et des finitions.
Jean, qui est parmi les plus impliqués, vient trois fois par semaine à l’atelier. Bénédicte Dunoyer, elle, participe au chantier deux fois par semaine depuis trois ans. C’est le goût pour le bois, un « matériau vivant » dont elle aime l’odeur, et le travail manuel qui ont attiré cette ancienne institutrice. « J’ai commencé par ce que je savais faire : poncer, peindre, vernir et puis j’ai découvert mes confrères. Ils ont apprécié mes capacités et au fur et à mesure on m’a confié plus de responsabilités. Aujourd’hui, je suis responsable du chantier du Bulot », raconte la jeune retraitée.
Exposé sur le Vieux-Port pendant le week-end de la régate, ce petit bateau inspiré des formes d’un Caneton a été construit en 1948 à cinq exemplaires par cinq jeunes. L’un d’eux, Robert Touzeau, a offert le sien, Bulot, à l’association avec les plans originaux. Avant de le « déshabiller », l’équipe de Bénédicte a pris des photos de l’emplacement de chaque pièce. L’accastillage a été retiré, la peinture grattée. « Comme c’est un bateau classé, on est obligé de le rénover dans les règles de l’art. Par exemple, le pont du bateau était recouvert d’un tissu collé qui servait à l’étanchéité. Nous allons le refaire de la même façon. »
Bénédicte, qui est aussi flûtiste au sein de l’atelier chant de l’association, a vite pris ses marques : « Quand je suis arrivée, il y avait déjà une femme à l’atelier, donc je ne me suis pas sentie seule. Depuis, d’autres nous ont rejointes. J’avais très envie d’apprendre. Jean m’a raconté son histoire, sa vie, c’était super, et puis je n’avais pas de grandes ambitions, juste le désir de faire ce qui me plaît. » Rochelaise depuis toujours, Bénédicte aime la mer et les bateaux, mais elle n’avait jamais navigué, ce qui lui a manqué.
En ce deuxième jour du trophée Michel Rouillé, si le vent souffle toujours, les conditions sont meilleures que la veille, et la course est maintenue. Bénédicte ne s’est pas inscrite à la régate, mais elle embarque avec son fils sur le Snipe La Petite plaisance de l’association, un plan dessiné au début des années 1930 aux États-Unis et dont le nom signifie « bécassine ». Plus de trente mille exemplaires de ce dériveur « marin, sûr et élégant », d’après les Amis du musée, ont été construits. Celui sur lequel Bénédicte et son fils naviguent est en contreplaqué et a été lancé dans les années 1960 par le chantier Teurlay de Bordeaux. Il était en très mauvais état avant de passer entre les mains des Amis du musée qui l’ont restauré avec l’aide des stagiaires de l’AFPA de Rochefort.
« Il y a un peu de pression, parce qu'on ne voudrait pas l'abîmer. »
Juste à côté de La Petite Plaisance s’affairent Noé Fedele et Baptiste Valin, deux jeunes âgés de quinze et dix-sept ans. Ils se sont connus au lycée maritime de La Rochelle à la rentrée de seconde. Depuis un an, ils ont l’habitude de régater ensemble sur des bateaux modernes comme les Laser, Hobie Cat 16 et autres Nacra 15. Pour la première fois, ils vont naviguer en double sur un Sprint, l’un des premiers bateaux en fibre de verre dont les plans ont été dessinés en 1963. Leur rencontre avec l’atelier Petite Plaisance tient à leur passion pour… le skate. Noé et Baptiste viennent en effet souvent s’entraîner sur le grand parking en face de l’espace Encan. À travers la vitre des anciens entrepôts, ils aperçoivent les anciens dériveurs et toute une équipe qui travaille autour des bateaux en bois. C’est en voyant leur mine intriguée que Christian Vialle a engagé la conversation avec eux et qu’il leur a finalement proposé de les inscrire à la régate pour concourir sur ce Sprint, gréé en sloup.
Armés de leur sac de provisions – un sandwich triangle et une banane qu’il faudra avaler entre deux manches –, les deux amis s’élancent dans le port des Minimes où ils tirent leur premier bord. Première surprise pour Noé : « Tout le bateau tremble quand on avance. On dirait un téléphone en mode vibreur, c’est assez drôle ! » Baptiste, lui, est un peu inquiet : « Il est vieux, mais il est bien entretenu. Les Amis du musée Maritime ont travaillé dessus toute l’année, donc il y a un peu de pression parce qu’on ne voudrait pas l’abîmer… » En plus, ce jour-là, les conditions sont un peu musclées et le clapot s’intensifie au fil de l’après-midi. Baptiste est à la barre : « Il faut un chef à bord, et c’est moi ! Je donne les directives à Noé et lui me donne toutes ses impressions, tout ce qu’il a envie de dire, même si ce n’est pas utile, il faut qu’il me le dise ! » Et Noé d’ajouter : « Baptiste gère la grand-voile et la barre et, moi, je m’occupe de l’assiette du bateau et du foc. Sur le Sprint, on n’a pas de trapèze mais on peut se mettre au rappel grâce aux sangles prévues pour. Cela dit, parfois, on a un pied qui en sort et ça fait drôle ! »
Au bout de quelques manches, le point d’écoute du foc se déchire et les deux compères doivent poursuivre avec la seule grand-voile. Ils réussissent malgré tout à terminer sur le podium, juste derrière le Fireball d’Éric Basset et de Laurent Hay, qui s’attire l’admiration de Baptiste. Conçu par l’architecte britannique Peter Milne, ce dériveur à la coque à bouchain vif peut naviguer jusqu’à 35 nœuds de vent. Une fois le spi établi, les deux coureurs ont distancé leurs concurrents en un rien de temps. Les deux lycéens ont très envie de participer aux prochaines régates et de s’investir davantage au sein de l’atelier. Ça tombe bien, car il va y avoir un peu de travail après les épreuves : une dizaine de bateaux ont un peu souffert des conditions difficiles et il va falloir les remettre en état ! ◼
ENCADRÉS
Les dériveurs olympiques au musée
Pensée comme un clin d’œil aux Jeux olympiques de 2024 à Paris, l’exposition actuelle du musée Maritime de La Rochelle met en lumière les bateaux olympiques de la collection Petite Plaisance. Pour mémoire, les premières épreuves de « yachting » de l’histoire des JO sont organisées à Paris en 1900 sur la Seine, celles prévues en 1896 à Athènes n’ayant pu avoir lieu à cause d’une mauvaise météo. Pendant vingt ans, les voiliers olympiques restent l’apanage d’une société fortunée qui aligne au départ des unités de la jauge Godinet, puis de la jauge internationale, dont certaines peuvent être menées par des équipages d’une dizaine de marins.
En 1920, le Dinghy International 12 pieds inaugure la série des monotypes et dériveurs. En 1924, lors d’une nouvelle édition à Paris, le comité olympique lance le Monotype national, un dériveur en solitaire, qui sera suivi par de nombreuses unités : l’Olympia Jolle, le Firefly, l’Europe, le Finn… La majorité des voiliers olympiques exposés au musée Maritime de La Rochelle ont été construits entre 1930 et 1970. L’exposition met à l’honneur le Mar Moth, un Europe choisi comme dériveur solitaire féminin pour les Jeux olympiques de Séoul en 1992, quatre ans après la première épreuve de voile olympique réservée aux femmes, en 470. Avant, elles pouvaient concourir avec les hommes, mais elles étaient peu nombreuses. L’aventurière suisse Ella Maillard est la seule femme à se présenter en solitaire aux JO de 1924.
La yole olympique Mitrandir trône au milieu du hall du musée. Conçue pour l’épreuve de voile en solitaire aux Jeux de Berlin de 1936, à l’initiative de la Fédération allemande de voile, elle a été construite à partir du plan d’un étudiant sud-africain, Helmut Stauch. Trente unités, sorties du chantier Buchholz de Potsdam, ont été fournies aux concurrents. Son dernier propriétaire, qui en a fait don au musée, est le musicien et skipper Carlos Miguel Ben-Pott, qui a popularisé la musique andine avec le groupe Los Incas. Cet ancien sportif a représenté l’Argentine aux Jeux d’Helsinki en juillet 1952 à bord d’un Finn. Mitrandir a été classé monument historique en 2018.
À ses côtés, Dreamboat est aussi impressionnant : ce Firefly doit son nom à son architecte Uffa Fox, en hommage à l’avion de chasse éponyme, utilisé par les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale. Construit en bois moulé d’acajou, façonné dans un moule et collé à chaud en four autoclave, comme le fuselage des avions Mosquito, le Firefly est sélectionné pour les JO de 1948 en Angleterre. La météo lors des épreuves, qui se déroulent à Torquay, rend la course très compliquée au point qu’aux Jeux suivants, le comité olympique lui préfère le Finn. Le Firefly Dreamboat du musée a été lancé en 1956. L’exposition est visible au musée Maritime jusqu’au 31 décembre. ◼
Des ateliers autour de la culture maritime
Les adhérents ne font pas que poncer et vernir leurs dériveurs ! En dehors de l’atelier Petite Plaisance, les membres de l’association se retrouvent régulièrement dans des locaux dédiés au sein du musée Maritime de La Rochelle qui débordent de livres et de documents au milieu desquels trône la maquette du skiff Whitehall. Un atelier « cuisine des flibustiers » propose d’explorer les recettes historiques de pirates et flibustiers. Chants de marins, musiques et danses de la mer sont aussi au programme de l’association. La transmission du savoir est au cœur des préoccupations des adhérents qui organisent régulièrement un stage d’une dizaine de séances pour se familiariser à la pratique de la navigation hauturière et astronomique. Enfin, les activités les plus « lucratives » de l’association, celles qui rencontrent un franc succès auprès du public, sont les sorties en mer à bord de deux bateaux de légende : Damien et Joshua. Si ces deux voiliers appartiennent au musée Maritime, la navigation et l’entretien courant sont assurés par les Amis du musée. ◼
Le musée maritime de La Rochelle
L’atelier Petite Plaisance qui restaure les dériveurs fait partie de la grande constellation de l’association des Amis du musée Maritime de La Rochelle. Créé il y a trente-cinq ans par Patrick Schnepp (CM 243) et ses amis, ce collectif défend la « mémoire maritime ». À l’origine, ils voulaient simplement sauver la vieille drague à vapeur du port de La Rochelle de la démolition. Pour trouver des fonds, l’association organise, avec la complicité du maire de La Rochelle, des expositions dans les deux tours de la ville pour raconter l’histoire du port. Elles connaissent un grand succès et leur permettent de lancer le musée Maritime. Quoi de plus naturel que de l’installer sur un bateau ? En 1988, sur les conseils de Patrick Schnepp, la ville acquiert la frégate météorologique France 1 qui devient le cœur des expositions du musée Maritime. Au fil des années, l’association agrandit sa flottille de bateaux patrimoniaux. Ainsi en 1990 Joshua, le ketch rouge de Bernard Moitessier, est racheté par la ville. En 1991, un canot de sauvetage, deux chalutiers (l’Angoumois et le Manuel Joël), une vieille drague et le canot du commandant de l’escorteur d’escadre viennent compléter la collection. À partir de 1995, le musée investit plus de 5 000 mètres carrés dans les anciens entrepôts du port de pêche. Des pontons sont aménagés dans le bassin des chalutiers et le long du quai Valin dans le Vieux-Port pour inciter des propriétaires privés de voiliers traditionnels et de yachts classiques à s’amarrer près du musée.
Depuis 2008, l’association a laissé la main à la mairie. Le musée se compose de trois espaces : la flotte patrimoniale sur l’eau, la collection unique en France de bateaux de petite plaisance et enfin des pavillons à terre. Ils accueillent la grande exposition permanente sur le port de La Rochelle avec, par exemple, une fidèle reconstruction des halles à marée, ainsi que des expositions temporaires. Alors que le ketch de Bernard Moitessier vient d’être remis à l’eau après huit mois de travaux, le musée lui consacre une exposition : elle raconte son tour du monde et demi sans escale en 1968-1969 lorsqu’il était en tête du Golden Globe Challenge et qu’il avait volontairement renoncé à la première place pour poursuivre sa route. ◼
La Lettre des Amis
Sobrement intitulée La Lettre des Amis (du musée Maritime), ce bulletin de liaison diffuse des informations sur la mer, les ports et les activités qui leur sont liées, tout en retraçant la riche vie de l’association grâce à ses rédacteurs, tous bénévoles, tous amoureux du patrimoine maritime. Ces huit pages, au rythme saisonnier, racontent, pêle-mêle, une visite au musée de la Mer de Bordeaux, la restauration du Moth Haag, le naufrage du canot de sauvetage Commandant-Virot de La Rochelle en 1925, les cinquante ans de la SNSM, la vie du capitaine Hayet, passionné de chants de marins, ou celle du charpentier de marine rochelais Bruno Barbara. Il leur arrive de prendre le large du côté de Pasaia, le port de commerce de San Sebastian, ou de rendre hommage à leurs amis, tel le regretté Patrick Schnepp, fondateur du musée, décédé en 2018.
Les dériveurs ont bien sûr la part belle dans ces pages. La petite plaisance a même eu son numéro spécial en 2016 pour accompagner l’exposition sur ses cinquante ans (1912-1962) au musée Maritime. Les rédacteurs ont profité de l’occasion pour présenter les bateaux de la collection sous leurs plus beaux atours, et avec amour. « Les responsables de la Petite Plaisance conservent les témoins d’un moment de l’évolution de l’architecture navale, de la construction et de la pratique d’une activité de loisir. Cette collection, sans doute la plus importante en France, prendra encore plus de valeur avec le temps qui passe et d’autres bateaux plus récents viendront rejoindre les ancêtres que sont les Vaurien, les Caneton, les Mousse et autres P’tit Gars, car les bateaux d’aujourd’hui sont les bateaux du patrimoine de demain », écrivait Yves Gaubert. Le plus chouette, c’est que La Lettre des Amis est accessible sur Internet ! ◼
Plus d’informations sur le site Internet des Amis du Musée.
À lire, à voir :
Poursuivez votre découverte des régates rochelaises sur le site du Chasse-Marée avec des photos inédites ici.
Par ailleurs, si vous vous intéressez aux dériveurs anciens, de nombreux articles sont parus à leur sujet dans Le Chasse-Marée :
Jean-Yves Poirier, « Le Snipe : un enfant de la crise », n° 213, 2009 ; André Linard, « Une floraison de Moth », n° 147, 2001 ; Nicolas Guichet, « Cinquante ans de 470 », n° 255, 2013 ; Jacques Blanken et Giovanni Panella, « Le dinghy de 12 pieds International », n° 195, 2007 ; Jacques van Geen, « Le petit monde de la Caravelle », n° 306, 2020…