Texte et photographies de Mélanie Joubert – Après l’annulation de l’édition 2021 pour cause de Covid, la joie décuplée des marins était perceptible à bord des mille deux cent vingt-trois bateaux qui ont sillonné le golfe du Morbihan en mai dernier. Nous avons partagé le plaisir de la fête avec Loïc Siat, le patron de Moïra, à bord de ce canot qu’il a conçu et construit avec des collègues lors de son apprentissage à Mesquer chez Skol ar Mor.

En ce lundi 15 mai, premier jour de la Semaine du Golfe, les conditions sont musclées sur la « petite mer » et en baie de Quiberon. Le bateau accompagnateur sur lequel j’ai embarqué zigzague entre les courageuses unités qui ont décidé d’affronter le plan d’eau, malgré le clapot soulevé par le vent un peu frais. Parmi les plus modestes, certaines ont d’ailleurs renoncé à participer à la Petite Parade qui ouvre la semaine de festivités. Même le coquillier de la rade de Brest Sav Heol a sagement choisi l’option du mouillage à l’abri de l’île Méaban, tandis qu’au loin Shtandart, la réplique d’une frégate russe du XVIIIe siècle, prend de la vitesse sous un grain soudain. Nous le suivons un moment pour le plaisir, en admirant la puissance qu’il dégage… Nous finirons trempés mais le spectacle valait bien une douche ! 

Devant l’île de Gavrinis, quelques voile-aviron font force de rames au milieu des jolis bateaux de la petite plaisance qui surfent allégrement dans le courant, comme le Valk de 1963 Quadrifoglio et le Cormoran Anhinga, alors que l’équipage de la pinassotte Notre-Dame d’Arcachon s’entraîne, un peu malgré lui, pour les championnats du monde d’équilibriste ! Dans les petits bateaux creux, l’écope est indispensable…

Le jeudi, nous revenons pour embarquer cette fois sur Moïra, un joli canot à misaine, conçu par Loïc Siat et construit par ses soins chez Skol ar Mor lors de sa formation (lire encadré). Mis à l’eau à Mesquer en 2019, il participe à sa première fête du Golfe. Les conditions sont plus calmes aujourd’hui et nous sortons tranquillement pour naviguer à la rencontre des autres unités qui filent vers la mer ouverte. Les yoles de Bantry vont, elles, échouer sur la plage de Port-Navalo pour récupérer après un passage musclé dans le courant de la Jument… À fleur d’eau, sur Moïra, on sent la moindre risée. À la barre, un peu dure car le bateau est ardent, Adrianna gère l’écoute. « Lundi, pour la parade, on a dû prendre trois ris à cause des grosses rafales », raconte Loïc, qui a goûté à la Semaine du Golfe en 2019 pour la première fois. « J’avais navigué une journée sur Babar, et deux jours comme chef de bord sur la yole 1796 Le Traict. C’était génial, on avait un vent de Sud-Est, on a fait la remontée avec les voiles en ciseaux au milieu des voile-aviron... J’étais trop fier ! »

Le public, massé sur les rochers de Port-Navalo, est aux premières loges pour admirer les évolutions du 8 m JI Enchantement, qui vient de fêter ses cent ans.
©Mélanie Joubert

Nous croisons les voiles rouges de Jean & Jeanne : « Tiens, voilà le patron ! », s’exclame Loïc, qui salue le charpentier François Blatrix, chez qui il travaille depuis 2020, et où le sinagot a été restauré cet hiver. Derrière nous, le plan Dervin de 1950 Kraken II régate avec la flottille des classiques… « On a travaillé dessus il y a peu », précise Loïc, qui connaît décidément beaucoup de monde sur l’eau. Et quand nous passons entre le lougre Grayhound et La Cancalaise, le patron de Moïra est aux anges : « Je suis un dingo de voile au tiers », confesse-t-il.

« Borde, on va aller voir la Cancalaise »

« Borde, lance-t-il à Adrianna, on va suivre Joséphine », le petit canot sardinier lancé en 2023 par l’association Treizour à Douarnenez, qui a fait le voyage par la mer. Juanita Larando, la patache basque, elle, a navigué depuis Pasaia, avec notamment une escale à Bordeaux, où l’équipage s’est arrêté pour livrer du cidre avant de rejoindre la Bretagne, la cale chargée de vin. 

Nous sommes bien entourés : Le Français, Marité, Oosterschelde, Pen Duick et la flottille des classiques, tout comme les voiliers de travail, croisent dans les parages. « Cette semaine, on voit des bateaux venus de Méditerranée, des Pays-Bas… qu’on ne croise jamais habituellement. On va déprimer quand on sera tout seuls après ! », commente Loïc en riant.

Le Youkou Lili Askellig, venu de Morlaix, navigue avec d’autres représentants de la flottille des voile-aviron.
©Mélanie Joubert

« Borde encore, on va aller voir La Cancalaise… Pendant la fête, on fait du porte à porte ! Moïra est trop gros pour faire partie de la flottille des voile-aviron et légèrement trop petit pour celle des voiliers de travail… mais on arrive à suivre, même si c’est parfois serré pour tirer des bords, une obligation vu que nous n’avons pas de moteur », explique Loïc. « Alors les godilleurs ! » l’interpelle un équipier depuis un autre bateau. Sa réputation le précède, lui qui aime défier ses homologues lors des concours de godille organisés dans les fêtes maritimes. « J’ai pas de concurrence pour ce soir, viens ! » lui rétorque Loïc, bravache. Rendez-vous est pris à Groix pour le championnat du monde de godille en septembre prochain… 

Vendredi matin, en quittant Port-Blanc, nous suivons un temps les voile-aviron qui slaloment entre les piquets des parcs à huîtres en direction du fond du Golfe. Puis, nous mettons le cap vers la sortie de la petite mer. Devant l’île aux Moines, nous sommes presque seuls sur le plan d’eau. Doucement, quelques yoles sortent du port de Larmor-Baden, en ramant dans le courant… un bel éveil musculaire. Plus loin, ce sont les voiliers de la petite plaisance classique qui surgissent derrière un îlot : Caneton, Guépard, Ebihen, Joli Morgann rivalisent d’élégance alors qu’ils accompagnent la sortie des grands voiliers affrétés. 

Joli tableau avec La Recouvrance en toile de fond, un premier plan occupé par Talion, une lasse ostréicole de Marennes et, à droite, Catalina, une barque corse qui pêchait jadis la langouste avant d’intégrer la flottille de l’association Aventure Pluriel.
©Mélanie Joubert

L’après-midi, devant le port de Locmariaquer, Pen Hir à François Vivier navigue bord à bord avec Joséphine en direction de Crac’h. L’architecte aime photographier les bateaux sur lesquels il a travaillé. En rivière d’Auray, on retrouve la flottille voile-aviron, qui compte deux cent trente bateaux cette année. Et là, on ne sait plus où donner de la tête… Du Viola 14 Alea, un canoë sur plan Michael Storer, aux Seil, en passant par un Shearwater, un drôle de canoë venu de Whitworth en Angleterre, tout le monde tire des bords serrés… au point qu’une collision mettra sérieusement à mal les bordés d’un Seil. Parvenus devant le port du Bono, c’est à l’aviron qu’ils passent sous le pont pour continuer vers Plougoumelen.

« C’était d’enfer à ras de cailloux ! »

Car il est temps maintenant pour les flottilles de rejoindre leur port pour la nuit, différent chaque soir. Moïra s’échappe vers Saint-Goustan, tandis que le pneumatique que j’ai rejoint file dans le courant de la Jument entouré de Corsaire, de Muscadet et d’un Maraudeur de 1965, Yelkouan. Les classiques suivent en direction de l’île aux Moines. Loïc nous racontait tout à l’heure que la veille il avait fait « 500 mètres à l’envers, dans la Jument, c’était d’enfer à ras de cailloux ! »

Le dundée thonier Nébuleuse passe tout près de la réplique de langoustier Krog e Barz. Chaque après-midi, leurs équipages prennent plaisir à tirer des bords entre l’île aux Moines et Larmor-Baden. Nous croisons aussi Eugène Riguidel, l’ancien skipper de la course au large, venu en voisin : son air radieux trahit sa joie d’être sur l’eau en si belle compagnie alors qu’il remonte vers Port-Blanc à la barre de son Guépard, La Rieuse

Pour le rendez-vous de la Grande Parade, le moindre bout de rocher est noir de monde ! C’est le dernier jour de navigation et les conditions sont musclées. L’événement est d’ailleurs avancé d’une heure pour éviter le vent fort prévu pour la fin de journée. Les plus petits bateaux ne sortent pas du Golfe et rejoindront la parade à Larmor-Baden.

En attendant le départ, en baie de Quiberon, les classiques se regroupent. Pen Duick rejoint Harlekin, un 30 m2 suédois construit par Erik Nilsson en 1948. Près de la côte, le cotre plus que centenaire Lady Maud montre ses lignes fines au charme so british.

Morgenster, le brick né à Scheveningen en 1919, est un des fidèles de la petite mer. Il navigue de conserve avec la réplique d’un lougre cornouaillais de 1776, Grayhound, basé à Douarnenez.
©Mélanie Joubert

Puis, le coup d’envoi est donné et les bateaux s’engouffrent dans le Golfe avec les voiles arrisées pour la plupart, car le vent de Nord est toujours de la fête. C’est maintenant que la magie de la Semaine du Golfe opère dans toute sa splendeur, quand le 8 m JI Enchantement côtoie les rameurs irlandais d’Éalú, par exemple, ou lorsque le bac d’Arcachon Président Pierre-Mallet est assiégé par une meute de Bélouga… 

Enfin, les équipages rincés, au propre comme au figuré, rejoignent Port-Anna pour une dernière soirée de fête. L’occupant d’un Ilur gratifie un semi-rigide indélicat qui lui a fait des vagues d’une flopée de jurons fleuris juste avant de prendre un mouillage… Loïc, lui, savoure le repos du guerrier. « On a tiré des bords dans les rafales, et on a pris de l’eau. Une semaine de vent de Nord, c’est fatigant ! » Pour le reste, c’était parfait, comme le soulignent d’une seule voix les équipages du schouw Beleza et du tjotter De Jonge Minne, tous deux venus des Pays-Bas : « On a pris beaucoup de plaisir et on reviendra ! » Parce que ça, c’est vraiment une fête pour les marins…

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ENCADRÉS

Loïc Siat, architecte, constructeur et patron de Moïra

©Mélanie Joubert

Loïc Siat a trente-trois ans et il a grandi en Alsace. « Je me suis perdu cinq ans chez Mc Do, puis je me suis dit que j’aimerais bosser avec mes mains, dans le bois, comme mon grand-père. Étant Alsacien, je n’ai pas pensé d’emblée aux bateaux, mais, un jour, en naviguant avec mon oncle du côté de Lézardrieux, j’ai vu la chaloupe Eulalie, avec son étrave inversée… J’ai eu le coup de foudre ! J’ai fait un cap d’ébénisterie à Strasbourg et mon stage sur le chantier de construction du Jean-Bart. C’est là que j’ai découvert Skol ar Mor, où, pendant la première année de formation, j’ai travaillé sur un 12 m2 du Havre, Rascar Capac, et sur Baywatch, un Coquina sur plan Herreshoff. J’ai commencé à réfléchir à la conception de mon bateau au bout de six mois et on l’a construit la seconde année. 

« Après la formation, j’ai travaillé quatre mois sur Jeune Ariane (CM 243) et réparé la yole de Bantry Fée des marais. Je suis ensuite entré au chantier de François Blatrix pour la restauration de l’Illingworth Yanica en janvier 2020… et il m’a gardé ! Depuis, on s’est notamment occupé du sinagot Jean & Jeanne et du 6 m JI qui a gagné les JO en 1938, Ylliam III, ex-Maybe III. Le métier de charpentier de marine est très gratifiant, mais c’est dur physiquement. Et j’ai parfois des problèmes de conscience, car on utilise de temps à autre des bois exotiques… » 

Loïc n’est pas à court de projets : il a racheté deux coques qu’il répare depuis plusieurs mois à temps perdu. Il travaille ainsi sur le dernier goémonier de Tréompan (Ploudalmézeau, Finistère), construit en 1964, dont il veut faire le plus petit lougre à trois mâts : il ne mesure que 4 mètres ! Il rêve aussi d’une « godilleuse » de compétition pour monter à 7 nœuds. « J’ai appris la godille chez Skol ar Mor et ça m’éclate ! »

La conception du canot

« Au début, je cherchais un voile-aviron d’environ 6 mètres à construire. Mon rêve c’était un bourcet-mallet. Je voulais pouvoir le mettre sur une remorque, mais qu’il soit assez grand pour partir en bivouac. Il devait être étroit aussi pour ramer correctement seul. 

« J’avais repéré un canot canadien, un Myst. Quand le constructeur m’a envoyé les plans d’étude, je me suis rendu compte que je pouvais les modifier dans mon logiciel 3D. Alors j’ai commencé à mettre un bouchain de misainier, une étrave inversée… Le profil de la chaloupe Éliboubane, à Yvon Le Corre, m’a inspiré, comme les arrières des canots à misaine bigoudens… et, finalement, ça n’avait plus rien à voir avec le Myst !  

« Comme je ne suis pas architecte, Jacques Audoin, un des formateurs de Skol ar Mor, m’a donné des conseils. Sept carènes plus tard, quand j’ai commencé à avoir quelque chose d’à peu près crédible, je suis allé chez l’architecte François Vivier, qui a passé mon bateau dans ses logiciels et dans ses carènes, en plus de me donner des conseils pour poursuivre.

©Loïc Siat

« J’ai feuilleté tous les Chasse-Marée pour voir ce qu’il était possible de faire en matière de gréement et j’ai finalement retenu la configuration du Quimperlé vendéen. J’ai trouvé aussi l’inspiration dans Ar Vag 1 pour le côté sardinier, le nœud d’itague douarneniste ou les toletières d’aviron. En revanche, le mât n’est pas haubané. Il pivote à 80 centimètres de son pied sur un axe. Un palan en pied de mât aide à la manœuvre, tandis qu’un autre axe en Inox verrouille l’ensemble. » 

De la construction à la navigation

« Le bateau a été mis sur cale chez Skol ar Mor. C’était le support de formation lors de ma seconde année en tant que stagiaire, et nous étions quatre  
à travailler dessus. Il a été construit sans colle, en chêne et douglas, car je voulais utiliser des bois de pays. J’ai fait une exception pour les espars creux qui sont en pin d’Oregon, pour ne pas avoir trop de poids.

« Pour l’aviron, je suis allé au championnat du monde de godille, sur l’île de Groix, et je me suis inspiré de celui du vainqueur pour en faire un en frêne, qui est très performant. 

« Il y a un coffre sous le pontage arrière et devant, de part et d’autre du mât, et des planchers amovibles. J’ai 600 litres de flottabilité répartis entre l’avant et l’arrière. 

« Pour cabaner, on utilise la vergue de hunier comme faîtage et on met la misaine dessus. On va bientôt avoir un vrai taud. Les voiles ont été réalisées par Voile Agile à Questembert. Le mât est pivotant, on peut le descendre et le remettre seul, ce qui est aussi pratique pour le transport sur remorque. On peut ainsi partir avec une semaine sans problème. On a fait une croisière jusqu’à Houat et Hoedic, et je l’ai emmené jusque sur le lac Léman… 

« Je sors Moïra de l’eau après chaque navigation et elle est stockée sur sa remorque à l’abri. Le bateau est vraiment comme je voulais ! On avance bien dans le petit temps et il remonte très bien au vent. Il est très ardent et c’est sportif parce qu’on porte souvent le maximum de toile. En contrepartie, il vire très facilement. Je peux le manœuvrer seul avec la misaine, mais il faut avoir le coup pour affaler le hunier tout seul…

©Mélanie Joubert

« Il est très stable, mais il lui manque tout de même 10 centimètres de franc-bord. Je n’ai jamais chaviré, mais avoir toujours l’écoute à la main, ça use !

« Moïra n’a pas de moteur. Parfois, on doit godiller pendant trois heures à contre-courant pour rentrer… J’emmène surtout les gens de ma famille à bord, parce que les copains ont aussi leur bateau ! » 

À lire et à voir :

Collectif, la semaine du golfe du Morbihan, vingt ans de passion maritime, Le Chasse-Marée, 2021 . 

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