« Il y a encore moyen de faire une carrière à la pêche, je pense. Mais je suis pas encore fixé sur ce que je vais faire. »
Alexandre est interne au lycée maritime du Guilvinec (29). Virginie de Rocquigny l’a interviewé à Douarnenez sur le port.
Dessins de Hubert Poirot-Bourdain.
« Ma famille, c’est pas du tout des marins. Y a juste des frères de ma grand-mère qu’étaient de la marine de commerce, ils partaient six mois. Et c’est marrant parce qu’il y en a un qui s’appelait Alexandre, comme moi. Le monde est petit.
« J’ai grandi à Pont-Croix et ensuite à Douarnenez. Quand j’étais petit, j’allais à la pêche dans les trous d’eau. Aller un peu explorer, les crabes, les crevettes. Rester sur une serviette à la plage, pour moi, c’est compliqué. Vers huit ans, ma mère m’avait inscrit à un cours de pêche en rivière, à Pont-Croix, sur le Goyen. Mais je préfère la mer. Y a plus de place. Et c’est gratuit, t’as pas besoin de payer.
« J’ai commencé à pêcher ici, à Douarnenez, au port du Rosmeur. Avec mon frère, on avait monté une ligne avec juste un fil, un plomb et un hameçon. Et ça mordait ! Ensuite, c’est des gens qui m’ont montré comment faire les montages. Au fur et à mesure, j’ai fait à ma sauce. Mes premiers poissons, c’étaient des maquereaux et des aiguillettes, ceux avec un long bec. Et puis je me suis mis à prendre quelques photos des bateaux de pêche à quai. Je commençais à bien les regarder, les observer, chercher à quoi ça sert…Tout est parti de là.
« J’ai demandé des petits renseignements aux gars qui pêchaient à la ligne sur le quai, et puis j’ai carrément été voir les marins-pêcheurs : “Est-ce que c’est possible de sortir une nuit en mer ?” Et ça l’a fait.
« C’était un bolincheur, Esperanza 2, un bateau basque qu’était venu en Bretagne. Le patron m’a demandé de remplir des autorisations de papa-maman, et voilà. On avait rendez-vous à 19 heures, le temps de faire la glace. Après, fallait être sur le pont au taquet. On est passé devant le cap de la Chèvre, Camaret… À 2 heures du matin, on a pêché les premières sardines. Les 6 tonnes étaient là, mais c’était pas la folie non plus ce soir-là. On est rentré sur le coup de 8 heures, il faisait jour. Après ça, j’ai été une journée à la ligne avec le Vorlen, un bateau d’Audierne. Il pêchait du lieu sur les têtes de roche, ça m’avait plu de travailler aux hameçons. À un moment, comme j’étais un peu fatigué, le patron m’avait dit de m’asseoir et je m’étais endormi sur son siège. Quand je me suis réveillé, j’ai vu la mer partout… Je savais plus où j’étais !
« Les amis, ils ont été un peu surpris que je choisisse la pêche. Ils pensaient que j’aurais été dans une autre filière. Lycée maritime, c’est un peu… Pas ric-rac mais, comment dire, le milieu, c’est pas un milieu facile. Quand il fait mauvais, faut crocher dedans.
« L’internat au Guilvinec, ça a été un peu compliqué au début, le temps que ça se mette en place. L’ambiance, les mecs, parce que l’internat c’est 100 pour cent mecs… Dans le lycée, on est cent quinze gars et cinq filles. On n’a pas tous la même mentalité. On vient de familles différentes, de milieux différents. Les amitiés se créent au fur et à mesure. C’est vrai qu’il manque un peu de filles. D’ailleurs, ils ont envie de refaire un internat filles-garçons pour qu’il y en ait plus. Par contre, il y a pas mal de femmes dans les profs, des femmes de marins ou des anciennes navigantes qu’ont eu des enfants. On a un cours sur les techniques de pêche avec un ancien patron pêcheur. On travaille sur les plans de chalut, les coupes, tout plein de choses. On a aussi un simulateur. C’est super, t’es pas en mer, mais ça te met en condition quand même un peu. C’est à toi de tout faire, de pas échouer… On débute, mais on arrive à peu près à se débrouiller.
« La formation, c’est polyvalent. On a une prof qu’aime bien faire voir aux pêcheurs autre chose que la pêche. C’est vrai qu’il y a aussi la voile, la plaisance, le commerce… C’est quand même très diversifié. On se dit la pêche, y a que ça à faire, bah non en fait, il y a plein de choses à apprendre ! On est en filière pro, mais c’est pas facile hein, faut suivre. En pro, on se dit que c’est les enfants un peu en difficulté scolaire. Alors que moi j’étais pas du tout en difficulté. C’est vraiment plus une passion, sinon je ne serais pas allé là-bas au Guilvinec me former au métier de marin. C’est un métier passion. T’es sur l’eau, t’as encore un peu la liberté, même si c’est pas mal d’administratif malgré tout.
« De septembre à février, on est en formation sur tout ce qui est sécurité : gonfler un radeau de survie, mettre un gilet de sauvetage, réanimer quelqu’un, les médicaments… On est obligé d’apprendre tout ça au cas où il se passe quelque chose à bord. Ensuite, on commence à embarquer. Mon premier stage, c’était sur un fileyeur, le Sainte-Anne II. C’était rude. Départ 2 h 20 du port du Rosmeur. On était deux à bord, le patron et moi. J’essayais de démailler les poissons, étriper un peu, trier, amarrer le bateau… Voilà, c’est à peu près tout ce que je faisais, vraiment des choses de base. Il faisait froid, il avait même neigé ! Mes copains, ils étaient en cours et moi j’étais en train de me geler en mer. Ça m’a plu quand même, mais c’était dur. Je pensais pas que c’était aussi dur que ça. Tenir le rythme, rester éveillé. Ne serait-ce que bouger sur le bateau, il faut stabiliser donc ça fatigue, ça tire. J’avais déjà regardé pas mal de vidéos sur la pêche, mais la vidéo et la réalité, c’est pas pareil.
« Pour trouver mes stages, je me suis toujours débrouillé par mes propres moyens. Les réseaux sociaux aussi, ça aide. Je souhaitais faire un stage à la ligne et j’ai réussi à toper un ligneur sur Facebook Messenger. Je lui ai demandé d’aller une journée avec lui, pour qu’il voie comment je suis, et après il a signé la convention et je suis parti quinze jours avec lui. Le Malpica, c’est un des seuls ligneurs ici, en baie de Douarn’. Il pêche bien. C’est un des stages qui m’a plu le plus. Il chassait les sardines en surface, il me faisait mettre la canne à l’eau, il faisait un tour et moi je sentais le poisson qui tapait sur le leurre, y avait plus qu’à ferrer et à remonter. Y avait des fous de Bassan, des mouettes… Tout ce qu’est à la ligne, j’ai toujours aimé. Le chalut, c’est le bateau qui traque, c’est pas toi qu’es forcément en contact avec le poisson. T’es pas acteur. Enfin si, mais d’une autre façon. Alors qu’à la ligne, c’est toi qui sors vraiment ton poisson, ça vient vraiment de toi, c’est toi qui gagnes ta vie, c’est par tes propres moyens, directement. Enfin, de mon point de vue.
« Quand on est au lycée au Guilvinec, on va sur le quai dès qu’on a deux heures de trou entre les cours pour voir s’il y a des bateaux qui débarquent. On pose des questions : « Alors, vous avez bien pêché ? » C’est comme ça que les gars te repèrent, qu’ils voient que t’as un intérêt au métier. La plupart de nos embarquements, on les fait au chalut, parce que Le Guilvinec, c’est vraiment le chalut. J’ai fait quinze jours sur le Bellatrix. Rendez-vous à 5 h 30 sur le port et on rentre entre 17 et 20 heures. J’ai été barbouillé, un début de mal de mer. Ça bougeait. Après, j’ai été vacciné pour le mois. Mais ça va, y a des niches à bord, donc on peut dormir. C’est sur ce bateau que j’ai découvert ça : on dit pas “le lit” ou “la couchette” sur les bateaux de pêche, on dit des niches. “Allez hop, à la niche !” J’ai embarqué à la journée, on pêchait dans le Sud du Guil’, dans la grande vasière. De la langoustine, des langoustes, des soles, des congres, des saint-pierre… C’était la période de la folie du poulpe, les gars faisaient une tonne à la journée des fois. C’est un beau métier, la côtière, parce que le poisson, il est encore frais. Il est beau.
« J’aime bien à chaque stage faire un bateau différent. Voir différents patrons, différentes ambiances… Repartir un peu à zéro à chaque fois ça me plaît mieux que de faire tout le temps la même chose. On fait tous des stages différents, alors au lycée on se raconte les anecdotes, ce qu’on a fait à bord, la météo. Mais on dit pas trop ce qu’on a pêché. Les patrons nous disent des fois : “Dites pas !”… C’est un peu leur secret. Faut être à bord pour voir la chose. On raconte pas tout dans la pêche.
« En troisième année, j’ai fait un embarquement à bord d’un palangrier et un autre à la bolinche sur L’Artemis. C’est l’un des plus gros armements à la bolinche du Finistère, ils ont quatre bateaux. C’est des bateaux modernes, y a de la place à bord pour travailler, on n’est pas les uns sur les autres, c’est un des gros avantages pour l’équipage. Ça m’a bien plu. La traque du poisson, la technique de pêche, la cohésion de l’équipage. Tout dépend du top. Dès que le patron donne le top, la manœuvre, elle est lancée. Il va piéger le poisson. À un moment, on doit tous remonter le filet à la main, on doit le tirer en synchronisation, au même rythme, sinon le filet a des risques de se déchirer.
« Les gens qui m’inspirent, c’est un couple qui travaille à Ouessant. Ondine Morin, la pêcheuse, elle présente un peu son métier aux gens, elle fait des conférences et à la fois elle pêche. Il y a aussi un ligneur d’Audierne, Jean-Marc Guilcher. Je le connais par les réseaux sociaux et les vidéos sur YouTube. Ce qui m’impressionne, c’est sa connaissance du milieu marin, le respect qu’il a pour les espèces. Il préserve, il prend vraiment soin du poisson. Comme le disent les profs du lycée, prendre soin du poisson, le top qualité, c’est l’avenir. Au lycée, on est pas mal sensibilisé par rapport à la ressource, au milieu marin, à la gestion des déchets…
« Là, je passe mon bac et, pour l’année prochaine, j’ai postulé en BTS maritime pêche et gestion de l’environnement marin. J’espère être pris au Guilvinec, au plus près. Après le BTS, je pense peut-être essayer de rentrer dans les écoles supérieures de la marine marchande. On nous a bien expliqué que pour faire la marine marchande en France, faut pas s’arrêter au bac sinon on restera matelot, on sera vraiment sur le pont, tout en bas de la chaîne.
« Avec tout ce qui se passe en ce moment par rapport à la pêche, bon, voilà quoi… Je remets pas tout en question, mais un peu quand même. Je sais pas en fait si l’avenir est sûr. Comme disent certains, y aura du poisson, mais peut-être en moins grande quantité, la rémunération sera peut-être impactée. Imaginons : T’achètes un bateau, tu vas en mer et tu pêches pas… Bah, t’as pas de revenus et derrière t’as une famille, des charges… C’est un stress permanent.
« Et puis y a le fait que l’Europe casse des bateaux. Ici, un bateau est parti à la casse, il était quasiment neuf, un bateau hyper moderne, avec un bon confort. Je trouve ça un peu débile. Au lycée, on a eu une intervention d’un ancien patron. Il avait plus de cinquante ans. Il disait qu’on lui avait toujours dit qu’y aurait plus de poissons et qu’au final il a acheté des bateaux et il s’en est sorti. Y a encore moyen de faire encore une carrière à la pêche je pense, mais disons que ça m’a refroidi un peu. C’est pour ça, pourquoi pas m’assurer un diplôme et des brevets en marine marchande ? Je suis pas vraiment fixé sur ce que je vais faire…
« J’ai aussi dans un coin de ma tête de voyager grâce au métier. C’est pour ça que cet été, j’ai trouvé un boulot à la Brittany Ferries. Ça va être un peu l’aventure, vu que les bateaux partent de Bretagne et vont en Angleterre, en Irlande ou en Espagne. J’avais aussi envie de découvrir un autre type de navigation que la pêche. Y a des gars qui font toute leur vie ici en mer d’Iroise. Moi j’ai envie d’aller voir ailleurs un peu. La Polynésie, New York… Ne pas rester entre quatre murs. »