2FNNTDE Giovanni da Verrazzano or Verrazano, 1485–1528. Florentine explorer of North America. After a mid-18th century engraving,
Le navigateur florentin Giovanni da Verrazzano (ou Verrazano), francisé en Jean de Verrazane. ©Classic Image/Alamy Banque D’Images

Par Dominique Le Brun - Voici de cela cinq siècles, Giovanni da Verrazzano découvrait le site de New York qu’il baptisa Nouvelle Angoulême en hommage à François Ier. En ce printemps 1524, comme il explore la côte atlantique de l’Amérique du nord en quête d’une route vers l’Asie, le navigateur florentin au service de négociants lyonnais inscrit la France dans l’exploration maritime de la planète.

Sans la fascination des puissants pour les produits de luxe, aurait-on exploré le monde aussi vite ? La course aux merveilles exotiques commence à la fin du Moyen Âge, lorsque l’art du bien vivre s’impose comme une valeur incontournable chez les aristocrates, les financiers et les gros négociants qui ne s’imaginent plus que vêtus de soie et nourris de plats puissamment épicés. Outre le confort des soieries et les goûts nouveaux qu’apportent poivre, gingembre, cannelle et clou de girofle, cette caste partage aussi la fierté d’avoir accès à ce qui est rare, et donc cher. Car tous ces produits leur arrivent depuis l’autre bout du monde connu, principalement de Cathay – la Chine du nord — pour la soie, et de l’Insulinde pour les épices.

Ainsi que les négociants aiment à le raconter, les caravanes de la soie empruntent deux itinéraires : la route des steppes et la route des déserts. La première s’achève soit à l’extrémité orientale de la mer d’Azov, soit à Constantinople. La seconde conduit à Antioche, Tyr ou Alexandrie, par Samarcande et Bagdad. Mais il existe aussi une route maritime. Depuis la Chine, elle commence par un cabotage jusqu’au détroit de Malacca, elle se poursuit par la traversée du golfe du Bengale et s’achève en contournant la mer d’Oman avant de remonter de la mer Rouge jusqu’à l’Égypte. Terrestres ou maritimes, ces itinéraires font la fortune de la République de Venise, qui a ouvert des lignes de navigation régulières entre les ports où ils conduisent et les pays avides des richesses de l’Orient.

L'arrivée de Verrazzano dans la baie de Narragansset, futur Newport, vue par un graveur du XIXe siècle.
©North Wind Pictures/Bridgeman Images

Le royaume du Portugal est le premier, sous l’égide d’Henri le Navigateur, à chercher une route maritime vers l’Asie. L’idée étant de contourner l’Afrique par le sud, des expéditions se succèdent à partir de 1416. En 1488 enfin, Bartolomeu Dias dépasse la pointe méridionale du continent ; dix ans plus tard, Vasco de Gama touche l’Inde. Ainsi, dès 1507, le Portugal est maître des routes et des rivages de l’océan Indien. Entre-temps, une fois la pointe sud de l’Afrique atteinte, le Génois Christophe Colomb, en cartographe bien informé, jette un regard critique sur la progression des Portugais le long des côtes d’Afrique. Comme il s’interroge sur la mer qu’il reste à traverser pour atteindre les terres encore inexplorées, mais déjà baptisées Indes, une évidence s’impose à lui : cette route paraît désespérément longue.

Un route pour les Indes par l'ouest

Et s’il était plus rapide d’y arriver par l’autre face de la planète, en partant vers l’ouest ? C’est ainsi qu’en 1492, Colomb offre à l’Espagne l’accès à un continent dont nul ne soupçonnait l’existence, et qui barre la route. En 1520-1521, Fernand de Magellan, passé de l’Atlantique au Pacifique par le sud du continent américain, découvre qu’avant d’atteindre l’Asie, il faut encore traverser un océan immense. L’alternative à la route des Portugais s’avère donc tout aussi interminable. Si un itinéraire plus court existe, il consiste à passer par le nord de l’Amérique ou de l’Europe. Les passages du Nord-Ouest (par l’Amérique) et du Nord-Est (par l’Europe) vont donc faire l’objet d’une quête acharnée. C’est dans la recherche de ces passages que se situe l’aventure des frères Giovanni et Girolamo da Verrazzano.

Les premiers intéressés par une route courte vers Cathay et les îles Moluques sont les négociants en soieries et en épices. Il s’agit notamment de Florentins qui, excédés par les troubles permanents que les successions papales entretiennent en Italie, se sont installés dans les grandes villes commerçantes françaises. Vers 1520, à Lyon, naît ainsi l’idée de financer une expédition pour découvrir cet itinéraire. Un tour de table se constitue autour du banquier Antonio Gondi et dès que les fonds sont en voie d’être réunis, on cherche l’armateur qui organisera le voyage. Pour ce faire, les Lyonnais se rapprochent des contacts qu’ils ont à Rouen qui est non seulement une place marchande importante, mais aussi un port de mer. Quant au chef de l’expédition, il ne faut pas le chercher longtemps : lui aussi originaire de Florence, il s’appelle Giovanni da Verrazzano. Ce marin a de plus un frère qui exerce le métier de cartographe, Girolamo. Il est par ailleurs possible, mais pas certain, que leurs parents appartiennent à la communauté florentine de Lyon.

Magnifique gravure de la ville de Florence, tirée de la Chronique de Nuremberg (1493) du médecin allemand Hartmann Schedel.
©Classic Image/Alamy Banque D’Images

En tout cas, les Verrazzano descendent d’une grande famille qui, depuis le XIIIe siècle, a donné des magistrats, des militaires et des artistes à Florence. Giovanni, alors âgé de 35 ans, est un capitaine accompli, bien au fait des techniques de navigation les plus avancées de l’époque. Lui et son frère ont beaucoup bourlingué en Méditerranée. Selon une tradition normande insistante, il aurait aussi participé en 1508 à la première campagne connue de pêche à Terre-Neuve avec le Dieppois Thomas Aubert. Il se dit également qu’il aurait rencontré Magellan à Lisbonne en 1517, mais cela reste tout aussi douteux. En revanche, il est très vraisemblable que Giovanni da Verrazzano ait croisé Antonio Pigafetta à Paris en 1523. Ainsi, ce compagnon de Magellan, auteur du récit du premier voyage accompli autour du monde, lui aurait apporté des informations de première main sur les difficultés de la route vers l’Asie via le sud de l’Amérique. Ce qui aurait décidé Verrazzano à tenter sa chance par le nord.

La flotte royale fournit quatre navires

Bien entendu, on ne saurait envisager de lancer une expédition aussi coûteuse et risquée sans l’assentiment, si ce n’est l’aide, du roi de France. De fait, François Ier se montre plus qu’intéressé puisque la flotte royale va fournir quatre navires ! Les équipages et l’avitaillement, en revanche, restent à la charge des initiateurs du voyage. La flottille a pour navire amiral la Dauphine, nef d’une centaine de tonneaux, armée par un équipage de cinquante hommes. À l’exception du nom de la Normande, on ne sait rien des autres bâtiments. Les équipages sont sans doute normands et nombre de marins ont vraisemblablement pêché la morue à Terre-Neuve ; une traversée de l’Atlantique n’a donc rien pour les effrayer.

Les quatre navires appareillent du Havre-de-Grâce, en juin 1523, pour faire route à l’ouest et non au nord. Que se passe-t-il ? Dans la relation de son voyage en Amérique, Verrazzano se limite à évoquer « la tempête subie dans les eaux septentrionales » et « comment l’impétuosité des vents nous contraignit à revenir en Bretagne avec seulement la Normande et la Dauphine avariées ». Certains estiment que « les eaux septentrionales » signifient qu’il a tenté d’emprunter le passage du Nord-Est et a rencontré tempêtes ou glaces. Mais on ne sait ni où ni quand. Pour d’autres, la flottille a été réquisitionnée pour être incorporée à un convoi transportant un corps d’armée français en Écosse afin de soutenir John d’Albany contre Henry VIII. C’est au retour de cette mission qu’elle aurait rencontré un gros coup de vent. L’hypothèse est plus vraisemblable. Quoi qu’il en soit, le départ du voyage se trouve reporté et, cette fois, la Dauphine appareille seule. La suite des événements est bien documentée grâce au récit que Giovanni da Verrazzano adresse, dès son retour, au roi et à ses armateurs.

Maquette de la Dauphine, nef d’une centaine de tonneaux, armée par cinquante hommes environ, partie en 1524 avec Verrazzano.
©Musée de Dieppe

La Dauphine fait d’abord route sur Madère d’où elle appareille le 17 janvier 1524 pour faire terre, dans les premiers jours de mars, aux confins des actuelles Caroline du Nord et du Sud. Dans un premier temps, elle longe la côte vers le sud en quête d’un bon mouillage, mais aucun ne se présente ; aussi Verrazzano choisit-il de repartir vers le nord « pour ne pas nous fourvoyer avec les Espagnols ». Prudent, il envisage que ces derniers pourraient se montrer belliqueux en raison de la bulle papale d’Alexandre VI Borgia qui leur a attribué le Nouveau Monde en 1494 (lire encadré). Ainsi commence un cabotage qui, entre la rivière Altamaha en Georgie (qui porte le nom de Dieppe sur la carte de Girolamo !) et Terre-Neuve, dépassera les 2 200 milles. Sachant que le 8 juillet suivant, soit quatre mois au plus tard, la Dauphine est de retour en France, on peut affirmer que l’exploration a été menée à un bon rythme. De cette navigation, qui ne s’est heurtée à aucune difficulté sérieuse, on retiendra quelques moments forts.

Aux Amériques, des populations locales peu médiantes et bienveillantes

À commencer par une fausse joie. Aux approches de l’actuel cap Hatteras, en Caroline du Nord, la Dauphine longe le littoral étrange où les lagunes des Pamlico Sound et de l’Albernale Sound sont séparées de l’Atlantique par une langue de terre longue de 200 milles, assez étroite pour apercevoir l’autre côté. Quant aux lagunes, elles sont si larges que depuis l’océan, on ne distingue pas la terre en retrait. Verrazzano écrit ainsi : « Cette mer est sans doute celle qui environne l’extrémité de l’Inde et le Cathay. Nous naviguâmes la longueur de cet isthme avec l’espoir tenace de trouver quelque détroit ou un vrai promontoire où s’achèverait cette terre vers le nord, afin d’atteindre les rivages bénis du Cathay. Cet isthme fut qualifié Veraziano par son inventeur ; toute la terre découverte fut appelée Francesca en l’honneur de notre François. »

On a cependant du mal à envisager que Verrazzano se montre aussi formel sans avoir tenté de faire passer une embarcation dans la lagune afin d’y mener une reconnaissance plus poussée. Le récit de Verrazzano le montre clairement : les populations locales sont nombreuses et n’affichent guère de méfiance devant ces hommes blancs au physique si différent du leur et portés par une embarcation qui leur paraît forcément surnaturelle. Ils se montrent même bienveillants, comme l’illustre « l’acte magnifique » qui laisse le navigateur émerveillé. Sous les yeux de la population locale, un jeune matelot chavire avec son canot dans les rouleaux qui déferlent sur une plage. Le voici rejeté au rivage, à moitié noyé. Alors, il est arraché aux vagues et transporté en haut de la plage. Les uns le débarrassent de ses vêtements et d’autres allument un feu.

Carte de 1540 – très proche de celle de celle de 1529 exposée au Vatican – dressée par Girolamo da Verrazzano, le frère de Giovanni qui était cartographe. Elle montre le monde connu et l’Amérique du Nord.
©National Maritime Museum, Greenwich, London

Mais alors qu’on craint de le voir rôti puis dévoré, le matelot est réchauffé et réconforté, avant d’être porté jusqu’à son canot poussé à travers les vagues déferlantes. Effectivement « magnifique », cet épisode montre un sidérant contraste avec un autre événement survenu plus tard. Ayant surpris deux femmes, une jeune et une vieille, avec deux petites filles et un garçonnet, « nous enlevâmes le petit garçon à la vieille pour l’emmener en France, et nous voulions prendre la jeune femme, qui était très belle et de haute taille, mais il fut impossible de l’entraîner jusqu’à la mer, tellement elle hurlait. » Sans commentaire.

Verrazzano reconnaît la baie de New York puis celle de Narragansett

Comme l’écrit Verrazzano, « nous trouvâmes un site très agréable situé entre deux petites collines qui le dominaient. Au milieu, une très grande rivière courait jusqu’à la mer. Son embouchure était profonde ; à marée montante, nous y avons trouvé huit pieds et n’importe quel navire à pleine charge remonterait jusqu’au fond de l’estuaire. Ayant mouillé près de la côte en lieu bien abrité, nous ne voulions pas nous aventurer dans cette embouchure sans l’avoir reconnue. Remontant la rivière avec le petit bateau, nous pénétrâmes dans le pays que nous trouvâmes fort peuplé. […] Nous remontâmes cette rivière jusqu’à une demi-lieue à l’intérieur des terres, endroit où nous vîmes qu’elle formait un très beau lac d’environ trois lieues de tour. […] Cette terre fut appelée Angoulême à cause de l’apanage que Votre Majesté reçut lorsqu’elle était en moindre fortune… »

Verrazzano pouvait-il imaginer que ce site abriterait un jour une des plus importantes cités de la planète ? Ces lignes évoquent la Dauphine en train de croiser devant la pointe de Manhattan, les deux collines étant celles de Brooklyn, à l’est, et de Staten Island, à l’ouest. C’est là que furent implantés les deux piliers hauts de 208 mètres qui soutiennent le Verrazzano-Narrows Bridge, inauguré en 1964 et devenu un lieu emblématique de New York au même titre, ou presque, que la statue de la Liberté. Le mouillage « bien abrité » est Gravesend, à Brooklyn, et le « lac d’environ trois lieues de tour », l’actuelle Upper New York Bay.

L’Amérique du Nord en 1547 dans un atlas manuscrit de l’école de cartographie de Dieppe, attribué à Nicolas Vallard.
©The Huntington Librairy/San Marino USA/DR

Autre site aujourd’hui mythique et découvert par Verrazzano : la baie de Narragansett où, quelques siècles plus tard, Newport se fera connaître comme plan d’eau de l’America’s Cup, puis comme port d’arrivée de la première course transatlantique en solitaire (Ostar). Le navigateur méditerranéen présente les lieux comme situés « sous le parallèle de Rome » et baptise île de Rhodes (Rhode Island) la terre située à l’entrée de Narragansett. Il insiste sur la beauté des lieux en les baptisant tout simplement le Refuge et il précise : « Il y a cinq îlots très fertiles et agréables, couverts de grands et beaux arbres, et n’importe quelle flotte nombreuse pourrait demeurer en sûreté sans craindre tempête ou autre danger. Puis vers le midi, à l’entrée du port, de chaque côté, il y a de très gracieuses collines du haut desquelles de nombreux torrents précipitent leurs eaux claires dans la mer. »

"Ayant épuisé toutes les ressources du bord", Verrazzano rentre en France, bredouille

Une flotte nombreuse peut s’y abriter ? De fait, l’US Navy y tient une base navale importante. Une nature séduisante ? Rhode Island fait partie des lieux très chics de la côte Est… Et c’est toujours la Méditerranée qui sert de référence à Verrazzano quand il évoque ensuite la côte entre Newport et Terre-Neuve : « Nous découvrîmes trente-deux îles […], toutes proches du continent, petites, d’aspect attrayant, élevées, disposées selon la direction de la côte, créant ainsi parmi elles d’excellents ports et des passes comme dans le golfe Adriatique, en Illyrie et en Dalmatie. »

Où la Dauphine achève-t-elle sa croisière ? « Longeant les côtes, nous avons atteint le cinquante-quatrième degré, négligeant la terre découverte par les Portugais il y a un certain temps, c’est à dire Bacalaia, ainsi appelée du nom d’un poisson, et qu’ils avaient suivie plus au nord jusqu’au cercle Arctique sans en trouver la fin. » Et c’est là qu’« ayant épuisé toutes les ressources du bord et nos victuailles, ayant découvert plus de 700 lieues de terres nouvelles, nous nous ravitaillâmes en eau et en bois, et délibérâmes de retourner en France. » Verrazzano a donc dépassé Terre-Neuve et atteint le Labrador avant de traverser l’Atlantique, puis de remonter la Manche jusqu’à Dieppe.

Une fois au port, en conclusion à son rapport daté du 8 juillet 1524, Verrazzano analyse froidement le voyage : « Mon intention était, en cette navigation, d’atteindre le Cathay et l’extrémité orientale de l’Asie ; je n’avais pas pensé rencontrer un tel obstacle du côté de la terre nouvelle que j’ai découverte. Et si j’avais certaines raisons de penser la trouver, je pensais qu’elle offrirait un détroit permettant l’accès de l’océan Oriental. Aristote l’admettait avec des arguments fondés sur diverses analogies. Mais cette opinion est entièrement contestée par les modernes, et l’expérience l’a révélée fausse. »

De plus, considérant la longueur de sa navigation le long de la côte, Verrazzano envisage que les terres doivent s’étendre en proportion. Il prévient donc : « Si l’extension en profondeur de cette terre correspond à son littoral maritime, sa grandeur à n’en pas douter, dépasse celle de l’Asie ». Et il annonce ses souhaits : « J’espère le démontrer à Votre Majesté en une meilleure occasion par davantage d’arguments tirés de l’observation et de l’expérience. Toute cette terre ou Nouveau Monde que nous venons de décrire, constitue un ensemble. Mais elle n’est pas jointe à l’Asie, ni à l’Afrique : nous le savons avec certitude. »

La seconde expédition met le cap sur l’extrême-orient

À peine de retour, Verrazzano prépare un nouveau voyage. Cette fois, les financiers italiens, forcément déçus par une expédition qui ne leur a rien rapporté, laissent place à des négociants normands, dont le fameux armateur dieppois Jean Ango. Quant à François Ier, son intérêt pour les explorations maritimes reste vif, mais d’autres soucis l’accaparent. Le 24 février 1525 à Pavie, le roi de France à la tête de son armée affronte son éternel rival Charles Quint ; la bataille tourne au désastre ; il est capturé et soumis à rançon ! Ceci explique pourquoi la seconde expédition de Verrazzano, avec trois navires, ne quitte Honfleur que le 15 juin 1526, cap sur l’Extrême-Orient. Girolamo, le cartographe, se trouve sur l’un de ces bâtiments. De ce qu’il arrive ensuite, on ne sait rien de certain, si ce n’est le retour en France du navire de Giovanni début septembre 1527, suivi plus tard de celui de Girolamo. Tous deux sont passés par le Brésil, où ils ont chargé du bois de campêche, très demandé par les teinturiers pour le rouge qu’il procure.

Tapisserie, sur un dessin de Bernard van Orley, représentant la bataille de Pavie (1525), où François Ier fut fait prisonnier.
©Bridgeman Images

Michel Mollat du Jourdin, en historien qui ne s’engage jamais à la légère, propose le scénario suivant. Verrazzano aurait repris la route expérimentée par l’expédition de Magellan en 1519-1522. Mais aux approches du détroit de Magellan, le gros temps d’ouest, qui caractérise ces latitudes, aurait obligé les navires à se dérouter vers le cap de Bonne-Espérance. Pour emprunter la route des Portugais vers l’Asie ? Le fait est qu’un des trois navires vivra une véritable épopée à travers l’océan Indien, passant par Sumatra, le Mozambique et Madagascar… Les deux autres – ceux des frères Verrazzano – n’auraient pas quitté l’Atlantique, vraisemblablement à cause d’une mutinerie.

Les deux frères ne tardent pas à repartir mais, cette fois, pour un simple voyage commercial : avec un seul navire, ils ramènent du bois de campêche d’Amérique du Sud. Peut-être dans le but de financer d’autres expéditions ? Le fait est qu’ils passent par la mer des Antilles et que, sans doute en Jamaïque, Giovanni da Verrazzano et six de ses hommes descendus à terre, sont attaqués, massacrés et dévorés sous les yeux du reste de l’équipage, pas assez nombreux pour intervenir. Le voyage s’arrêtera là.

Que reste-t-il de l’aventure de Verrazzano ? Le document le plus émouvant et le plus accessible est la fameuse mappemonde signée de Girolamo exposée à Rome dans la Bibliothèque apostolique vaticane. Quant à l’héritage : dix ans après l’exploration de la côte américaine, en 1534, le Malouin Jacques Cartier part à son tour chercher le passage du Nord-Ouest. Mais ceci est une autre histoire... ◼

Encadrés

Chronologie des grandes "découvertes"

©Josse/Bridgeman Images

À partir de 1416 sous l’égide d’Henri le Navigateur, le Portugal cherche une route maritime vers l’Asie en contournant l’Afrique par le sud. En 1471, l’équateur est franchi, en 1484, l’embouchure du Zambèze est dépassée et, en 1488, Bartolomeu Dias atteint le sud du continent. En 1498, Vasco de Gama rejoint Calicut, en Inde. En 1492, le Génois Cristoforo Colombo, alias Cristóbal Colón, traverse l’Atlantique pour le compte de l’Espagne et touche terre aux Bahamas. Trois autres voyages, échelonnés jusqu’en 1504, démontrent qu’un continent insoupçonné barre l’accès à l’Asie. De 1497 à 1408, naviguant pour l’Angleterre sous le nom de John Cabot, le Vénitien Giovanni Caboto atteint Terre-Neuve et peut-être le Labrador. En 1501-1502, les Portugais Gaspar et Miguel Corte Real gagnent le Labrador et le sud du Groenland. En 1513, l’Espagnol Vasco Nuñez de Balboa traverse l’isthme de Darién et découvre le Pacifique (baptisé mer du Sud). De 1519 à 1522, Fernando de Magallanes, né au Portugal sous le nom de Fernão de Magalhães, atteint les Philippines pour le compte de l’Espagne. Il a contourné le continent américain par le sud et perdu la vie aux Philippines. Un seul de ses cinq navires revient en Espagne, ayant ainsi accompli la première circumnavigation connue. En 1524, c’est l’exploration de la côte orientale de l’Amérique du Nord par les frères Verrazzano. Et, en 1534, Jacques Cartier cherche le passage du Nord-Ouest dans ce qui s’avère être l’estuaire du Saint-Laurent. ◼

Quand les papes partageaient le monde

Dans le courant du XVe siècle, comme le Portugal progresse dans sa découverte de la côte africaine, Rome entérine ses découvertes : en 1455, la bulle Romanus Pontifex de Nicolas V attribue au Portugal le monopole du commerce sur les terres situées au sud du cap Bojador (actuel cap Boujdour au Maroc). En 1481, si la bulle Æterni Regis de Sixte IV donne les Canaries à l’Espagne, la côte africaine revient au Portugal. Mais le voyage de Christophe Colomb vient changer la donne. Avec la bulle Inter cætera du 4 mai 1493, Alexandre VI Borgia organise la partition du monde en deux demi-sphères définies par une ligne méridienne qui relie les deux pôles en passant à 100 lieues – c’est-à-dire 300 milles – à l’ouest des Açores. Ce qui se trouve à l’ouest de ce méridien est attribué à l’Espagne et ce qui se trouve à l’est, au Portugal. La sauvegarde des intérêts espagnols s’explique par le fait que le véritable nom du pape Borgia est Borja, sa famille étant originaire d’Aragon ! Toutefois, l’Espagne n’abusera pas de cet avantage. Lorsque le roi Jean II du Portugal demande à Ferdinand II d’Aragon et Isabelle de Castille de déplacer la ligne de partage vers l’Ouest, les souverains espagnols acceptent. C’est ainsi que le traité de Tordesillas du 7 juin 1494 reporte la fameuse ligne à 370 lieues des îles du Cap-Vert. ◼

La liberté sur les mers, avant Montego Bay

Dès leurs premiers préparatifs, les voyages de Verrazzano suscitent l’inquiétude des partenaires du traité de Tordesillas. Mais pour François Ier, les océans ne peuvent appartenir à personne, ce qu’il exprime en affirmant « que le soleil luisait pour lui comme pour les autres et qu’il voudrait bien voir le testament d’Adam réglementant la répartition du monde ». La phrase est apocryphe, mais le propos est majeur. Le roi de France défend la liberté absolue des mer, telle que la Convention de Montego Bay l’a établie en 1982. Et telle aussi qu’aujourd’hui, la Chine et la Russie notamment la contestent. ◼

Un z ou deux pour Verrazzano ?

De son temps, on l’appelait Jean ou Jehan de Verrazane à Rouen, et de Verrasan à Lyon. Sans doute parce qu’un œil habitué à l’orthographe française est choqué par le voisinage de deux « z », les Français ont choisi d’en oublier un. En revanche, on notera qu’aux États-Unis, on connaît bel et bien le Verrazzano-Narrows Bridge si emblématique de New York. ◼

De Manhattan à New York

Le Verrazzano-Narrows Bridge à New York (1964).
©Wirestock, Inc./Alamy Banque D’Images

Après le repérage du site par Verrazzano en 1524, la Nouvelle-Angoulême n’est plus fréquentée que par les Amérindiens jusqu’à 1609. Cette année-là, l’Anglais Henry Hudson remonte le fleuve auquel il laisse son nom. Les premiers occupants européens seront cependant des Hollandais, installés dans le sud de Manhattan sous la direction d’Adriaen Block, en 1613. À partir de 1624, la Dutch West India Company achète Manhattan à un chef local et crée New Amsterdam. C’est en 1639 que les immigrants anglais commencent à s’y installer. La colonie devient anglaise en 1664 et prend le nom de New York. ◼

D'où vient le nom d'Amérique ? Colomb versus Vespucci

Si Colomb a toujours été considéré comme le découvreur de l’Amérique, le Nouveau Monde porte le nom d’un navigateur qui… n’a rien découvert du tout ! Le responsable de cette injustice est le cartographe allemand Martin Waldseemüller, qui réalisa un fameux planisphère en 1507, à Saint-Dié-des-Vosges. Au moment d’attribuer un nom aux terres découvertes par Cristóbal Colón, il ne songe pas à lui, mais à un aventurier très connu pour ses récits de navigation outre-Atlantique : un certain Amerigo Vespucci… ◼

Après Verrazzano, Cartier reconnaît le Canada

En 1532, le Malouin Jacques Cartier convainc François Ier de financer un premier voyage pour chercher le passage du Nord-Ouest. En 1534, Cartier effectue une reconnaissance au nord de Terre-Neuve, où il espère trouver ce passage. Il persuade le roi de financer une seconde expédition plus ambitieuse. Entre 1535-1516, celle-ci permet de constater que le passage espéré est l’estuaire d’un fleuve, qu’il baptise Saint-Laurent. Sa remontée lui fait découvrir de vastes terres dont la colonisation est tentée lors d’un troisième voyage en 1541, dirigé par un aventurier, Roberval. Il faut attendre le premier voyage de Champlain en 1603 pour que naisse le Canada français. ◼