Texte de Virginie de Rocquigny et photographies de Simon Jourdan - Été 2022 : l’association Treizour met à l’eau la réplique d’un canot sardinier de 7 mètres, Joséphine, après deux ans d’un chantier participatif mené sous l’herminette de deux charpentiers professionnels. De nombreux bénévoles, de tous âges et d’origines diverses, heureux d’apprendre et de se retrouver, ont découvert la charpente de marine. Avec, en plus du plaisir de construire de ses propres mains un canot, la grâce de naviguer a bord une fois celui-ci à l’eau.
« J’étais un peu étonné et sceptique au départ sur notre capacité à construire un bateau par rapport au travail que ça représente et à l’investissement financier. C’était un pari. Et finalement ça a démarré, ça a motivé plein de gens, et puis ça a avancé assez rapidement ! L’association a recruté pas mal d’adhérents, des jeunes et des moins jeunes, grâce à ce nouveau projet. On a même vu des gens arriver de Hollande ou de Suisse qui avaient entendu parler de D21 et qui sont restés un ou deux mois à travailler le vendredi et le samedi avec nous. Après, ils sont repartis et, pour certains, on ne les a jamais revus. On était un noyau dur d’une dizaine de personnes, mais il y avait beaucoup de renouvellement, donc ça faisait un brassage sympathique. Le fait de travailler avec quelqu’un, puis de le revoir sur toute une année toutes les semaines, ça crée des liens.
C’était étonnant de voir le temps qu’on mettait pour faire une pièce : Yvon et Samy [les deux charpentiers professionnels salariés, NDLR] faisaient ça en une heure, nous, c’était une journée ! Mais ils ont pris le temps qu’il fallait pour nous faire faire les choses. C’est assez incroyable la réflexion qu’il faut mener avant de déposer le moindre bout de bois. Quand on fait de la menuiserie, on a des références, des plans, un axe, on a des perpendiculaires. Là, sur un bateau tout est courbe, les angles changent d’un bout à l’autre de la pièce ! Quand on a mis la chaloupe à l’eau, des gens qui participaient au chantier ont dit : “Bon, on en fait un autre !” Moi, mon avis, c’était plutôt on l’a fait, on va naviguer avec maintenant. Treizour, c’est pas un chantier naval. Le fil rouge de ce projet, c’était d’avoir un nouveau bateau et de transmettre un savoir-faire. »
Henry Galbold, 73 ans
« L’idée de ce chantier, c’est que n’importe qui pouvait participer, et pour ça il fallait embaucher des charpentiers. Pas pour construire le bateau, mais pour expliquer, accompagner, donner des missions à hauteur de ce que chacun pouvait faire. Le but, c’était aussi que la charpente de marine, souvent idéalisée, comme si c’était un machin de surhomme, soit accessible. La seule contrainte pour les participants, ce sont les horaires parce que tu peux pas avoir des personnes qui arrivent à toutes les heures et qui disent : “Bon, je fais quoi ?” On voulait aussi que ce chantier soit ouvert au public en permanence. Les machines-outils se trouvaient dans l’atelier voisin de l’association du langoustier Skellig, dont l’accueil a été déterminant. Ça limitait les risques. Quand on était petits, on pouvait aller dans les chantiers, toucher les copeaux, sentir les odeurs de goudron… Maintenant, c’est rarement permis, alors que les gens adorent ça ! Donc, dans notre hangar, il y avait toujours une personne pour les accueillir. Elle faisait faire le tour aux visiteurs, racontait le projet. Et quand les gens finissaient par demander : “Et moi, qu’est-ce que je peux faire ?”, on leur disait de revenir la semaine suivante avec des habits dégueulasses. Quand tu construis un bateau comme ça, pour le plaisir, à la main, tout ce que tu fais, c’est beau. »
Jacques van Geen, 47 ans
« Ça faisait un moment que je voulais naviguer, que je m’intéressais aux vieux bateaux en bois. J’ai toujours eu une espèce de rêve autour de la beauté de ces bateaux. Mes parents avaient ce rêve d’un jour partir en bateau. Ils ne sont jamais partis mais ils ont nourri nos envies à mon frère et moi… J’habite à Douarnenez depuis seize ans mais je ne connaissais personne dans le milieu de la mer. Ça me semblait inaccessible. Je ne voyais pas du tout comment on pouvait naviguer sur des bateaux en bois sans en avoir un soi-même ou sans connaître quelqu’un qui en avait un.
J’aime beaucoup les quais du Port-Rhu, avec tous les bateaux, les hangars noirs. Et un jour j’ai vu ce squelette de bateau qui dépassait du hangar de Treizour. Je passais, je repassais et un jour j’ai osé franchir la porte. On a tout de suite discuté avec Claudio. Il m’a dit : “Regarde, reste. Tu veux manger avec nous ?” Ni une ni deux, je me suis retrouvée adhérente à faire des copeaux et je suis restée ! J’ai commencé à venir tous les samedis. À l’époque j’étais instit’, je travaillais toute la semaine, j’arrivais pas à voir le jour. Le samedi, je mettais mon réveil aux aurores pour aller au marché, remplir le frigo pour mon fils, faire un coup de ménage, et ensuite j’étais au chantier à 10 heures. Je n’ai aucune formation ni en menuiserie ni en quoi que ce soit mais j’ai toujours aimé travailler le bois. Ça m’intéressait de voir comment on construit un bateau, peut-être avec l’idée secrète d’en construire un plus tard… Et puis si j’en achète un, un jour, je saurai comment le réparer. C’est ça aussi qui m’a poussée à m’engager.
Quasiment tous les samedis, après la journée de chantier, Jacques nous emmenait faire une navigation sur Telenn Mor jusqu’à ce que la nuit tombe. J’ai appris énormément avec lui. En parallèle, j’ai suivi les formations de second et j’ai assez rapidement été validée comme chef de bord sur Joséphine. Il faut savoir gérer toutes les manœuvres, le bateau à toutes les allures, toutes les configurations de voile. Et puis il y a une partie de transmission : être capable de faire faire aux équipiers qui montent à bord, donc d’expliquer tout ce qu’on fait.
Treizour, ça a ouvert un horizon. J’aimerais partir vers le nord avec un bateau en bois. J’ai tout un petit périple dans ma tête. C’est un peu un tour du monde mais pas dans le sens habituel. Est-ce que j’y arriverai dans ma vie ? Je ne sais pas mais j’ai très envie. »
Marion Mouturier, 46 ans
« J’ai découvert des outils, par exemple le fer à calfat, la petite fausse équerre pour prendre l’angle des membrures. C’était très marrant de travailler à la main, de ne pas avoir la contrainte de temps derrière. Sur le chantier, il y a plein de tâches qu’on ne peut pas faire seul, donc il faut faire appel aux autres, on doit aller vers les gens. Y avait pas une fois où on rigolait pas un peu ! »
Tristan Moineau, 23 ans
« Moi, j’ai pas d’attrait pour la mer mais je marche à l’affectif. Sur les bateaux, c’est les gens qui m’intéressent ! Si ce projet a été mené à terme de la plus belle des façons, c’est grâce aux repas. Ça crée une cohésion pas possible de manger tous ensemble ! On a tout fait, même des moules-frites pour vingt-cinq personnes ! Il faut une âme pour un chantier. Cette synergie qui s’est créée, c’est ça qui a fait qu’on avait du goût à venir. On a commencé à quatre-vingts, on a fini à trois cent douze, avec des personnes qui se sont révélées ! »
Claude Péron, 72 ans
« J’étais charpentier dans le bâtiment et la construction de bateaux m’intéressait. Je voulais me rapprocher de la mer. J’ai découvert Treizour en arrivant à Douarnenez. Quand je me suis pointé, juste après le Covid, ils en étaient au bordage. À partir de là, je me suis forcé à venir tous les samedis après ma semaine de boulot. Dans mon métier, on prenait de moins en moins le temps d’utiliser les outils à main comme le rabot. Sur ce chantier, on était dans la recherche de l’importance du détail, et c’est ça que j’ai adoré. On pouvait être efficace, retrouver une précision. Dans les constructions neuves maintenant, tu as d’autres contraintes, économiques, de rentabilité. Là, c’était un rapport au travail, au temps, à l’ouvrage, complètement différent. J’ai appris avec les professionnels mais j’ai aussi été confronté à des gens qui ne sont pas du métier et je me suis retrouvé à apprendre d’eux. Pour les bordages, faut être très précis mais en même temps faut envoyer en force.
En arrivant en Bretagne, je pensais que j’allais me former en tant que charpentier de marine sur le tas, mais j’ai réalisé qu’un an de chantier participatif, c’était pas assez. J’ai choisi de me former ensuite aux Ateliers de l’Enfer en charpente marine. Et maintenant je prends un an de plus de formation pour avoir un certificat de matelot de pont. L’idée, c’est d’être embarqué le plus possible parce que j’adore de plus en plus être sur l’eau, et de bosser dans des chantiers l’hiver. Ça m’a permis de voir qu’il y avait encore des bateaux traditionnels, que c’était possible. Demain, je pourrai travailler embarqué en tant que matelot à la voile trad’ et aussi être charpentier dans un chantier naval. »
Joachim Cluzeau, 30 ans
renforcent la cohésion du groupe, même quand ses membres changent d’un vendredi à l’autre.
À droite : Ci-contre : les bordages, d’un seul tenant, sont étuvés une heure et demie pour gagner en souplesse. Les charpentiers ont ensuite quinze minutes pour les poser, des serre-joints servant alors à les maintenir en position. Ici, c’est le ribord qui est mis en place.
Les différentes parties au contact sont enduites d’un mélange de goudron et d’huile de lin pour éviter les bulles d’air.
©Simon Jourdan
« On a découvert Treizour via une amie quand on est arrivés de Belgique pour s’installer en Bretagne. On est rentrés dans ce hangar comme une grosse cabane au Canada, ça travaillait dans tous les sens, tout le monde était à son affaire. On a trouvé là quelque chose qui était fantastique et presque de l’ordre de l’irréel. La beauté !
Je me suis retrouvée en voilerie. C’était incroyable comme apprentissage : je ne savais pas que ce serait aussi dur et exigeant. Pourtant j’ai beaucoup cousu dans ma vie mais c’est pas de la simple couture. Il faut une bonne compréhension de la manière dont tu rentres l’aiguille dans les épaisseurs, de la manière de tenir ton aiguille… La régularité du point est hyper importante. Il ne doit pas y avoir de tiraillement. Faut pas être distrait ! Moi, je suis en ébullition très vite émotionnellement, et là il fallait apprendre à être calme, à être dans l’instant. J’ai tenté de faire de mon mieux. À la fin, certaines ont travaillé vraiment des heures et des heures. Les épissures, le ralingage, les œillets… J’ai vu leur patience !
Le jour de la mise à l’eau c’était magique. Les fleurs qui flottaient, les fleurs sur le bateau, ce portage qui se fait petit à petit, et puis hop ! on monte sur une béquille, tchak boum ! Il y avait la musique, il faisait beau, il y avait du vent… Telenn Mor est passé à côté de Joséphine. C’était très poétique. »
Sophie Pirard, 69 ans
ce n’est pas le cas à la bordure où subsistent des pointes – et numérotées, elles partent en couture, sur les bancs. »
À droite : Les voiles ont été cousues à la main. Assises sur les bancs de voilerie, équipés de crocs pour tendre l’ouvrage, les couturières travaillent avec de fortes aiguilles, poussées à la paumelle. Ce choix, en plus de conserver les savoir-faire, permet de coudre à plusieurs en même temps sur une même voile. Les deux voilières sur la droite assemblent
des laizes en cousant deux rangs de points brochés, ce qui demande déjà une bonne connaissance des gestes.
©Simon Jourdan
« La construction de Joséphine, c’était une occasion unique de faire des voiles de manière traditionnelle. Coudre à la main, on dit toujours que c’est trop de boulot, que c’est compliqué. Mais le Götheborg l’a fait et c’est l’un des plus grands navires à voile, donc c’est faisable ! Je n’avais pas envie de me lancer seul. Les copains avec qui a on a créé l’association Aiguille sous roche étaient motivés, et Treizour nous a laissé carte blanche. On s’est d’abord documentés un maximum sur les toiles, les outils, les plans… On est allés rencontrer des personnes ressources : des anciens d’Ar Vag qui avaient des archives, Victor Tonnerre qui avait vu son père coudre à la main sur l’île de Groix… Ça a permis de faire le lien avec des personnes qui sont à l’origine de l’intérêt pour la voile traditionnelle.
On était deux voiliers et un noyau dur d’une dizaine de bénévoles. Presque que des femmes, il faut le dire ! La couture à la main, ça vient pas comme ça. Le premier hiver, on a fait des petits objets, des défenses, des sacs, un peu de théorie aussi. On a appris les différents points, le ralingage… Et puis on a commencé par faire un taillevent de cape, pour voir si on était capable de sortir une voile avec des personnes novices. Quand on coud à la machine, on est seul. Là, on travaillait à plusieurs sur la même voile en même temps, tous sur des bancs, assis côte à côte. C’est un moment convivial aussi, social. Quand on voit une voile finie, ça a l’air complexe et en fait c’est juste du fil et une aiguille ! Moi, c’est vraiment la fabrication, le travail manuel qui m’intéresse. »
Simon Brochard, 38 ans
La ralingue en chanvre goudronné a été cousue tout autour de la voile
pour la renforcer et pouvoir y nouer les pattes.
Pour l’établir correctement et ne pas trop solliciter le guindant,
on y ajoute une passeresse, ce que font ici deux adhérentes.
©Simon Jourdan
« Quand Jacques est arrivé avec l’idée de construire un nouveau bateau, je l’ai suivi à fond. C’était pas gagné du tout au début quand l’idée a été présentée en conseil d’administration. Il y avait des gens contre. C’était quand même un gros truc ! C’est devenu un sujet de division entre les gens favorables au fait que le bateau soit utilisé assez librement, et ceux qui aimeraient toujours savoir qui le prend… Ce sont deux visions irréconciliables.
Pendant le confinement, on s’est dit que puisqu’on ne pouvait pas travailler, on allait commencer par chercher des sous. Le budget total du projet, c’était entre 50 000 et 60 000 euros. Un tiers pour le salaire des charpentiers, un tiers pour le bois, un tiers pour les outils et le fonctionnement du chantier. En interne, on a fait un crowdfunding. Fin 2020, on avait 10 000 euros. Ensuite, on a eu l’idée de fumer du poisson et de le vendre. Puis on a fait de la bière avec un brasseur de Pont-Croix, des boîtes de sardines chez Connétable avec l’étiquette du D21, on a aussi vendu des affiches, des bateaux pop-pop… Tout était bon pour faire des sous ! On a aussi reçu une subvention exceptionnelle de la mairie de Douarnenez et touché 20 000 euros en mécénat. »
Claude Péron, 72 ans
Elle sera ensuite vissée aux couples, comme tous les bordages.
À droite : L’équipe prend une pause bien méritée avant de se remettre au travail sur les emménagements, pieds de mât, bancs, accastillage. Remarquer le plat-bord à tiroir, un mode de construction plus complexe, mais aussi plus
en accord avec les canots sardiniers de l’époque.
©Simon Jourdan
« La culture maritime, c’est le centre de ce qu’on fait mais je pense qu’il ne faut pas trop mettre l’accent là-dessus dans notre discours. C’est une problématique étrangère aux personnes que l’on a envie de faire venir dans l’association. Les jeunes de vingt-cinq ans s’en foutent du patrimoine mais ils sont hyper contents sur ces bateaux traditionnels. C’est sécurisant, c’est agréable à la mer, ça se prête à la pratique collective, il faut donner de ta personne mais c’est hyper généreux ce que ça te rend… Les gens de vingt-cinq ans qui nous
rejoignent, ils ne cherchent pas la performance, mais ils sont friands de cette intensité. On ne cherche pas à aller toujours plus vite, mais juste à faire le meilleur usage de nos bateaux. C’est pas pousser toujours plus loin mais toujours plus juste. Ces sensations d’harmonie et de justesse, tout le monde peut les éprouver.
C’est aussi une quête esthétique : c’est beau de ressentir la justesse d’un moment, l’impression d’apporter quelque chose de plus à l’endroit où tu te trouves plutôt que de seulement en profiter, en consommateur ou en touriste. La vie à bord est simple : à peu près le confort d’un bivouac. Personne ne veut reproduire la vie très dure des pêcheurs au XIXe siècle, personne n’en fait son idéal mais ça n’empêche que dans notre manière d’utiliser ces bateaux-là, il y a un antidote aux modèles qui nous sont proposés par ailleurs. »
Jacques van Geen, 47 ans
©Simon Jourdan
du chantier, serre les boulons des ferrures de fémelot
qui structurent le safran. Cet assemblage est provisoire,
les pièces seront ensuite rivetées à chaud.
Les œuvres mortes ont été goudronnées, tandis que
les œuvres vives ont reçu une peinture antifouling.
©Simon Jourdan
Les femmes, très présentes tout au long de la construction, ont été mises à l’honneur lors de la mise à l’eau. Le nom de Joséphine rend hommage à Joséphine Pencalet, employée dans une usine de sardines, et première femme élue au conseil municipal de Douarnenez en 1925.
©Simon Jourdan
« C’est chouette, ce côté camping. C’est comme quand on était enfant : on construisait une cabane avec des couvertures dans le jardin et on voulait dormir dedans, obligé ! Et là, on le fait vraiment ! Et en plus on est sur l’eau. Il y a l’odeur de la lampe à pétrole, ce champ de duvets avec les copains… C’est rudimentaire, on partage une intimité très proche, y a que des bidons d’eau, pas de toilette, on mange à même le plancher mais, finalement, c’est hyper confortable. »
Marion Mouturier, 46 ans
a participé aux régates du Bois de la Chaise à Noirmoutier avant de rentrer à Douarnenez en septembre. Les bénévoles expérimentent ainsi la vie embarquée sur plusieurs jours avec ses contraintes en termes de préparation de la navigation.
©Collection Treizour
« Quand tu vas de l’autre côté de la baie avec un petit bateau comme ça, en fait c’est comme traverser la Manche sur un bateau moderne. C’est un bateau creux, ouvert, soumis à la houle. Tu vas moins loin mais l’aventure, elle est tout aussi goûteuse ! Il faut plus d’anticipation, de logistique, d’attention aux prévisions météo. L’été 2022, j’ai ramené Joséphine de Bretagne Sud avec une équipe de copines. Une bonne remontée dans le raz de Sein avec 30 nœuds de vent ! Je savais pas si on pouvait passer, je ne connaissais pas suffisamment le bateau. J’ai prévenu l’équipage : faudra être à l’heure, faudra être en forme. C’était un super moment. On a pris des surfs dans le raz de Sein, Grayhound et Skeaf sont venus nous accompagner, on est rentrés en escorte à Douarnenez.
C’est pas un bateau qui avance super bien, mais il tient super bien la mer. Le seul danger, c’est si tu dois remonter au vent avec beaucoup de clapot. Les sensations que j’ai à bord de Telenn Mor sont plus puissantes, mais sur Joséphine, je peux hisser les voiles seule. Et puis je trouve ça beau de naviguer sur un bateau sans moteur, complètement en bois, extrêmement rustique mais qui marche bien. C’est pas n’importe quel bateau pour la ville de Douarnenez. C’est un support vivant pour comprendre son histoire et comment vivaient les marins. »
Maud Forest, 37 ans
©Mélanie Joubert
Le cahier des charges du bateau rêvé
L’association Treizour possède, entre autres, la première réplique navigante d’un voilier de travail disparu, la chaloupe sardinière Telenn Mor qu’elle a fait construire et qui a été lancée en 1983. La chaloupe étant relativement lourde à manœuvrer – border la misaine, par exemple, nécessite trois ou quatre personnes quand la brise est fraîche –, un canot sardinier, plus petit et maniable, semblait un support d’apprentissage idéal pour les plus jeunes, tant pour la manœuvre des voiles au tiers, que pour la croisière côtière hors de la baie de Douarnenez.
En 2018, Jacques Van Geen, bientôt rejoint par Nicolas Corre, Yvon Marseault et Claude Péron, commencent à élaborer le cahier des charges d'un bateau rêvé, dont ils décrivent ainsi les grandes lignes :
« Un bateau creux et rustique, comme il y en eut à Douarnenez, “typique” en somme, et plutôt redessiné et armé avec un soin historique poussé, sans purisme absolu pour autant.
« Un outil pour former des jeunes ou des adultes aux spécificités de la navigation au tiers, avec ou sans gambeyage, en tout cas sans moteur, en attendant d’en faire des patrons pour de plus gros bateaux.
« Un bateau capable d’emporter un moniteur et huit petits équipiers ou six grands, pouvant être barré par des enfants de treize-quatorze ans ou des personnes non herculéennes, qui pourraient éventuellement border, établir et amener des voiles à plusieurs, sans danger.
« Que la nage à l’aviron et la godille soient accessibles aux mêmes personnes.
« Un gréement de type chaloupe, avec ou sans gambeyage, des surfaces de toile à peu près égales entre misaine et taillevent. Que l’on retrouve les qualités de marche, de confort et d’angle de remontée au vent de Telenn Mor.
« Que l’on puisse choisir entre un étai de taillevent en pied de misaine ou deux haubans-étais avancés.
« Qu’il y ait moyen de dormir à six sur les planchers, une fois cabané. Qu'il soit facilement béquillable.
« Une construction “à l’ancienne” et avec des matériaux simples, massifs […]. Plutôt du goudron que de la colle et de la peinture, du brut de rabotage que du papier de verre, du chêne massif que du lamellé-collé.
« Un bateau qui rentre dans le cadre des dérogations réglementaires, en termes d’homologation, réservées aux bateaux historiques mais avec la possibilité de le faire homologuer “jeunesse et sports” pour une utilisation avec des scolaires.
« Qu’on arrive encore à caser une petite annexe entre les mâts ou sous les bancs lors des expéditions plus lointaines. »
Quelques années plus tard, force est de constater que la chaloupe Joséphine, sur plans de l’architecte naval François Vivier, coche à peu près toutes les cases. Sur demande, ils sont mis à disposition des associations, collectivités ou particuliers qui voudraient se lancer dans la construction d’un bateau similaire. Avis aux amateurs !
V. d. R.
Cinq bateaux et des forces vives
L’association Treizour (« passeur ») a été fondée en 1979 à Douarnenez afin de transmettre la mémoire, les traditions et les savoir-faire liés au patrimoine maritime. Parmi ses premières réalisations, le rassemblement d’une collection en vue de créer le premier musée du Bateau, qui a ensuite donné naissance au Port-musée de Douarnenez.
Treizour dispose d’une flottille de cinq bateaux. Telenn Mor, donc, la yole 1796 Volonté, construite en 1998, la yole de Ness An Alarc’h, le canot Treizourig et Joséphine.
À l’occasion de ce nouveau projet de construction, l’association a multiplié par trois le nombre de ses adhérents, divisé leur moyenne d’âge par deux et atteint quasiment la parité. Afin de rendre la navigation accessible au plus grand nombre, l’adhésion est fonction des revenus de chacun et coûte entre 15 et 35 euros. À l’occasion de ce nouveau projet de construction, l’association a multiplié par trois le nombre de ses adhérents, divisé leur moyenne d’âge par deux et atteint quasiment la parité. Afin de rendre la navigation accessible au plus grand nombre, l’adhésion est fonction des revenus de chacun et coûte entre 15 et 35 euros.
V. d. R.
©Mélanie Joubert
Petit Bazile, grand frère lointain de Joséphine
Pour imaginer les lignes de Joséphine, l’association Treizour s’est appuyée sur un canot de Locmiquélic, le Petit Bazile. Un exemple parmi d’autres de l’abondante flottille des minaouets, littéralement « becs de bois » en français, qui naviguaient sur les côtes de Bretagne Sud à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Gréés au tiers, pour la plupart à misaine et taillevent, ces canots se concentraient sur les métiers de la ligne. Le Petit Bazile a retenu l’attention de Treizour car il avait été solidement documenté dans Ar Vag, le plan de voilure et le plan de forme ayant d’ailleurs permis au dessinateur Claude Maho d'en réaliser une maquette.
Le minaouet L3805 a été construit en 1897 pour Bazile Le Floch de Locmiquélic par le chantier quimpérois Camus, un établissement emblématique qui a dominé le marché à partir de 1890.
L’équipage de Treizour s’est également appuyé sur la base de données Bagoucozdz.fr, remarquable projet de recension en ligne des bateaux immatriculés au quartier de Douarnenez.
V. d. R.