Par Louise Cognard - Le Don du Vent, un ketch à corne construit en Allemagne en 1948, a été conçu pour pêcher et combattre, avant d'être transformé en yacht. Il a quitté la mer du Nord pour la Méditerranée où il a embarqué tour à tour stars de cinéma, mannequins dénudées et jeunes idéalistes fauchés... Aujourd'hui, il navigue autour des calanques de Marseille.
À la faveur des lampadaires, l’ombre du ketch se découpe sur les murs roses et ocre du fort Saint-Jean, cette construction militaire commandée par Louis XIV pour protéger le port de Marseille. Léa Delaigue a pourtant l’habitude, mais ce passage fantomatique la fait chaque fois frissonner. La matelote, qui accompagne les touristes venus découvrir les calanques, aime ces navigations nocturnes parce qu’elles sont « intimistes, douces et moins chaudes qu’en journée ».
Le voilier part vers 19 heures pour emmener ses passagers admirer le coucher du soleil sur les îles du Frioul, en face de Marseille. Une fois que la boule de feu est engloutie par la mer, le paysage géologique s’éteint. La côte s’illumine des lumières de la ville, hypnotise le regard mais les rumeurs urbaines sont loin. Ici, tout est tranquille. Ce soir-là, la dizaine de passagers sont tous employés dans la même entreprise qui leur a offert ce cocktail en mer. Léa accroche des lampions sur la bôme pour illuminer le buffet des convives qui ne prêtent guère attention aux manœuvres de l’équipage. Tant mieux, Léa préfère travailler en paix. Sur le trajet du retour, Benoît Bouchet, le capitaine, Olivier Kubaziak, son second, et Léa restent attentifs aux casiers des pêcheurs jusqu’au goulet d’entrée du port.
Le lendemain, dès 10 heures, l’équipe est à nouveau sur le pont. En haute saison, le navire sort presque tous les jours. Cette fois, le ketch change de route et se faufile dans le passage des Croisettes, puis traverse la baie des Singes, où l’on dit que les mafieux venaient régler leurs comptes. Plus difficile d’accès par la terre, le parc national des Calanques dévoile ses mystères par la mer.
Seul le bruit de la chaîne emportée par son ancre trouble la quiétude. C’est l’heure de la pause déjeuner. L’équipage a amené les six voiles qui totalisent une surface de 350 mètres carrés. Les corps s’allongent sur le pont latté en pin d’Oregon. Sous la bôme, l’équipage installe un nouveau buffet de salades estivales et tapas. Un groupe d’amis s’est donné rendez-vous sur le bateau pour un anniversaire. Le Don du Vent et ses quelques voisins de mouillage sont seuls au monde dans cette crique, juste assez loin du rivage pour ne pas abîmer la posidonie.
Les passagers s’équipent avec masques et tubas. Certains descendent se changer dans le carré, composé de grandes banquettes, d’une large table et d’un bar derrière lequel se trouve la cuisine. L’espace est lumineux grâce au puits de lumière du panneau de cale vitré. Benoît Bouchet a enlevé les bannettes à l’avant pour dégager un espace de stockage et aménager une grande cambuse qui laisse apparaître les formes de la charpente. Derrière la descente qui mène au carré, une coursive permet d’accéder à la salle des machines, aux toilettes, à la douche, ainsi qu’à quatre cabines, occupées à l’occasion par l’équipage ou par la femme et la fille du capitaine, Fanny et Constance. À la poupe, devant le gouvernail, s’ouvre le rouf qui abrite une grande table à cartes, et les instruments de navigation, et qui communique avec la cabine de Benoît.
Sur les étagères, les livres et les vieux magazines sont légion. Sur quelques photos jaunies, on aperçoit Le Don du Vent au mouillage sous le soleil de Méditerranée, exactement comme aujourd’hui, sauf que les lettres peintes sur le tableau forment un autre nom : Fatima…
Le KFK Nordstrand est reconverti en yacht
Le Don du Vent mesure 23,50 mètres de long. Son faible franc-bord lui donne une allure de yacht, mais sa carène, large et massive, trahit un navire voué à d’autres usages que la plaisance. Et pour cause, puisqu’il s’agissait à son neuvage d’un Kriegsfischkutter (KFK), des bateaux conçus par les Allemands pour servir à fois à la pêche et au combat durant la Seconde Guerre mondiale. En revanche, si la majorité des KFK sont construits durant le conflit, Le Don du Vent est lancé en 1948 au chantier naval Burmester et livré dans le cadre d’une dernière série de navires. Nordstrand, c’est alors son nom, est destiné à une compagnie de pêche du nord de l’Allemagne mais il semble qu’il n’ait jamais ramené le moindre hareng. Comme beaucoup d’autres KFK, il sera converti en yacht gréé à corne dans les années 1950 : de nombreux Allemands – fort d’un certain pouvoir d’achat et qui redoutent que leur pays ne tombe sous l’autorité soviétique – achètent ces Fluchtboote, littéralement des bateaux pour « prendre la fuite ».
C’est ainsi que Nordstrand passe en 1954 aux mains de Friedrich Wilhelm Sellschopp, dirigeant d’une fabrique de pneus à Lübeck, sur les bords de la Baltique. La famille fait du cabotage, poussant parfois jusqu’à Helsinki. Leurs voisins de ponton sont des chanteurs de variété, comme Freddy Quinn, des animateurs télé ou des hommes d’affaires, comme l’ex-Waffen SS Rudolf A. Oetker. Tous naviguent sur des Kriegsfischkutters remodelés qui servent parfois aussi de bateaux-écoles. En 1957, lassé du climat de la Baltique, Friedrich Wilhelm embarque sa famille pour la Côte d’Azur et choisit Cannes comme port d’attache. Quatre ans plus tard, c’est à bord qu’il fête son mariage avec Ursula.
La nouvelle épouse aime recevoir sur le « yacht ». Francesca Deglasyier, la femme du capitaine du Fatima, concierge à l’hôtel Majestic, aurait ainsi fait découvrir le bateau des Sellschopp aux acteurs Cary Grant, Liz Taylor, Richard Burton, Audrey Hepburn, Charlie Chaplin ou encore Walt Disney. Juliette Gréco qui, dans les années 1960, partageait sa vie entre Paris et Saint-Tropez, aurait aussi embarqué à bord. C’est du moins ce que raconte le grand-père Sellschopp à son petit-fils Jork Huizinga…
Si les conditionnels sont nombreux, des photos témoignent toutefois de cette réalité, comme celles publiées dans le magazine Life en 1965, qui se trouve toujours dans la bibliothèque du Don du Vent. On y voit le compositeur Frederick Loewe en grande conversation avec Ursula Sellschopp. Le musicien aurait été si charmé par Fatima qu’il aurait installé son piano à queue sur le pont pour y composer la comédie musicale My Fair Lady…Mais l’entretien du bateau coûte cher, d’autant que tout le nécessaire est acheminé d’Allemagne par camion. En 1964, Friedrich Wilhelm Sellshopp décide de vendre Fatima. « Il a été cédé à un consortium belge », explique son petit-fils Jork Huizinga qui passera une grande partie de sa vie à rechercher le bateau de son enfance : « des amis de par le monde nous envoyaient des cartes postales avec des bateaux identiques mais ces indices ne menaient à rien. Le voilier semblait avoir disparu de la surface de la terre, perdu dans les fonds maritimes, démoli ? »
Dans un premier temps, Fatima n’a pourtant pas navigué bien loin puisque sa silhouette se retrouve sur les pages en papier glacé d’un autre magazine des années 1970. Le décor est resté le même, la Côte d’Azur, mais ses passagers sont bien moins vêtus. En tête de mât, un pavillon rouge arbore une tête de chat blanche et souriante, la mascotte du magazine de charme Lui. La mer est à la une de ce numéro de mars 1971. En couverture, une jeune femme porte une marinière peinte en trompe l’œil. Francis Giacobetti, le photographe attitré du magazine, utilise timonerie, passerelle, pont et bout-dehors pour faire poser les corps nus et bronzés des jeunes mannequins. L’agence de charter Glémot espère ainsi attirer sur son navire l’œil des lecteurs du mensuel pour promouvoir ses croisières entre Cannes et les îles du Levant. Dans Lui, Fatima est décrit comme un « yacht, livré prêt à prendre la mer, de 24 mètres de long, pour six passagers avec possibilité couchage, très large pont au milieu, quatre hommes d’équipage ». L’agence précise que le voilier navigue aussi bien à la voile qu’au moteur et coûte de 900 francs à 1 500 francs par jour – l’équivalent de 1 000 à 1 800 euros.
Malgré cette publicité, il semble que Fatima soit peu à peu délaissée. Le voilier aurait été vendu à trois jeunes désireux de faire un tour du monde, qui ne le réaliseront pas. Le bateau sombre dans l’oubli, amarré dans une partie isolée et en travaux du port de Saint-Raphaël…
Le couple acquiert Fatima en 1974 et le rebaptise L’île Garo
À l’automne 1974, « ses deux-mâts fantomatiques et sa coque sombre » accrochent le regard de Catherine Delacroix qui remonte de Corse en bateau avec son mari. Ils ont justement l’intention d’acheter un voilier, « suffisamment spacieux pour y vivre, naviguer et en faire un outil de travail ». Mais à bord de Fatima, « le désastre était indescriptible : plus de hublots, de portes, de vaigrages, de planchers… Le moindre bout de bois ou de métal [avait été] arraché, le tout [était] dans un état immonde », s’émeut Catherine Delacroix. Malgré tout, son élégance, la beauté et l’équilibre de sa forme arrière en écusson séduisent le couple. C’est « lui » s’enthousiasme Catherine qui a alors 30 ans.
Le couple acquiert Fatima aux enchères en 1974 et le rebaptise L’Île Garo du nom d’une petite terre finistérienne qui leur est chère. Ils remorquent le bateau jusqu’à La Seyne-sur-Mer pour réaliser un « monstrueux nettoyage ». Pendant quatre ans, ils vivent à bord, dormant parfois sous la table du carré pour se protéger de la pluie car le pont n’est plus étanche. « On grattait huîtres et moules sauvages de l’anse de Tamaris quand le porte-monnaie était vide, [consacrant] la moindre parcelle de temps disponible à remédier aux urgences dans la mesure de nos moyens physiques et financiers », se rappelle Catherine. Le travail est colossal. Alors qu’ils viennent tout juste de réparer la cuve à eau, ils s’embourbent dans un procès lancé contre un ferrailleur qui devait leur fournir un nouveau moteur. À bout de force, Catherine convainc son mari de revendre le bateau à un jeune Marseillais, Philippe Derain. Cette folle aventure lui aura laissé un goût amer, même si elle se dit heureuse aujourd’hui de voir que ce « sauvetage » n’aura pas été vain.
À l’époque, avec son frère jumeau, Philippe Derain est à l’affût de tous les bateaux anciens qu’ils peuvent sauver. Le jeune homme, qui ignore tout de l’histoire de L’Île Garo, emprunte aux copains les 50 000 francs – l’équivalent de 30 000 euros aujourd’hui – nécessaires à son achat. « C’était quand même une grosse somme pour moi à l’époque, se souvient Philippe. C’est vrai qu’il était gros, le bateau, mais tu ne t’en rends pas trop compte à 25 ans. Je m’étais dit que je naviguerai sans problème un an plus tard. J’ai mis quinze ans, car tout était pourri… »
Philippe Derain est ambitieux mais il n’en est pas à son coup d’essai. Avec l’ASCANF (Association pour la sauvegarde et la conservation des anciens navires français), ils ont déjà restauré en 1977 le Marseillois, un trois-mâts de 42 mètres, que l’association avait récupéré à l’état d’épave, échoué sur une plage de Majorque. Deux ans plus tard, avec son frère jumeau, Philippe Derain devient propriétaire de L’Île Garo qu’il rebaptise Le Don du Vent. « Je voulais un nom qui soit neutre, évocateur pour tout le monde : ce n’est ni politique, ni religieux, c’est plein d’espoir, d’aventures, ça voyage dans le monde entier, le vent. »
L’ascanf permet à Philippe d’acheminer le voilier dans le Vieux-Port de Marseille. Son père, ingénieur en aéronautique, et son oncle Gérard, artiste peintre, viennent aider. Aucun d’entre eux n’est formé à la charpente marine mais chacun apporte ses compétences et du cœur à l’ouvrage. Et il en faut ! L’étrave, par exemple, est pourrie ; un cousin descendra de l’Ardèche avec sa tronçonneuse pour en façonner une nouvelle. Des soudeurs réparent ou renforcent les membrures trop abîmées par la rouille. Philippe pique tous les barrots de pont en acier à la main. « Mon épaule s’en souvient encore mais je préférais éviter la disqueuse à cause des risques d’incendie. » Pour trouver l’argent nécessaire à un nouveau pont, Philippe loue son bateau au réalisateur Jean-Louis Comolli : Le Don du Vent, dans son jus, va servir de décor au trafic d’armes pendant la guerre civile d’Espagne dans le film L’Ombre rouge.
Quitte à tout refaire, Philippe décide de réagencer le bateau. Il diminue de moitié la salle des machines, redessine un rouf et une timonerie. Il supprime le salon de pont et la descente en colimaçon dessinés par l’architecte Henry Gruber. « Je voulais faire un bateau méditerranéen, c’est-à-dire un pavois bas et un rouf pour que ça ne fasse pas péniche ! »
Pendant les huit premières années du chantier, Philippe Derain fait des allers-retours entre Marseille et Nice, où il travaille comme agent des lignes à la direction générale des Télécommunications : « Je plantais des poteaux, je tirais des câbles et j’amenais le téléphone en bakélite noir aux gens à la campagne qui me disaient : “Bon Dieu, que c’est beau !” C’était la belle époque du service public. Puis j’ai été muté à Marseille pour ne plus faire les allers-retours. » Ce travail finance sa passion dévorante pour l’ex-Fatima… et lui donne même des idées. Pour les jambettes de pavois qu’il faut refaire, Philippe utilise les « appuis communs » des poteaux métalliques qu’il pose dans la journée. « Ce sont des plaques métalliques que j’ai récupérées à la casse et modifiées. Ça tient formidablement bien ! »
« L’ex-Fatima avait un mât en spruce creux ultramoderne avec deux hauteurs de barres de flèche, magnifique. Mais quand j’ai démâté, les bois se sont décollés », se souvient-il. Faute de moyens pour refaire à l’identique, cet infatigable débrouillard se rend à Brioude dans le Massif central pour commander des mâts à une fabrique de poteaux pour les stades, ainsi qu’à une entreprise de poteaux électriques à Valence.
En plus d’être astucieux, Philippe est un dénicheur hors pair. Il découvre ainsi un lot de quatre cents poulies centenaires de la Marine nationale qui n’avaient jamais été utilisées et qu’il partage avec l’équipe du Marseillois. Il rachète à un copain l’ancien mât du cotre Winibelle avec lequel le peintre Marin-Marie a traversé l’Atlantique en solitaire en 1933 ; le mât est abîmé mais Philippe se dit qu’il fera quand même un bel espar. Comment l’amener de Bretagne ? Notre Marseillais au bagout incroyable s’arrange avec le Belem qui doit rallier la cité phocéenne après les fêtes maritimes de Douarnenez en 1988. Heureuse coïncidence : un des petits-fils de Marin-Marie effectue alors son service militaire à bord du trois-mâts.
Cette reconstruction n’a rien d’une restauration. Pour Philippe, le principal, c’est que le voilier navigue. Cet autodidacte n’a que faire de le remettre en parfait état de neuvage. Et d’ailleurs, quel état ? Quelle est la version authentique de ce bateau-caméléon, tour à tour conçu comme bateau de pêche, navire de guerre, puis yacht de luxe ?
Pendant quinze ans, Philippe et Margo enchaînent les aventures
Au fil des congés et des week-ends, le ketch reprend doucement vie alors que, tout autour, le Vieux-Port se vide de ses pêcheurs partis pour le nouveau port de pêche de Saumaty, construit en 1976 à proximité de l’Estaque. « Tous les petits bistrots qui marchaient avec les marins, tous les shipchandlers, tout ça c’était mort », regrette Philippe qui rêve de redonner un souffle au Vieux-Port de Marseille.
Admiratif des fêtes maritimes bretonnes, il projette de mener Le Don du Vent à celles de Brest en 1992. Pour ce faire, il a besoin d’un nouveau moteur et jette son dévolu sur un vieux Gray Marine qui équipait une péniche de débarquement de l’armée américaine. « Il devait faire 180 chevaux à l’origine ; il n’en faisait plus que 50 tellement il était fatigué. J’ai dû consommer 25 000 litres de gasoil pour monter en Bretagne… » Philippe prend trois mois de congé sans solde. Après quinze ans de travaux, assister aux fêtes maritimes de Brest avec Le Don du Vent est une consécration… même si le voyage s’avère difficile. « Je suis parti avec six copains qui avaient tous des petites barquettes à Marseille. On a mis vingt-huit jours. On n’avait pas de GPS. J’ai perdu 20 kilos. J’étais cadavérique. »
Au retour de Brest, Margo, sa femme, rencontrée sur le quai du Vieux-Port alors qu’elle était étudiante aux Beaux-Arts, l’encourage à quitter les télécommunications pour se consacrer pleinement au Don du Vent. Encore faut-il trouver un modèle économique. Philippe n’a pas peur de ses ambitions. « J’étais à Marseille, je voulais que Marseille devienne la capitale de l’embarquement sur des voiliers traditionnels pour découvrir la côte. » Face à l’interdiction de faire de la billetterie sur le port, pour ne pas concurrencer les petites navettes, il propose des privatisations du bateau à la journée pour se faire connaître. « On s’est imposé à la sueur… »
Une fois de plus, le cinéma tend les bras au vieux KFK. Philippe propose à des entreprises de louer Le Don du Vent pendant la période du Festival de Cannes. Il participe aussi à des courses, comme la Tall Ship Race, lance des collaborations scientifiques avec l’université de Montpellier pour identifier et dénombrer les cétacés en Méditerranée, ou embarque des scolaires de Marseille pour aller admirer les baleines au large.
Pendant quinze ans, Philippe et Margo enchaînent les aventures et les rencontres sans jamais rien connaître du passé de leur voilier… jusqu’à un jour de 2005 où un Allemand débarque sur le quai du Vieux-Port. « Je vois arriver ce petit bonhomme bien rond avec ses petites lunettes. Il me dit qu’il s’appelle Jork Huizinga et qu’il est le petit-fils du premier propriétaire du Don du Vent… » Il a cru reconnaître Fatima sur une photo du magazine Geo qui a publié un reportage sur les calanques marseillaises. Après des échanges de photos et des recoupements de documents, Philippe et Jork sont formels : Le Don du Vent et Fatima ne font qu’un. Très ému, Jork emmènera ses parents et le capitaine qui avait convoyé le ketch depuis l’Allemagne à la fin des années 1950 rencontrer Philippe et remonter sur le bateau quasiment là où ils l’avaient quitté quarante plus tôt.
En 2004, Philippe Derain rachète un petit voilier à son ami et voisin de port, Richard Brogniart. Stereden est un voilier de 8,50 mètres sur lequel s’entraînaient les élèves de l’École de la marine marchande de Paimpol dans les années 1960. C’est un petit bijou que son propriétaire réserve pour ses sorties privées avec famille et amis… des promenades bien rares ! Début 2020, celui qui a consacré sa vie au Don du Vent décide de passer le relai. « J’ai cédé le bateau à Benoît Bouchet, je ne l’ai pas vendu. Je n’aime pas ce mot. »
Avoir son propre navire, c’est un peu le rêve de Benoît
Si Philippe avait peu d’expérience maritime en achetant Le Don du Vent, Benoît Bouchet, lui, est un marin d’expérience. Il a appris tout jeune à naviguer sur le bateau de son père. Mécanicien, il s’ennuie ferme, jusqu’au jour où il rencontre un ami qui lui conseille de s’engager comme « marin au pair » sur Pen Duick VI. « C’est-à-dire que tu es nourri, logé, pas payé et que tu bosses », explique Benoît en rigolant. Ses cinq mois à bord du ketch en aluminium d’Éric Tabarly, mené par Arnaud Dhallenne, le marqueront profondément. Benoît enchaîne avec une formation de capitaine. Il navigue sur des caïques turcs, comme second puis comme patron. À l’hiver 2018, Smart Spirit, le caïque qu’il patronne est en hivernage au Vieux-Port de Marseille sur la même panne que Le Don du Vent. Benoît ne se laisse pas impressionner par l’air méfiant de Philippe Derain qu’il félicite sur son bateau. « Je le vends. Un million d’euros », lui lance Philippe.
L’idée fait son chemin chez le jeune capitaine. C’est un beau bateau et il est rentable. Or, avoir son propre navire, c’est un peu le rêve de Benoît qui a passé les quinze dernières années à naviguer sur les bateaux des autres. Certes, il n’a pas d’expérience sur les voiliers traditionnels mais l’envie est là, ce qui plaît à Philippe Derain. Le jeune capitaine remue ciel et terre avec sa compagne pour obtenir un prêt. L’accord est conclu juste avant le début de la pandémie de la Covid 19. Depuis, Benoît et son équipe ne comptent pas leurs heures pour faire visiter les calanques à bord du Don du Vent. Entre mars et octobre, il propose des sorties à la journée ou à la soirée. Le capitaine réfléchit à des croisières de quelques jours, qui ne sont pas encore disponibles. En tout cas, il ne manque pas d’ambition puisqu’il a agrandi sa flotte en 2022 en achetant Eleanor Mary, une réplique d’un cotre-pilote anglais, avec lequel il propose les mêmes sorties à la journée ou en soirée. En mai 2024, ses deux voiliers ont escorté le Belem lors de son arrivée à Marseille avec la flamme olympique. Tranquillement, Le Don du Vent continue à ajouter de nouvelles pages au roman de sa vie… ◼