Entretien avec Louis Brigand et Johan Vincent, propos recueillis par Maud Lénée-Corrèze - Alors que l’attractivité des littoraux ne se dément pas, Louis Brigand, géographe, spécialiste des îles du Ponant, et Johan Vincent, historien, analysent dans l’espace et le temps les relations entre les populations locales et les touristes ou résidents secondaires. Face à la cohabitation parfois difficile dans certaines zones en tension, notamment à cause des problèmes de logement, les chercheurs préconisent de maintenir une mixité économique dans ces territoires qu’il ne faudrait pas abandonner au « tout-tourisme ».
Selon l’Insee, le littoral a concentré près de 40 pour cent des estivants en 2022, un chiffre en hausse constante. Si le tourisme est favorable à l’économie locale, des voix s’élèvent pour dénoncer la part prédominante qu’il occupe à certains endroits. Le « tout-tourisme » est-il une réalité ou un fantasme ?
Louis Brigand : Il est vrai que dans certains lieux, a fortiori sur les îles, le tourisme est au cœur de l’économie. Il est souvent difficile d’imaginer d’autres activités, parce que ces territoires se sont parfois orientés depuis longtemps vers ce secteur, en raison du déclin des activités vivrières. Ainsi, dans les îles bretonnes, l’agriculture et la pêche sont devenues des activités secondaires, voire inexistantes pour beaucoup d’entre elles, à partir des années 1950, alors qu’elles étaient omniprésentes et essentielles pour la vie économique jusque dans l’entre-deux-guerres. Ce phénomène s’est accompagné d’un fort exode vers le continent dans les années 1960-1970, les îliens partant dans les villes à la recherche de travail et d’un mode de vie urbain.
La situation est différente sur le littoral continental, où le tourisme pèse aussi, mais pas partout de la même manière. Il y a une forme de spécialisation des territoires, entre activités industrielles ici, agriculture et pêche là, et tourisme à côté. Dans des stations balnéaires comme Biarritz, Arcachon, Pléneuf-Val-André ou Morgat, si le tourisme reste l’activité principale, ce n’est pas la seule. Je nuancerais donc l’idée du
« tout-tourisme » car, de mon point de vue, c’est finalement assez rare.
En revanche, le tourisme peut être très prédominant sur un territoire, ce qui peut générer des dysfonctionnements saisonniers, sources de problèmes complexes. Il y a des exemples de villages vides l’hiver, où tout est fermé. Ces sortes d’enclaves sont des cas extrêmes et ne sont pas souhaitables pour les communes. Mais, là encore, c’est complexe, car sur les îles, on aime aussi se retrouver entre soi l’hiver, et voir revenir du monde l’été.
L’autre réalité aujourd’hui, c’est que la saison a tendance à s’étendre : avant, c’était en gros les vacances scolaires, surtout Noël, Pâques, et un mois et demi l’été. Actuellement, outre les vacances, on a ce qu’on appelle les ailes de saison, avec des visiteurs qui viennent avant ou après la saison touristique. Ce phénomène est réel et peut être en partie lié au fait qu’il y a plus de retraités d’une part et que d’autre part, les citadins proches des lieux de vacances viennent s’y ressourcer hors-saison le temps d’un week-end ou de quelques jours.
Johan Vincent, dans votre ouvrage L’Intrusion balnéaire vous évoquez le littoral avant « l’invention » du tourisme. Comment y vivait-on ?
Johan Vincent : les gens proches du littoral ou des petits ports avaient des métiers très diversifiés, car la monoactivité était un risque socio-économique pour les communes. Bien sûr, on pense à la pêche, mais il y avait aussi toute une vie sur l’estran, avec le ramassage des algues, l’extraction de sable et une agriculture spécifique, qui s’est mise en place sur les dunes progressivement, au moins dès le XVIIIe siècle, où l’on plantait des asperges, de l’ail, de la vigne… Le bord de mer était une frontière, mais une frontière que l’on traversait, à l’image de l’agriculteur qui venait chercher sur l’estran de quoi amender ses terres ou du marin qui cultivait une petite parcelle l’hiver.
Mais ces activités restaient fragiles et menacées par la surpêche et les aléas de la météo. Au XIXe siècle, elles évoluent beaucoup avec l’intervention de l’État pour contrôler les usages de l’estran et une forme de spécialisation des activités, parfois selon les communes. Les ports aussi se transforment considérablement à mesure que les tonnages augmentent au cours du XIXe et surtout du XXe siècle.
Le développement du tourisme littoral trouve ses origines au XIXe siècle avec les bains de mer prescrits par les médecins à une classe aisée de citadins. Qui sont ces « baigneurs » et que viennent-ils chercher ?
J. V. : Le terme de baigneurs, utilisé à l’époque, désigne effectivement des gens qui habitent en ville et qui viennent sur le bord de mer pour retrouver la santé. On les appelle aussi les « étrangers ». Aujourd’hui, ce sont les estivants ou les touristes. Cette migration vers le littoral reflète l’émergence d’une problématique médicale qui se développe aux XVIIe et XVIIIe siècles. On la retrouve encore de nos jours avec les idées d’« air iodé », de « grand air », de « bon air »…
Dans les années 1900, la pratique du bronzage se popularise. Elle est très valorisée dans les sociétés occidentales surtout, car en Chine, la peau blanche reste l’idéal. Ce qui attire aussi, ce sont les nouvelles sociabilités qui peuvent naître sur le littoral, le fait de partir à la découverte d’un autre mode de vie, à la rencontre du pittoresque – ce qui est digne d’être peint. Il y a aussi l’idée de se confronter à la nature, l’aventure, l’excursion, dans un esprit hérité du siècle des Lumières. Les baigneurs cherchent aussi à fuir la pollution de la ville et aspirent à retrouver une vie simple.
L’arrivée de touristes a-t-elle favorisé l’éloignement d’activités jugées « gênantes », parce que générant du bruit, du trafic… comme les chantiers navals, les ateliers de mécanique, etc., autrefois installés sur les ports ?
J. V. : Il n’y a pas de linéarité ou de déterminisme par rapport aux activités dans l’abandon des activités traditionnelles. Il s’agit juste d’une compétition sur l’utilisation de l’espace. La cohabitation est parfois difficile à obtenir, notamment dans les lieux où il y a une densité importante de population, parce qu’il faut partager l’espace. On a en effet déjà des conflits au XIXe siècle entre les populations, car les deux, locale et nouvelle, estiment qu’elles ont chacune leur mot à dire sur le développement des territoires.
Effectivement, on a éloigné ou supprimé à certains endroits l’activité goémonière, par exemple, génératrice de pollution olfactive, d’insectes (quand il sèche), de fumée (quand on le brûle), lorsqu’elle occupait un espace proche de celui prisé des baigneurs ou quand il a fallu développer l’urbanisme.
Parfois, les deux populations cohabitent : les bateaux de pêche sont tirés sur la grève où les touristes se promènent ; là, les pêcheurs et leurs canots participent du charme de l’endroit, et sont attendus des touristes qui ont vu ces images dans les guides. Ailleurs, c’est le tourisme qui doit marquer le pas sur le développement industriel, comme lorsque les parcs à moules installés sur les plages envasent les fonds marins ou lorsqu’un port, comme Lorient au début du XXe siècle, sacrifie une plage pour s’agrandir.
Les usages de l’espace par les habitants changent aussi : s’il était habituel de circuler sur les plages pour rejoindre une commune voisine, à vélo, en voiture, le bronzage rend les baigneurs plus sédentaires. On finit par limiter la circulation des véhicules, puis par l’interdire. Mais ce n’est pas le cas partout, car il est possible de circuler sur les hauts de plage dans certaines stations de Floride.
Si des activités étaient en déclin, ni l’industrie, ni les chantiers navals n’ont disparu. Ce sont juste des recompositions sociales de l’espace : on réorganise, on réagence, on concentre à certains endroits, on supprime à d’autres, parce qu’il faut faire des choix. Il ne faut pas oublier que le tourisme ne peut pas complètement vivre seul, il a besoin d’autres activités littorales.
Le tourisme a aussi fait émerger des activités de divertissement, comme les casinos. Quand se sont-ils développés et dans quelle mesure sont-ils liés au tourisme ?
J. V. : Les casinos ont été créés en Italie, à l’extérieur de Venise, au XVIIe siècle, pour profiter d’un lieu de loisirs hors des contraintes de la haute société de la République vénitienne. Cela permettait de pratiquer des jeux d’argent, mais ce n’était pas la première motivation de ces établissements. En France, leur installation a été régulée sous l’Empire et réservée aux stations thermales et balnéaires. De cette façon, les riches familles françaises, qui fréquentaient auparavant les stations thermales de l’Empire germanique, par exemple, pouvaient rester dépenser leur argent en France.
Le dispositif a été confirmé en 1907 avec l’obligation pour les communes concernées d’être classées au titre des stations thermales ou balnéaires. Il y a donc de « faux casinos », c’est-à-dire des bâtiments appelés « casinos », mais où l’on ne trouve pas de jeux d’argent, seulement des spectacles et des billards, par exemple. Car le casino, tout en étant un cercle de jeux d’argent, doit prévoir un programme d’animations pour faire vivre la station. Ainsi, la Ville de Deauville, jusque dans les années 1970, ne s’est jamais préoccupée d’animer la station, car l’équipe du casino se chargeait de tout, ou presque.
En contrepartie de la possibilité d’exploiter les jeux d’argent, le casinotier reverse une partie de ses recettes à la commune et à l’État. Pour Deauville, cela peut représenter 20 à 30 pour cent des recettes municipales ; mais la ville doit désormais, pour rester station de tourisme, investir dans des équipements modernes, comme le tout-à-l’égout par exemple, et respecter des impératifs d’hygiène et d’environnement. La loi sur les casinos a toutefois évolué le 5 décembre 2023, en permettant à de nouvelles communes d’en ouvrir un.
Vous avez parlé de recomposition, mais cela ne va pas sans conflits, les « autochtones » pouvant avoir la sensation d’être dépossédés de leur espace littoral ?
J. V. : À part peut-être le sentier des douaniers, réservé à la surveillance côtière, le littoral était un espace assez libre et partagé. Longtemps, il a été difficile d’y habiter ou d’y construire car, par exemple, en Bretagne Sud, au début du XIXe siècle, les zones humides (marais littoraux) étaient nombreuses. Ces espaces pouvaient être utilisés collectivement, soit parce que le seigneur en autorisait l’exploitation, soit parce qu’ils étaient une propriété commune dont chacun partageait les ressources.
Mais quand des propriétaires se sont mis à clore ces espaces ou qu’ils les ont transformés, on a pris conscience qu’on pouvait privatiser des lieux qui étaient initialement libres. Des conflits sont donc survenus à propos de l’accès au rivage et l’État a dû rappeler qu’il devait rester libre.
De même, depuis un décret napoléonien de 1810, les dunes de sable doivent être fixées : des propriétaires les ont privatisées pour planter des forêts et, ce faisant, les ont extraites de l’usage collectif, du finage [étendue d’une paroisse, NDLR]. Ceux qui vivaient de ces terres, sans en être propriétaires, en arrachant par exemple les chardons pour en faire des balais, ne pouvaient plus le faire et s’en sont allés.
Mais les « autochtones » profitent un peu aussi de l’arrivée de ces gens plus fortunés. Quelles sont les activités nouvelles auxquelles ils s’adonnent ? Et cela pose-t-il déjà un problème à l’époque ?
J. V. : Malgré les conflits, effectivement, la saison balnéaire n’est pas forcément mal ressentie, car elle peut être financièrement intéressante pour la population d’une commune. En 1849, le maire de La Bernerie souligne que le tourisme a rapporté 25 000 francs à la commune, contre 17 800 francs pour la pêche [un franc de 1850 vaut 3,17 euros actuels, NDLR]. Car les gens de la ville viennent consommer et, surtout, se loger. Aux Sables-d’Olonne, en 1850, on a trouvé une lettre de Sablais qui demandent à la préfecture d’accélérer les travaux de construction de leurs maisons pour qu’ils puissent profiter de la saison d’été pour louer une partie de leurs logements. Certaines personnes intègrent dès cette époque qu’il y a de l’argent à gagner via le tourisme, notamment avec l’hébergement.
Ce qui pose aussi des problèmes : on a retrouvé des lettres et rapports envoyés de Larmor-Plage ou Concarneau, datant des années 1920, où des personnes se plaignent des difficultés pour se loger. Il faut prendre son mal en patience car, à Larmor, on préfère déjà louer deux mois l’été plutôt que toute l’année, le bénéfice étant plus intéressant. De même, on observe que le prix des denrées augmente à chaque saison touristique.
On retrouve finalement les mêmes problématiques actuellement, avec une crispation sur le logement, les maisons secondaires et les sites tel AirBnB. Quelle est l’ampleur de ce phénomène aujourd’hui ?
L. B. : Il est considérable. Pour les résidences secondaires, c’est assez récent. Il y a certes eu quelques artistes ou scientifiques au début du XXe siècle qui ont introduit la notion de tourisme sous forme résidentielle en s’installant un temps sur une île, à l’instar de Sarah Bernhardt sur Belle-Île ou des chercheurs de Sorbonne-Plage à l’Arcouest. Mais ça restait très marginal. Le phénomène tel qu’on le connaît aujourd’hui date des années 1960-1970. À l’époque, les gens achetaient des maisons aux îliens partis travailler sur le continent. Ils ont acquis des logements vacants, pas trop chers, par intérêt pour les lieux, car les îles à cette époque étaient un peu « dans leur jus ».
Mais on arrive aujourd’hui à des taux de résidences secondaires qui atteignent parfois plus de 70 pour cent… Ce problème existe aussi sur le littoral, mais il est exacerbé sur les îles, où la surface est restreinte : l’île de Sein, c’est un demi-kilomètre carré… Les dents creuses [espace non construit entouré de parcelles bâties, NDLR] ont déjà été comblées, et on arrive à une saturation dans de nombreux endroits, comme l’île Tudy, entièrement urbanisée.
Les réglementations d’urbanisme et de conservation de la nature, qui sont fortes dans les îles, où elle se superposent parfois, limitent la construction. Tout cela entraîne des situations tendues entre habitants permanents et temporaires, qui n’envisagent pas la question de l’urbanisation sous les mêmes angles.
Quelles sont les conséquences de cette situation ?
L. B. : Peu de gens peuvent s’installer car les logements libres sont rares, mais ce sont surtout les prix qui posent problèmes. Sur les îles, les revenus sont modestes, voire faibles pour une partie de la population. L’arrivée de potentiels acheteurs à fort pouvoir d’achat fait gonfler les prix. Pour l’instant, le littoral attire toujours les investisseurs, malgré les risques liés à l’élévation du niveau de la mer.
S’acheter une maison à 300 000 ou 400 000 euros quand on a un salaire très modeste, c’est inenvisageable. On arrive ici à des formes de ségrégation qui sont réelles et induisent des changements de populations.
Pour nuancer, les résidents secondaires n’ont pas toujours un impact négatif, car ils participent aussi beaucoup de l’économie de la ville : ils paient des taxes et consomment sur place. Dans les communes où il y en a beaucoup, on trouve des emplois liés à l’artisanat, au gardiennage, à l’entretien des maisons. Certains résidents secondaires sont aussi très investis dans leur commune de villégiature, même si on ne peut pas généraliser, car d’autres sont passifs ou viennent faire des coups financiers.
Nous avons travaillé sur l’économie sociale et solidaire et nous avons été frappés par le dynamisme des associations sur les îles. Beaucoup d’entre elles sont portées par des résidents secondaires qui s’intègrent dans le tissu social de l’île. Il y a aussi leurs enfants qui vont parfois s’installer dans la maison des parents et qui y restent. Cela crée des recompositions sociologiques et démographiques.
De quels leviers disposent les élus pour aider les gens moins fortunés à se loger ?
L. B. : Les communes font des efforts depuis une quarantaine d’années en créant des logements sociaux dans les îles. Le problème, c’est qu’il y a aujourd’hui une part non négligeable de ces maisons de type HLM qui sont entrées dans le logement secondaire. C’est assez difficile à régler pour les élus, car si une maison est en vente et si les héritiers ne s’arrangent pas, elle est vendue au plus offrant. La commune peut préempter bien sûr, mais elle n’a pas forcément les moyens de racheter un bien au tarif du marché actuel pour garder du foncier. Des institutions et des solutions existent. Certaines sont en œuvre, notamment dans le cadre du Foncier solidaire, de la loi 3 DS (Décentralisation, Déconcentration, Différenciation, Simplification), du viager solidaire ou des coopératives d’habitants par exemple, mais les processus sont souvent longs à mettre en œuvre. L’urgence est bien de trouver des solutions pour le long terme, et ce n’est pas simple.
À Groix, la tendance s’inverse : selon le maire, il y aurait aujourd’hui plus de résidences principales que secondaires, la commune ayant beaucoup investi dans la construction de logements. Ce qui est possible sur les îles qui ont de l’espace…
Je suis assez surpris de voir aussi le comportement des vendeurs changer : depuis une dizaine d’années, certains revendent à des prix abordables en privilégiant les acheteurs qui veulent s’installer à l’année. Ils n’ont pas forcément envie de faire une grosse plus-value et sont attachés au lieu ; ils ont une vision prospective et imaginent l’île dans vingt ans. C’est un peu comme notre manière de consommer finalement : dans le foncier, on peut aussi avoir un comportement citoyen.
Les touristes recherchent un cadre de vie préservé sur le plan paysager, mais aussi historique et patrimonial. N’ont-ils pas tendance à vouloir figer l’endroit en s’appropriant cette histoire ?
J. V. : Dès la fin du XIXe siècle, les premiers syndicats d’initiative, ancêtres des offices de tourisme, ont été aidés par des érudits, parfois venus d’ailleurs, spécialistes de l’histoire locale, et véritables Initiateurs et promoteurs culturels du tourisme, pour reprendre le titre d’un ouvrage, coordonné par Jean-Yves Andrieux et Patrick Harismendy. Le touriste est très friand d’histoire locale, mais de là à dire qu’il « se l’approprie », comme s’il s’agissait de la transformer… Évidemment, cela peut arriver, car les gens choisissent ce qui les arrange. Après avoir composé le récit, rassemblé les éléments historiques, ils sont valorisés et, selon les époques, ce ne sont pas les mêmes qui sont choisis. On a l’exemple des fêtes maritimes, par exemple, qui sont très anciennes, mais qui ont connu un renouveau avec une recomposition de l’histoire dans les années 1980…
L. B. : Je ne sais pas non plus si le terme d’appropriation est bon : je me mets à la place de quelqu’un qui arrive à un endroit qu’il a choisi, dont il est parfois tombé amoureux. Il veut y passer du temps, parfois s’installer et, dans cette phase d’intégration, il cherche nécessairement à connaître l’histoire du lieu. Dans les îles, on a l’exemple des collectionneurs qui sont parfois des gens du continent. C’est aussi une façon de faire corps avec le territoire sur lequel on décide de passer du temps ou de vivre. Et ça passe sans doute par une forme d’« appropriation ».
Les nouveaux arrivants sont peut-être plus à cheval sur l’histoire que les gens du cru, et certains poussent la notion de patrimoine très loin. La conséquence, c’est qu’il n’y a plus vraiment d’évolution et qu’on se retrouve avec des paysages un peu stéréotypés, un peu carte postale, bloquant de possibles évolutions importantes pour la commune. Poussé à l’extrême, cela peut devenir préjudiciable à la vie sociale et économique de la commune.
Vous avez dit que les communes îliennes n’avaient pas ou peu d’alternatives économiques en dehors du tourisme. Est-ce une fatalité ou ont-elles des moyens de cibler d’autres activités ?
L. B. : Les communes, selon leur taille et leur surface économique, peuvent avoir les moyens financiers et politiques d’imaginer des alternatives au tourisme. Cela dit, quelle que soit son importance, une équipe municipale peut inciter et encourager certaines activités plus que d’autres. Par exemple, quasiment toutes les îles ont des zones artisanales, certaines depuis simplement quelques années. Cela a des conséquences positives car pour les entreprises, l’une des premières questions qui se pose, c’est de trouver un local pour s’installer. C’est particulièrement vrai pour les petites îles. Molène a ainsi un projet de zone artisanale en cours.
Des élus peuvent s’opposer à l’installation d’activités, mais c’est assez compliqué. Ils ont des leviers qui permettent de contrôler et d’orienter les choses, mais pas toujours de les interdire ou de les refuser. Les associations jouent un rôle beaucoup plus efficace : sur l’Île-aux-Moines, par exemple, un projet de thalassothérapie a été rejeté il y a une trentaine d’années grâce à leur action.
Le problème aussi, c’est sans doute la tendance à spécialiser des territoires et à les enfermer dans une activité. Il faudrait mener une vraie réflexion autour de la mixité économique, et légiférer aussi. Car c’est surtout une question d’aménagement des territoires, qu’il faut essayer de penser différemment, avec des activités plus compatibles entre elles. Les choses évoluent en ce sens : des néo-arrivants sur les îles se réorientent vers des activités primaires comme la pêche ou l’agriculture. Une part de cette production locale est vendue aux touristes ou aux résidents secondaires, qui en sont très friands.
J. V. : Finalement, toutes ces problématiques sont assez normales : le littoral est un lieu attractif, où plusieurs types de populations se croisent, se frottent, ce qui crée des tensions. Cela a toujours été le cas, et c’est plutôt positif. Et cela impose, bien sûr, de renégocier sans cesse les rapports entre les gens, de discuter pour décider de ce dont on a envie sur le littoral.