Par Christian Lemée
En octobre dernier, une expédition en mer Baltique organisée par le Sea War Museum, Musée de la guerre navale du Jutland, a étudié, près de cinq jours durant, trois épaves gisant presque intactes par 150 mètres de fond. Ces navires, qui dateraient des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, avaient été inventés lors de sondages effectués pour la mise en œuvre de la construction des gazoducs Nord Stream… dont l’explosion récente aura finalement favorisé cette exploration. Voici le premier volet du récit de l’expert archéologue naval embarqué de l’expédition…
Avant de poser un câble ou un pipeline sous-marin, la zone des futurs travaux est toujours soumise à une étude des fonds pour éviter les obstacles de nature géologique, voire les zones de dépôt de munitions. Cette prospection révèle aussi, parfois, des vestiges archéologiques. Ainsi, lors des études préliminaires en vue de la pose des gazoducs Nord Stream 1 (terminé en 2012) et Nord Stream 2 (terminé en septembre 2021), qui relient sur 1 224 kilomètres Vyborg, en Russie, à Lubmin, en Allemagne, ce sont presque deux cents épaves ou « anomalies » qui ont été répertoriées le long du tracé, qui traverse les eaux internationales mais également les zones économiques exclusives russe, finlandaise, suédoise et danoise, jusqu’à l’allemande. Certaines ont alors été filmées pour déterminer leur nature exacte.
Le 26 septembre 2022, les opérateurs des gazoducs Nord Stream constatent une baisse de pression dans chacun des deux équipements avant de repérer quatre fuites à proximité d’îles danoises : une au Sud-Est de Bornholm et trois au Nord-Est de Christiansø. Pour constater les dégâts et comprendre leur cause, le Danemark sollicite alors l’entreprise de travaux sous-marins JD-Contractor qui dépêche sur zone son navire Sima, protégé par des bateaux de guerre danois, suédois et allemands. Les autorités déterminent ainsi que les dommages résultent d’un acte de destruction volontaire à l’explosif.
Une fois cette mission achevée, le Sima en connaîtra une toute autre… plus singulière. JD-Contractor, son armateur, a en effet été fondé en 1972 par Gert Normann Andersen (lire ci-dessous), un passionné d’archéologie sous-marine qui n’est autre que le directeur du Sea War Museum, Musée de la guerre navale du Jutland (lire ci-dessous). Le Sima étant proche de certaines des épaves repérées lors des études préalables à la pose des deux gazoducs, Andersen a décidé de le mettre à la disposition d’une expédition d’étude, à organiser dans les plus brefs délais.
À 21 heures, nous appareillons, cap sur la pointe Sud de l’île de Gotland
Quinze jours suffiront à réunir une équipe comptant notamment les meilleurs techniciens et pilotes de robots sous-marins (remotely operated vehicles, ou rov) de JD-Contractor, Mogens Dam, Morten Haurum, Claes von Linstow et Kent Mølbæk. Ingemar Lundgren et Fredrik Skorg, de l’entreprise suédoise Ocean Discovery auront en charge la photogrammétrie des épaves, tandis que trois Anglais de Saddler Production embarqueront pour réaliser un film. Anne-Marie Eriksen, spécialiste en analyses ADN, représentera le Musée national du Danemark avec l’archéologue naval David Gregory. David, spécialiste de la préservation in situ, vient tout juste d’obtenir des fonds européens pour le projet Endure, qui s’intéresse à la préservation et la dégradation des matériaux en milieu subaquatique. C’est lui qui me propose d’être de la partie au titre d’expert en construction navale ancienne. Mon rôle sera de déterminer l’origine, le type et la datation des épaves. À bord se trouveront aussi le journaliste Knud Jakobsen qui représente le Sea War Museum et l’armateur Gert Normann Andersen, qui occupera la cabine du propriétaire.
Le mercredi 26 octobre en milieu d’après-midi, après un voyage routier de presque 500 kilomètres depuis Copenhague puis à travers le Sud et l’Est de la Suède, nous arrivons avec Anne-Marie et David sur le port de Västervik pour embarquer sur le Sima. Nous sommes accueillis par le second, René Rasmussen, qui nous assigne nos cabines individuelles, situées au troisième pont, juste sous la passerelle. Nous nous présentons ensuite chez le capitaine, John Skelmose, à qui nous remettons nos passeports, car nous quitterons les eaux suédoises pour nous rendre dans les eaux internationales. Un troisième officier, Slavomir Osowski, originaire de Pologne, comme la moitié des quatorze membres d’équipage, nous fait ensuite une visite en montrant l’emplacement des extincteurs, des masques à oxygène et des sorties de secours, puis nous indique nos postes respectifs en cas d’alerte homme à la mer, d’incendie ou d’ordre d’abandon du navire. Nous sommes enfin soumis à un petit examen écrit avant d’être inscrits au rôle de l’équipage.
Je suis surpris par l’ordre et la propreté qui règnent à bord, auxquels je ne m’attendais pas forcément sur un navire de travail. Le pont, encombré de matériel et des conteneurs qui abritent notamment le centre de commande des ROV, est très bien rangé, grues et robots sous-marins solidement arrimés. Ici tout le monde porte casque, chaussures de sécurité et gilet jaune tandis qu’à l’intérieur, bien au chaud, chaussons ou sandales sont de rigueur.
À 20 h 30, le pilote suédois est à bord. Une demi-heure plus tard, nous appareillons, cap sur la pointe Sud de l’île de Gotland, que nous devons doubler tôt le lendemain matin, avant de virer au Nord pour nous rendre sur la position de la première des trois épaves à étudier. Les prévisions météo sont bonnes : 10 nœuds de vent de Sud-Est pour les quarante-huit prochaines heures, mer calme, soleil.
À 7 h 00, après un exercice « surprise » d’abandon du navire, l’équipe de chercheurs se retrouve pour visionner un film sur la première des trois épaves que nous devons étudier. Sur ces images, datant de son invention, par 150 mètres de fond, sans bonne visibilité et en l’absence de lumière naturelle, on distingue à peine 2 mètres du navire à la fois, mais il m’est possible de dessiner un croquis qui nous donne une idée de ce que nous allons découvrir et permettre une planification de l’intervention. Si certains détails apparaissent – corps de pompes, habitacle de compas, pommeau de barre franche, petits canons sur leurs affûts… –, c’est surtout le superbe état de préservation de la coque qui nous surprend, même si tout ce qui est en fer a disparu, sauf les grosses ancres, ainsi que les cordages et les voiles, ce qui explique pourquoi poulies, espars, et autres pièces d’accastillage de la mâture gisent sur le pont et en dehors du bateau.
La sculpture d’un bonhomme aux grands yeux semble surveiller le poste de barre
À 12 h 30, le Sima arrive sur le site de la première de nos trois épaves, à 23 milles à l’Est de la pointe Sud de l’île de Gotland, et à 4 milles des gazoducs Nord Stream. Mais un souci technique sur le rov va nous obliger à quelques heures d’attente… Ce n’est finalement que le lendemain que peut avoir lieu la première plongée. Le rov est d’abord placé à bord d’une nacelle en Inox qui permet d’éviter de prendre l’ombilical – faisceau de câbles et de commandes qui le relie au Sima – dans les hélices du navire. L’ensemble est descendu à environ 20 mètres au-dessus de l’épave, puis le robot quitte sa nacelle pour être piloté vers son objectif. Six heures durant, Ingemar Lundgren et Fredrik Skorg vont faire évoluer le ROV autour de l’épave pour en déterminer les caractéristiques et réaliser minutieusement des centaines de clichés pris de différents points de vue, couvrant la totalité du navire. Ces photos, une fois assemblées par informatique, vont produire une vue d’ensemble de l’épave en trois dimensions. Dans le même temps, une autre caméra filme les vestiges.
Tandis que nos deux experts suédois travaillent dans le conteneur de contrôle, nous suivons leur manœuvre depuis un autre conteneur, plus spacieux, doté d’écrans répétiteurs. La visibilité est relativement bonne sur l’épave, 4 à 6 mètres, sans trop de plancton ni de courant soulevant des sédiments. Mais tandis que nous découvrons les premières images, chacun s’aperçoit rapidement qu’il ne s’agit pas de celle qu’on a étudiée la veille. Cette épave relativement grande mesure environ 27 mètres de long. Elle semble également bien préservée, avec des bois intacts, les eaux saumâtres de la Baltique ne convenant pas aux tarets. Ici aussi, tous les éléments en fer ont quasiment disparu, laissant derrière eux comme une ombre. Voiles et cordages se sont aussi volatilisés.
Sur le milieu du pont, que nous avons touché en premier, nous découvrons une petite embarcation légèrement abîmée. Vers l’arrière, une descente mène à une cabine. La barre, de très fortes dimensions, est dotée à son extrémité de palans. Une tête sculptée apparaît au sommet du gouvernail. Son abondante chevelure bouclée est coiffée d’un oiseau, cygne ou oie dont la tête retombe vers le front du personnage. Les yeux de celui-ci sont un peu trop grands – le style est naïf et les traits simplifiés –, et il arbore une moustache bien garnie. Ce type de sculpture, à cet emplacement, est commun sur les bateaux néerlandais, surtout de la Frise, aux XVIIe et XVIIIe siècles. S’agissait-il de « surveiller » le barreur et faire en sorte qu’il maintienne et son attention et son cap ?
Devant la barre se trouve un poste de pilotage et une des trois pompes à bras du navire avec son levier, les deux autres pompes de cale étant de part et d’autre du grand mât, leurs leviers brisés sans doute par la chute des espars. Devant le poste de pilotage, on accède à un rouf par une porte située au centre de sa cloison arrière, à clins comme les trois autres côtés, partiellement disjoints de la structure car les clous en fer ayant solidarisé les planches à la charpente ont été rongés par la rouille. Une grosse aussière parée à être frappée, probablement sur une des quatre ancres toujours à bord – trois à la proue et une à poste sur tribord arrière – repose sur le toit du rouf au bouge bien marqué.
laisse entrevoir l’intérieur de la cabine. On distingue par ailleurs quelques abouts de virures qui se sont désolidarisées de la structure.
En bas, on reconnaît l’avant avec une ancre à jas, à poste, et des restes de cordages sur le guindeau. Noter les formes très carrées du navire. © OCEAN DISCOVERY/JD CONTRACTORS OCEAN DISCOVERY/JD CONTRACTORS
Deux barriques, vraisemblablement la réserve d’eau douce du navire, sont amarrées sur le pont devant la cabine. Elles sont à demi disloquées, leurs cercles en fer ayant disparu. Un canot à clins est sur le pont à tribord, partiellement abîmé : c’est l’embarcation de servitude. Sa présence indique que l’équipage n’a sans doute pas pu quitter le navire en perdition…
L’écoutille de cale est toujours scellée ; la cargaison doit être toujours à bord. Le grand mât est dressé presque à la verticale dans son emplanture, mais les vergues sont tombées sur le pont du navire. Devant le grand mât, une poutre transversale a servi à renforcer la coque au maître-bau. Un peu en avant, on reconnaît les contours d’une petite écoutille qui pourrait mener au poste de l’équipage ou à un magasin.
L’avant du navire, vu en plan, est presque carré, comme son arrière et surtout comme celui des chalands néerlandais, qui pouvaient ainsi charger un maximum de marchandises. Sauf qu’ici il s’agit d’un navire destiné à évoluer en mer… Juste derrière l’étrave, un guindeau à barre d’anspects, destiné à relever le câble des ancres, est fixé de part en part de la coque. Cette construction est également typique des bateaux néerlandais des XVIIe et XVIIIe siècle : on la retrouve même sur les cogues du Moyen-Âge.
Trois ancres en fer à jas en bois sont à la proue, deux à bâbord et une à tribord, prêtes à servir. Nous voyons clairement les anneaux munis de poulies placés sous les bossoirs renforcés chacun par un genou– celui du bossoir bâbord, préservé, est décoré d’une torsade sculptée. Juste derrière ces ancres se distinguent les bittons d’amarrage. Un très long mât de beaupré dépasse de l’étrave, muni d’un beaupré volant, tous deux dotés de taquets.
L’étrave, à très faible élancement, est constituée d’un assemblage de bois de fortes dimensions. De solides courbes horizontales la renforcent au niveau du pont. De chaque côté se trouve un écubier, celui de bâbord ayant encore un câble pour son ancre. Un cap-de-mouton et des concrétions ferreuses qui ont servi à fixer l’étai de grand mât reposent sur la tête d’étrave.
Si les pièces métalliques ont presque toutes disparu, le bordé est demeuré en place car il est assemblé à la charpente par des gournables. Ainsi la coque est intacte, sauf dans ses extrémités où elle est grande ouverte, comme si elle avait explosé. Cela a-t-il occasionné le naufrage ? Ces ouvertures se sont-elles produites quand le navire, certainement lourdement chargé, a touché le fond ? À moins que le bordé, ici très fortement cintré, ait été cloué aux extrémités et que ces fixations aient rouillé et lâché ?
Chacun à bord se demande comment cette galiote a coulé au fond de la Baltique
Deux petits sabords carrés haut placés apparaissent à la poupe de chaque côté de l’étambot. Les restes d’une décoration de style baroque, constituée de couronnes et de guirlandes sculptées sur des planchettes de bois, ornent encore celui de bâbord. Celles du sabord tribord gisent sur le fond.
Les espars semblent être tous préservés. Ils gisent épars sur le pont et le fond, comme l’accastillage. Le grand mât et l’artimon sont toujours à leur place mais nous pouvons seulement mesurer le second, dont la longueur avoisine les 16,50 mètres.
La première interprétation de cette épave suggère qu’il pourrait s’agir d’une galiote. Les navires de ce type, aux formes si rondes que les Anglais les qualifiaient de « boîtes à beurre », ont remplacé les flûtes au cours du XVIIe siècle. Leur construction, relativement simple, était courante dans le Nord des Pays-Bas. Les galiotes, très répandues, ont servi au commerce en mer du Nord et en Baltique jusqu’au XVIIIe siècle, et furent aussi utilisées pour la pêche à la baleine en Arctique. On en trouvait aussi au service de la Compagnie unie des Indes orientales hollandaise (VOC) et de la flotte de guerre des Pays-Bas, où elles servaient de navires ravitailleurs ou d’avisos. Les galiotes pouvaient être gréées de deux ou trois mâts portant des voiles à corne, des voiles carrées et des voiles d’étais. Sur notre épave, nous trouvons de plus la présence d’une bonnette attestée par ses balestrons, toujours en place sur ce qui semble être la grand’vergue. Leur longueur était au XVIIe siècle de 18 à 23 mètres ; celles du siècle suivant atteignaient jusqu’à 30 mètres. Elles pouvaient charger entre 65 et 90 lasten (soit 130 à 180 tonnes, le last hollandais d’alors valant environ 2 tonnes).
La taille de notre épave, de 24 à 27 mètres environ, suggère qu’il s’agit d’une « galiote d’un mât et demi » comme on les nommait à l’époque. Si nous n’avons pas encore trouvé ce navire dans les archives, une très belle gravure de 1789 due à l’artiste hollandais Gerrit Groenewegen nous donne une image presque photographique de notre épave. Tout y correspond ! Dans son traité de la construction des vaisseaux, ou Architectura Navalis Mercatoria, daté de 1768 (lire ci-dessous), le Suédois Fredrik Henrik af Chapman montre un navire proche de notre épave, présenté comme un heu : un navire de charge hollandais destiné au transport de passagers ou de marchandises, principalement entre les Pays-Bas et l’Angleterre. Les bateaux de ce type étaient généralement gréés en sloup, et il est étrange que Chapman représente un heu avec deux mâts. Dans ce cas, il doit s’agir d’une galiote.
Bien entendu, chacun à bord se demande comment celle-ci a coulé au fond de la Baltique… S’il est un peu tôt pour résoudre ce mystère, les dommages constatés aux extrémités peuvent laisser imaginer que l’eau s’est engouffrée par là, si ce n’est pas le choc avec le fond qui a ouvert la coque, les vestiges semblant nous montrer un bateau qui était peut-être déjà vieux et usé. Il est aussi possible que notre bateau soit entré en collision avec un objet flottant. Les vagues hautes et très courtes que l’on rencontre en mer Baltique par mauvais temps ont aussi pu avoir raison de la structure du bordé.
Les archives nous racontent en effet que les galiotes des Pays-Bas se rendaient principalement en Baltique pour y charger du grain et du bois, et qu’elles étaient souvent lourdement lestées, à l’aller, de briques et de tuiles en terre cuite des Pays-Bas, qui servaient à la construction dans les villes portuaires. Hélas, nous ne savons pas ce que notre navire transportait, et nous n’avons pas cherché à le savoir… même si ce n’est pas l’envie qui manquait de soulever une écoutille ! Le but de notre expédition sur ces trois épaves est bien en effet de les documenter pour pouvoir les étudier et à terme revenir les observer pour en comprendre le processus de détérioration…
Après presque sept heures passées au fond, nous remontons le sous-marin téléguidé. Fredrik Skorg, pilote du ROV, s’extirpe enfin de son siège placé devant les écrans organisés dans le petit conteneur arrimé sur le pont du Sima. Il est tout sourire mais épuisé, comme son collègue Ingemar Lundgren. C’est un travail intense de se concentrer des heures durant, tandis que les moteurs du Sima travaillent à conserver notre position au-dessus de l’épave.
Dès que le rov est embarqué, l’équipage envoie un autre robot sous-marin qui, au cours de deux heures de plongée environ, effectue un relevé à l’aide d’un scanner multifaisceaux afin d’obtenir des mesures précises des vestiges qui nous permettront de reconstituer les dimensions exactes de l’épave.
Le Sima met le cap sur la prochaine épave, à une quarantaine de milles
Malgré le retard dû aux ennuis techniques sur le ROV avant la première plongée, le matériel fonctionne désormais parfaitement et nous avons obtenu des résultats plus que satisfaisants. Nous nous rendons presque tous au mess pour dîner, tandis que le Sima met le cap sur la prochaine épave, positionnée à une quarantaine de milles dans le Nord-Est sur laquelle il arrive vers 1 heure. Aucune lumière naturelle ne parvenant par 150 mètres de fond, peu importe que nous travaillions de jour ou de nuit. Le temps est toujours au beau, mais les prévisions météo annoncent un avis de grand frais pour la journée du samedi, avec des vagues pouvant atteindre 3 mètres de haut…
À 1 h 30, le ROV est envoyé vers le fond, et bientôt apparaît sur les écrans… le logo d’un fabricant de radars ! Nous sommes en fait sur l’épave d’un chalutier coulé depuis seulement quelques années… Lors des études préliminaires à la pose du gazoduc, les quelque deux cents obstructions ou épaves répertoriées ont visiblement été mal inventoriées pour certaines… C’est finalement à 5 heures que nous plongerons sur « l’épave au dragon », celle que nous avons déjà sommairement étudiée sur une ancienne vidéo. Sauf que, contrairement au film que nous avons visionné, les images sont ici fascinantes…
À suivre… dans un prochain numéro, où Christian Lemée vous mènera à la découverte des deux autres épaves observées par l’équipe du Sima au cours de la campagne d’octobre dernier !
EN SAVOIR PLUS
Le Sima, ex-NEFTEGAZ-66
Ce navire de 81 mètres de long et 2 881 tonneaux de jauge brute a été construit en 1990 à Szczecin, en Pologne, pour servir à la manutention de grandes ancres sur les fonds marins. En 2013, il est acquis par la société JD-Contractor (lire ci-dessous) qui le refond et le modernise, le rebaptisant Sima. Cinq ans plus tard, une nouvelle remise à niveau permet l’ajout d’équipements spécialisés, d’une nouvelle grue et d’un portique mobile. Le Sima est aujourd’hui en mesure d’être déployé sur tous les océans. Grâce à sa conception flexible, il peut être rapidement adapté à des tâches très diverses comme la pose de câbles sous-marins, la recherche avec des robots commandés à distance, la manipulation d’ancrages lourds et autres travaux sous-marins.
JD-Contractor
C’est en 1972 que Gert Normann Andersen crée la société de travaux sous-marins JD-Contractor. Originaire du Jutland, âgé de vingt-quatre ans seulement, il venait tout juste de commencer sa carrière de plongeur professionnel en renflouant, pour la compagnie A.P. Møller, un gros chaland transportant du matériel de forage parti à la côte. Les premières années, JD-Contractor se consacre à la maintenance portuaire, au nettoyage d’hélices, et travaille comme prestataire pour des sociétés de sauvetage et de renflouement, avant de se spécialiser dans l’inspection de lignes électriques et de câbles de communication sous-marins.
Au début des années 1980, JD-Contractor développe également son propre système de pose et d’enfouissement de câbles sous-marins, ce qui lui apporte rapidement de gros contrats. L’entreprise se dote bientôt de matériel spécialisé, et décroche des marchés à l’étranger, comme la pose d’un pipe-line d’ammoniaque destiné à la fabrication d’engrais, en 1992, au Costa Rica.
En 1994, JD-Contractor acquiert son premier grand navire en rachetant aux Phares et Balises néerlandais Honte, construit aux Pays-Bas en 1961. Au grand dam de Gert Normann, qui tient à ce que tous ses bateaux naviguent sous pavillon danois – c’est aujourd’hui le cas –, quelques centimètres manquent à la hauteur sous barrots dans les pièces de vie, ce qui interdit de l’homologuer au Danemark… par défaut, le navire sera immatriculé à Saint-Vincent.
En 2001, l’armement reprend le département d’installation de câbles sous-marin de NKT-Cables, la plus grande entreprise danoise du secteur. En 1995, il se lance dans l’éolien avec l’installation des premiers parcs à Tunø Knob au Danemark. L’armement, désormais dirigé par les deux fils de son fondateur, compte aujourd’hui une flotte de treize navires, allant de l’Assister, le plus important (90 mètres de long et 6 536 tonnes de jauge brut), jusqu’aux plus petits comme Lille Bjørn et Buizerd destinés à travailler en eaux peu profondes, en passant par les navires poseurs de câbles Henry P. Lading (en photo) et Cable One – dont on se souvient qu’il avait accompagné le Havhingsten, la réplique du bateau viking Skuldelev 2, lors de son voyage entre Roskilde et Dublin en 2007 et 2008 (CM 175 et 229).
Le musée d’un archéologue amateur passionné
Gert Normann Andersen a toujours été passionné par l’archéologie sous-marine, passant de nombreuses heures de son temps libre dans les archives ou à interviewer les pêcheurs de la côte du Jutland dans le but d’identifier des sites de croches, signes possibles d’épaves inconnues… aux cargaisons peut-être précieuses. C’est ainsi que, une fois les autorisations obtenues, il va récupérer des cargaisons entières de métaux sur des épaves récentes, mais aussi de véritables objets de musée. La découverte d’épaves anciennes le conduit d’ailleurs à travailler étroitement avec les musées locaux et le Musée national du Danemark pour valoriser ce patrimoine.
Dès 1965, il recherche notamment les épaves des deux vaisseaux de ligne britanniques HMS St. George et HMS Defence, qui firent naufrage à Thorsminde, sur la côte du Jutland, pendant la nuit de Noël 1811, mille quatre cents personnes périssant dans le naufrage. L’épave du St. George est localisée en 1970. Les fouilles, auxquelles Gert Normann Andersen participe, débutent en 1980. Depuis, de nombreuses campagnes, dont certaines financées en partie par JD-Contractor, ont mené au sauvetage de centaines d’objets. Gert Normann participe ainsi à la fondation du Musée du naufrage du St. George, ouvert à Thorsminde en 1992.
Gert porte aussi un intérêt particulier à la bataille du Jutland, un des plus grands combats navals au monde : le 31 mai et le 1er juin 1916, en mer du Nord, au large du Danemark demeuré neutre durant la Première Guerre mondiale, deux cent cinquante navires et plus de cent mille marins de la Grand Fleet britannique et la Hochseeflotte allemande s’affrontaient. Les Anglais l’emporteront, au prix de terribles pertes humaines dans les deux camps, et la flotte allemande ne quittera plus ses ports jusqu’à la fin du conflit.
Au fil des années, Gert Normann Andersen est parvenu à localiser les vingt-cinq épaves des navires qui ont coulé lors de la bataille. Le musée de Thorsminde ayant refusé sa proposition d’exposer des vestiges de ces bateaux, comme celle de créer un parc à la mémoire des marins qui y ont péri, il quitte cette structure en 2013 pour créer, sur ses fonds personnels, le Sea War Museum Jutland, dédié à la bataille.
Le 15 septembre 2015, cet établissement ouvre dans d’anciens bâtiments du port de pêche de Thyborøn, sur la côte Ouest du Jutland. Son propos : « La Guerre est une tragédie et ne doit pas être glorifiée, mais l’histoire doit être contée et les victimes doivent être honorées par notre souvenir ».
Soixante-sept mille visiteurs, dès la première année, viennent y découvrir de nombreux vestiges d’épaves, parmi lesquelles des pièces d’exception, comme la tourelle du sous-marin allemand U-20 qui coula le transatlantique Lusitania le 7 mai 1915 au large du Fastnet, provoquant l’entrée en guerre des États-Unis d’Amérique.
L’espace dunaire situé entre le musée et le bord de la mer du Nord accueille un parc mémorial où vingt-cinq stèles en granit de 3,50 mètres de haut sont dressées. Chacune est gravée au nom d’un navire perdu durant la bataille, et indique le nombre d’hommes disparus avec lui. Autour, des sculptures à taille humaine, symbolisant chacune un marin disparu, sont dressées au fur et à mesure des donations. Il y en aura, à terme, huit mille six cent quarante-cinq.
Cette année verra l’ouverture au public de nouveaux espaces au public pour évoquer le sauvetage, avec l’exposition d’un ancien hélicoptère et d’un bateau de sauvetage, les drames en mer, les naufrages, l’histoire de la plongée sous-marine, des portraits de navires… ainsi que d’une bibliothèque accessible aux chercheurs.