Propos recueillis par Sandrine Pierrefeu - Pascale Bouton, marin, enseignante d’EPS, spécialiste voile, et Sylvie Lasseaux, conseillère technique à la Fédération française de voile, évoquent l’histoire de son enseignement en France et l’évolution de sa pratique. D’où il ressort que la compétition, très présente aux premiers temps de la pédagogie, n’est plus une fin en soi et que l’apparition de la planche à voile, suivie d’engins nautiques très divers, ont beaucoup fait évoluer l’offre et les pratiques. Recherche de sensations nouvelles, forme de partage plus ludiques, voile connectée, approche douce de la nature… sont autant de manières d’apprendre et de vivre la mer qui « porte le rêve et le voyage dans son ADN ».
Comment et dans quel contexte l’enseignement de la voile a-t-il commencé en France ?
Sylvie Lasseaux : Dans les années 1920, un changement de regard sur la mer s’est opéré avec la création des stations balnéaires. Les congés payés et les vacances à la mer arriveront dans la décennie suivante. La navigation de plaisance s’est développée au début du xxe siècle dans la plus grande indifférence. Contrairement à nos voisins anglais, allemands, hollandais, belges ou nordiques, le yachting était alors chez nous une pratique élitiste. Le déplacement en bateau à voile restait une occupation d’aristocrates ou un moyen de pêche et de transport.
La première école dédiée à l’apprentissage de la voile est créée en 1935 par le commandant Rocq, dans le fort de Socoa, à Saint-Jean-de-Luz. Le Yacht-club basque s’établit alors au plus près des régates de San Sebastian, où les yachts du roi d’Espagne dominent la scène internationale. L’objectif de l’école est de former des marins pour participer à des compétitions et, conformément au yachting chic de ces années-là, l’apprentissage est réservé aux couches sociales aisées et s’effectue en uniforme. Le nom de la Fédération française de yachting perdurera d’ailleurs jusqu’en 1974, date de création de la Fédération française de voile (FFVOILE).
Quand a commencé la démocratisation de la voile ?
Pascale Bouton : Suite à la capitulation de 1940, Jean Borotra, commissaire aux sports du gouvernement de Vichy, lance des centres nautiques d’apprentissage maritime à Socoa, Annecy, Nantes et Sartrouville. Ces structures visent à soutenir « l’élan de patriotisme » auprès de la jeunesse.
En 1948, le secrétariat d’État à l’enseignement technique, à la jeunesse et aux sports, réoriente ce projet et confie l’apprentissage de la voile dans ses centres à des professeurs d’éducation physique spécialisés dans les activités nautiques. À Socoa, on formera près de dix mille stagiaires entre 1935 et 1965, puis l’Union nationale des centres de plein air (UCPA), qui naît un peu plus tard, va reprendre le centre et poursuivre ses activités.
L’Union nautique française (UNF), créée après-guerre pour aider une jeunesse en mal de repères, récupère les bateaux du centre d’Annecy, et participe à la démocratisation de la navigation de loisir durant la seconde moitié du siècle. Elle favorise aussi la construction de nombreuses embarcations, imaginées par une nouvelle génération d’architectes navals. En 1965, elle fusionne avec une autre structure chargée de développer les pratiques sportives après la Libération : l’Union nationale des centres de montagne (UNCM), formant ainsi l’UCPA, une association à but non lucratif qui existe toujours.
En 1947, Hélène et Philippe Viannay créent de leur côté le Centre nautique des Glénans (CNG) à Concarneau, sur les îles Glénan, avec des membres issus, comme eux, de la Résistance ou rescapés des camps. Le CNG sert initialement à la convalescence d’anciens déportés ou à l’accueil de résistants éprouvés par les combats. Il s’agit de tenter, à travers la pratique de la voile, de leur redonner goût à la vie.
Quels étaient les objectifs des écoles de voile nées après la Seconde Guerre mondiale ?
P. B. : Les propos tenus à l’époque par Philippe Viannay l’explicitent et demeurent d’actualité : les Glénans sont « une approche du milieu maritime », et non pas une simple initiation à la voile. « Ils en enseignent la rudesse, la brutalité, la poésie. Ils apprennent à vivre dans un univers où importent d’abord le vent, les marées, le respect de la nature, les oiseaux de mer, mais aussi la connaissance des hommes et de leur mode de vie. Il s’agit donc aussi et avant tout de la diffusion d’une certaine philosophie. »
Cet état d’esprit est véhiculé par Le Cours des Glénans, dont le premier tome est publié en 1961. Il a depuis été traduit en quatre langues et tiré à un million d’exemplaires. Cette association contribuera aussi avec l’un de ses membres, architecte de génie, Jean-Jacques Herbulot, à l’essor de la voile loisir. Le cng est aujourd’hui la première école de voile d’Europe et forme toujours ses moniteurs.
Dans cette structure, comme dans les mille cent écoles affiliées à la FFV, outre l’enseignement technique, il s’agit de transmettre une certaine culture maritime et d’ouvrir à un public élargi un accès à la mer, cet espace de convivialité et d’entraide où l’individu se construit, se renforce, voire, guérit.
Sur quels supports apprenait-on la voile jusqu’à ces dernières années et l’arrivée du foil ?
P. B. : Dès 1920, on navigue sur des Stars, puis des bateaux d’initiation sont mis au point : une soixantaine de Monotype minimums de la Manche (mmm) et de 4m20 (futurs 420) sont construits entre les deux guerres et quelques autres après 1945. En 1943, la direction des sports demande à Jean-Jacques Herbulot de décliner le mmm en une unité d’initiation plus moderne et moins coûteuse : c’est l’Argonaute. Il poursuivra au sein du cng avec le Vaurien en 1951, la Caravelle en 1952, puis le Corsaire en 1954.
Aux Glénans et à l’UCPA notamment, c’est le temps des grands dériveurs collectifs et des petits bateaux habitables et marins, conçus par les architectes Philippe Harlé, Jean-Jacques Herbulot et Jean-Claude Meyran. Les moniteurs et stagiaires se forment sur Vaurien, Caravelle, Corsaire, Muscadet…
Les écoles de voile continuent d’entraîner leurs coureurs sur les bateaux de compétition de l’époque : Finn, Flying Dutchman, 5,50 JI, Dragon, etc. Il faudra attendre l’arrivée de l’Optimist (solitaire), des 420 et 470 (en double) pour qu’elles se dotent de bateaux d’initiation qui peuvent aller jusqu’à la compétition.
À la fin des années 1970, la planche à voile apporte la première révolution de la glisse dans l’enseignement avec la Windsurfer en 1978, avant d’aboutir à une nouvelle pédagogie, basée sur les projets et les niveaux de chaque élève, en 1986. C’est l’explosion de la planche à voile avec le funboard : on compte alors quatre cent mille adeptes contre trente mille aujourd’hui. La planche à dérive olympique Windglider intègre les jo en 1984, en même temps que naissent des légendes de la glisse comme Robby Naish.
En parallèle, depuis 1967, Hobie Alter surfe les vagues californiennes avec son catamaran Hobie Cat 14. Fort de son succès, il crée le Hobie Cat 16 qui sera produit à plus de cent mille exemplaires. Ce bateau arrive au début des années 1980 au Club Méditerranée, puis à l’UCPA et dans le réseau des écoles de voile.
S. L. : L’initiation des enfants s’opère majoritairement sur l’Optimist jusqu’aux années 1990. Aujourd’hui, si les enfants démarrent encore le plus souvent leur apprentissage sur des supports « archimédiens », les adultes entrent dans les sports nautiques par des engins parfois aériens.
Quand et comment le grand public français a-t-il commencé à s’intéresser à la voile ?
P. B. : Le tournant date de 1964, quand Éric Tabarly gagne la Transat. En mettant fin à la domination historique des Anglo-Saxons sur mer, il devient un héros national. Son exploit donne le coup d’envoi de la médiatisation de la voile et des courses. Cet engouement demeure une exception française. On le mesure lors des départs des grandes courses transocéaniques, où la majorité des coureurs arborent le pavillon tricolore. Le phénomène Virtual Regatta – un jeu créé en France –, qui a rassemblé un million de joueurs lors du dernier Vendée Globe, en témoigne aussi.
Comment s’est structurée la pédagogie de la voile, ce nouveau sport « de masse » ?
P. B. : En 1966, le premier ministère de la Jeunesse et des Sports crée l’École nationale de voile (ENV), basée en presqu’île de Quiberon. Son objectif est de structurer l’encadrement et d’accompagner le haut niveau. Les dirigeants du pays considèrent en effet qu’il est urgent de former des moniteurs et des entraîneurs pour limiter les risques liés aux pratiques autonomes de plein air, jugées dangereuses. Il s’agit de réglementer et de standardiser l’enseignement pour le rendre plus sûr, et d’adapter la pédagogie aux évolutions de la société de consommation, avide de liberté et soucieuse de l’individu.
« Le temps était venu […] d’inscrire cet enseignement dans les grandes lignes de la pédagogie moderne, de cesser de le considérer comme un simple apprentissage technique, mais de le fonder sur les rapports à établir et à développer entre l’élève, le bateau et les éléments en jeu : l’eau et le vent », explique en 1978 Joseph Chartois, le premier directeur de l’École nationale de voile.
Propositions et expérimentations pédagogiques se font « à tout vent » dans cet incubateur d’où sortent tous les formateurs du pays. On y travaille autant avec les athlètes olympiques qu’avec les enfants des écoles publiques de Quiberon en Optimist. Ce sont les débuts de la didactique de la voile, destinée à améliorer les résultats en compétition autant qu’à ménager un accès sûr et ludique à la discipline, à la « voile loisir », comme on dit aujourd’hui.
L’encadrant se pose désormais la question du projet de chacun, de ses objectifs et du sens qu’il donne à sa pratique. On identifie trois types de projets : l’épreuve (traversée, maîtrise des éléments dans les vagues…), la performance (records de vitesse ou de trajets) et la compétition.
Qui enseignait la voile autrefois ? Et qui l’enseigne aujourd’hui ?
P. B. : L’armée s’en chargeait sous l’Occupation, puis des professeurs de sports, des marins professionnels ou des amateurs avertis ont pris le relais après-guerre. Il faut attendre 1965 pour qu’apparaisse le brevet d’État de moniteur de voile. En 1967 est créé le premier diplôme fédéral permettant à des bénévoles d’assurer un encadrement dans les associations de sport ou de loisirs de plus en plus nombreuses.
En 2001, la fédération et les grands opérateurs de loisirs nautiques (ENG et UCPA) ont pris le relais de l’ENV et de certains Centres de ressources d’expertise et de performance sportive (creps) pour former des diplômés d’État, en plus des moniteurs fédéraux. L’ENV et les creps se sont recentrés sur l’accompagnement des différentes réformes de la formation afin de suivre les évolutions sociétales et réglementaires. L’objectif consiste désormais pour l’État à former des encadrants dans les activités dites à risques : surf, glisses aérotractées, etc.
S. L. : La profession de moniteur de voile étant réglementée, ceux qui prodiguent à titre professionnel des cours de voile en France doivent être titulaires de diplômes d’État ou d’un certificat professionnel. Ce qui a changé ces dernières années, c’est qu’en parallèle aux écoles affiliées à la fédération et autres grandes structures, se sont développées de petites écoles indépendantes qui se déplacent au gré des conditions sur les lieux les mieux adaptés. Ceux qui les animent sont brevetés, mais ne disposent pas toujours de locaux d’accueil.
Les marins professionnels sont-ils autorisés à enseigner la voile ?
P. B. : Des passerelles existent entre les diplômes d’enseignement de la voile et les brevets de navigation professionnelle pour faciliter la transmission des savoirs par des marins issus de la marine marchande. Grâce à la valorisation des acquis, des coureurs issus de la course au large ont aussi peu à peu accès à ces métiers. Ces trois mondes, longtemps séparés en France, demeurent encore assez étanches entre eux.
En marge des activités réglementées, on trouve aussi une multitude d’amicales, de clubs et d’associations locales, où des propriétaires de voiliers ou d’engins nautiques, amateurs ou marins professionnels, retraités ou non, naviguent ensemble.
Ces structures accueillent souvent aussi des néophytes et les initient de manière informelle. Leur contribution à l’accès du plus grand nombre à ces sports est essentielle car elles constituent un maillage dense, au plus près des territoires. On y apprend la mer ensemble. Comme ses membres s’affilient rarement aux fédérations sportives, leur activité est peu comptabilisée. C’est la partie immergée de l’iceberg.
Quels sont les objectifs des écoles : la performance, le plaisir immédiat, l’autonomie ?
S. L. : Dans le réseau fédéral, on a longtemps considéré que les pratiquants ralliaient ces structures pour faire de la compétition. Le haut niveau et l’olympisme étaient perçus comme une finalité. L’initiation était un préambule à la confrontation et la performance, une fin en soi.
Les écoles restent des viviers de talents où les professionnels détectent et forment des compétiteurs. Chaque année débutent quelque part les champions de demain…Mais la plupart souhaite avant tout apprendre la voile : le désir de concourir ne va plus de soi.
On retient généralement aujourd’hui trois motifs de pratique : la performance, l’itinérance et la sensation. Pour accompagner les adeptes dans ces aspirations, les structures développent leurs activités autour de quatre axes : éducatif, sportif, tourisme-loisir, et insertion-inclusion sociale.
Les femmes pratiquent-elles autant que les hommes ? Quelle est leur place dans l’enseignement et l’encadrement ?
S. L. : Dans les cours dispensés par les écoles de la FFVOILE, on compte 42 pour cent de femmes. La moyenne d’âge des licenciés en France est de quinze ans et, chez les jeunes, la proportion est identique entre les deux genres. Par ailleurs, 80 pour cent des licences prises à la journée le sont par des femmes. Au début de la pratique, leur proportion est donc satisfaisante, comparée à d’autres disciplines de plein air, mais elle diminue ensuite.
Les monitrices fédérales représentent 30 pour cent des effectifs et elles sont 14,6 pour cent à avoir un brevet d’État. C’est peu, d’autant que les proportions tombent à seulement 10 à 15 pour cent de femmes parmi les formateurs de formateurs, de 16 à 18 pour cent chez les arbitres et à moins de 10 pour cent parmi les entraîneurs.
La FFVOILE travaille à l’attractivité de ces métiers pour les femmes et des initiatives voient le jour pour les encourager à continuer la voile après leurs débuts : stages en non-mixité choisie, ou coaching plaisance en couple, pour éviter que le mari se considère comme le maître naturel à bord.
À mesure que nos activités se structurent, que les supports et l’enseignement évoluent, on trouve davantage de femmes, même s’il nous reste des efforts à faire. Les conditions d’accueil se sont améliorées, les mentalités bougent et la mixité se généralise. Il faut néanmoins que la discipline continue d’évoluer, par exemple pour qu’une jeune fille en stage ou en compétition ne passe pas une journée entière sur l’eau sans pouvoir se reposer ou s’isoler si elle a ses règles.
En quoi l’évolution des matériels, des matériaux et des équipements a-t-elle influencé le nautisme actuel ?
S. L. : Pendant longtemps, les évolutions ont porté sur des déclinaisons des formes traditionnelles de navigation en archimédien, mais, aujourd’hui, la voile est en pleine révolution. Les matériaux, et l’ingénierie, ont fait faire à la voile un grand bond en avant. Les foils permettent au support de décoller et de ne plus toucher l’eau : on arrive ainsi à aller à deux ou trois fois la vitesse du vent. Passer les 50 nœuds à la fin des années 2000 était un exploit. Maintenant, c’est devenu presque normal pour certains bateaux de course ! Grâce à des supports comme le wingfoil, le plus grand nombre a accès à des sensations nouvelles.
Les engins nautiques se sont aussi multipliés et diversifiés, mais la société elle-même a changé. On note désormais une demande de cours particuliers, de coaching, de compétitions plus légères, comme les rallyes.
Les formules horaires, par exemple, ont beaucoup de succès et changent la donne. Quelqu’un qui venait pour une semaine de stage acceptait de passer du temps sur la théorie au tableau noir. Chacun gréait son bateau, voire, le réparait. Aujourd’hui, une personne qui « achète » une heure de voile veut passer une heure sur l’eau. Les clubs proposent désormais des « coques chaudes » : les bateaux sont prêts quand la personne arrive, elle pratique une heure et quelqu’un d’autre prend sa place.
La pratique s’est donc considérablement élargie en cinquante ans : la voile actuelle, c’est un croisement de bateaux anciens, nouveaux, de formes modernes ou pas. Les nouvelles technologies permettent de s’adapter à tous les plans d’eau et conditions, en tenant compte du projet de chacun. La voile moderne est une voile pour toutes et tous.
Comment ces différentes pratiques s’orchestrent-elles sur les plans d’eau ?
P. B. : L’arrivée de la planche à voile a marqué le début de la pratique individuelle de masse, suivie depuis par le surf et le kitesurf. La voile derrière un ordinateur et les nouveaux engins nautiques accentuent peut-être cette tendance.
S. L : Les pratiquants actuels n’étant pas tous passés par les clubs et les écoles, ils ne partagent plus une même culture maritime et une connaissance des règles de navigation. Cela pose des problèmes de sécurité, notamment sur la bande des 300 mètres, car des engins variés, aux vitesses et aux comportements hétéroclites, se croisent sur les plans d’eau. Les milieux naturels sont souvent sous pression, car certains sites sont littéralement assaillis quand les conditions météo sont propices.
Cette révolution des usages et l’engouement pour les nouveaux supports imposent une protection renforcée des sites naturels. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les pratiques « libres » accentuent le besoin d’encadrement et de surveillance des plans d’eau.
Quelles sont les tendances actuelles ? Et à quoi ressemblera la voile de demain ?
S. L. : On remarque une baisse d’intérêt pour la compétition classique. Jugés lourds et contraignants, ces circuits impliquent aussi beaucoup de déplacements. Ceux qui sont attirés par des épreuves de confrontation se retrouvent dans des challenges ou des défis auto-organisés, plus ludiques, moins normés.
Les activités plus douces et plus lentes, respectueuses de l’environnement, séduisent de plus en plus. La voile permet de découvrir la faune et la flore d’un lieu, des paysages et des territoires, voire des « terroirs », avec une autre perspective que la marche ou le vélo. Près de quarante structures de notre réseau proposent des activités dites de tourisme lent – « slow tourisme » – depuis 2022.
Enfin, la voile connectée se développe à grande vitesse. Dans le réseau de bases de vitesse équipées d’un système de suivi, le tracking, certains suivent leurs progrès et homologuent leurs records de vitesse en autonomie grâce à des boîtiers GPS embarqués. La voile virtuelle connaît aussi un succès croissant, avec un public toujours plus nombreux qui suit les grandes courses et joue même à régater.
P. B. : Quand on joue à Virtual Regatta, on apprend à naviguer avec les éléments et, pour certains, c’est une porte d’entrée vers la discipline : après avoir fait le tour du monde ou traversé l’Atlantique devant leur écran, ils désirent naviguer « en vrai ». Des établissements scolaires utilisent aussi ces courses virtuelles comme supports pédagogiques pour des notions aussi variées que la météo, la géographie, la physique, etc.
Combien ces disciplines pèsent-elles économiquement et…socialement ?
S. L. : Ces activités ont repris leur progression après deux années sous contraintes sanitaires. Près de deux cent quatre-vingt mille personnes ont souscrit une licence voile en 2022. Or ce chiffre ne tient pas compte des enfants inscrits en classe de mer, ni de ceux qui naviguent de façon autonome ou dans d’autres structures. On estime à près de 3,5 millions le nombre de personnes qui pratiquent la voile légère en France.
Le secteur fédéral pèse 150 millions d’euros de chiffre d’affaire, sans prendre en compte l’économie des grands événements. C’est beaucoup, mais par-delà ces résultats, nous sommes très attachés à l’utilité sociale de la voile que notre réseau s’emploie constamment à renforcer.
P. B. et S. L. : L’émerveillement que suscitent l’apprentissage de la voile et la découverte de la mer sont un puissant levier. La plupart des professionnels de la mer, travaillant au sein des clubs et des écoles, sont d’ailleurs nombreux à s’engager dans l’inclusion et l’insertion, ainsi que dans le sport santé ; certains se forment pour être mieux outillés auprès des publics en difficulté. Les projets destinés aux jeunes enfants, comme les classes de mer, aux lycéens en difficulté et même aux jeunes adultes éloignés de la pratique, se multiplient (lire p. 18).
Ces activités nautiques véhiculent des valeurs de partage et de solidarité et aident les pratiquants à retrouver confiance en eux, en l’autre et dans la vie. Par-delà la technicité, le loisir et la performance, il se passe des choses importantes, utiles et belles autour de la voile. Aller sur l’eau rend heureux. La mer n’est pas un produit, c’est un élément. Elle porte le rêve et le voyage dans son ADN.
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Les jeunes filles et la mer
Dans les années 1930, des lycéennes défrayèrent la chronique en Normandie à bord du trois-mâts-barque Alcyon. Elles menaient ce grand voilier sous la houlette de Georges Hébert, un officier de marine convaincu des bienfaits du sport en général et de la voile en particulier. Deux autres marins, seuls hommes à bord, encadraient les élèves de ce premier navire école féminin du pays.
« C’est ainsi, curieusement, que les premières incursions de toutes jeunes filles sur la mer sont dues à l’initiative d’un marin issu du corps le plus antiféministe de la nation, l’armée », écrit Annie Réal en 1982 dans son ouvrage Les Aventurières du grand large. Dans sa présentation des stages embarqués du commandant Hébert, elle évoque la surprise des habitants de Deauville, tout juste remis de l’arrivée des citadines aux bains, en voyant les étudiantes briquer le pont, raccommoder la toile et établir la voilure en crapahutant dans les vergues en vareuses et pantalons de toile…
Issues de milieux aisés, les jeunes filles âgées de seize à vingt ans se pliaient à la « discipline de fer » instaurée par le capitaine, par ailleurs inventeur du parcours du combattant et d’une méthode de gymnastique, appelée hébertisme. Elles passaient en moyenne quinze jours à bord avant de retourner dans leurs pensionnats chics.
« Une fabuleuse école, en cette époque où les femmes n’avaient guère l’occasion d’aller “s’éclater” sur l’eau […]. L’école nautique féminine de Georges Hébert eut beaucoup de succès […]. Un grand cotre anglais, l’English Rose fut d’ailleurs après-guerre l’objet d’une expérience similaire, raconte Annie Réal. L’expérience coûtait cher. Trop. L’Alcyon fut vendu après quatre années de navigation. En Europe, on ne devait plus reparler de femmes sur l’eau avant les années 1950. » En 2023, la version moderne de ces stages des années 1930 s’appelle la « non-mixité choisie » : proposés par certaines écoles de voile, ils s’adressent à des publics exclusivement féminins, capitaines et formatrices comprises cette fois. L’école de voile des Glénans porte ainsi à son catalogue 2023 plusieurs formations de cheffes de bord et de stages de perfectionnement croisière estampillés 100 pour cent féminin.
Dispositif d’insertion : La mer est à vous
« La mer est à vous » est un dispositif d’accompagnement et d’insertion professionnelle destiné à favoriser le développement des vocations maritimes chez les jeunes éloignés de l’emploi, âgés de dix-huit ans ou plus, hommes et femmes, avec pour objectif de les acculturer à l’environnement maritime », détaille la page officielle de ce projet, financé par le ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion.
Pour faire découvrir la mer et ses métiers à des jeunes, des clubs de voile de France métropolitaine ou des Dom-Tom les accueillent pour des séjours de cinq mois et demi. Initiées au milieu nautique et aux techniques de navigation, les recrues participent à la gestion quotidienne des clubs, à l’entretien des bateaux et sont également immergées dans des entreprises partenaires appartenant à l’industrie nautique. Entre cinquante et cent cinquante personnes bénéficient chaque année de ce programme. Plus de la moitié trouve un emploi à l’issue ou avant la fin de ce stage, et un tiers des « équipiers » choisit d’intégrer une formation aux métiers de la mer à la suite de cette première expérience.
Mobilité douce… sur l’eau aussi
Alors que des supports nautiques de plus en plus véloces s’offrent au bon plaisir des amateurs de glisse – de vol maritime, de survol des eaux ?… le vocabulaire manque ! –, une tendance opposée voit le jour sur les flots : le tourisme lent, dit slow tourisme.
Par-delà la réflexion sur le bilan carbone des nouveaux jouets en matériaux composites, souvent acheminés de loin jusqu’en Europe, des combinaisons néoprène associées à ces pratiques et des déplacements en voiture vers les littoraux, certains décident de faire… lentement. Ces adeptes de la mobilité douce entendent se promener en prenant leur temps, à la seule force du vent ou de la pagaie, pour une approche en douceur du littoral ou des plans d’eau.
« L’objectif est de vivre une expérience à la fois immersive et inclusive en s’appuyant sur des supports à voile tels que des bateaux collectifs, des dayboats (bateaux destinés aux sorties à la journée), des catamarans… ou bien avec des pagaies, en stand up paddle par exemple. Les offres doivent favoriser l’itinérance, la découverte de la nature et du patrimoine local, l’éducation à l’environnement et la transmission. Dans cet esprit, elles permettent de privilégier les rencontres, savourer les plaisirs de la table, avec le souci du respect du territoire et de ses habitants », explique-t-on à la FFVOILE. Pour l’été 2023, trente-huit structures qui lui sont affiliées proposent une cinquantaine d’offres « lentes », qui n’exigent aucune compétence : de la rando en soirée à la rame pour découvrir l’île Sainte-Marguerite à Cannes jusqu’au tour des îlets du François en Guadeloupe sur des yoles traditionnelles… la balade bucolique est dans le vent.
La diversité des engins nautiques : un plus pour le handivoile
Plus de trois cents clubs de voile proposent des activités régulières destinées aux 12 millions de personnes en situation de handicap en France. Compliqué ? Ce sont surtout les valides qui s’inquiètent, affirment les intéressés : il existe une telle variété d’engins nautiques qu’il est plus facile aujourd’hui qu’autrefois de trouver des unités adaptées aux problèmes de chacun.
Bateaux collectifs permettant de « laisser le fauteuil et le handicap sur le ponton », mais aussi sièges particuliers ou harnais adaptés : les aménagements et les solutions techniques existent, ainsi que la volonté de certains encadrants, mobilisés pour permettre à toutes les personnes d’accéder aux plans d’eau et de découvrir ou de continuer à pratiquer les sports nautiques avec un handicap. Pour les personnes mal voyantes, l’Union nationale des aveugles et des déficients visuels (UNADIV) et la FFVOILE ont développé l’application Sara. Installée sur le smartphone de la personne qui navigue, elle la renseigne en permanence sur le comportement du bateau, son cap et sa vitesse, lui permettant de mener son navire de manière autonome.
Wingfoil, kitesurf… Ça flotte ou ça vole ?
Avec les nouveaux engins nautiques, les organisations sportives et éducatives ne savent plus à quel élément se vouer. Les pratiquants de wingfoil ou de kitesurf souscrivent des licences à la Fédération française de vol libre, qui orchestre aussi le deltaplane et le parapente. Mais les compétitions et les entraînements de haut niveau de cette discipline reviennent à la FFVOILE. Les moniteurs passent d’ailleurs un brevet professionnel de nautisme et non de montagne. Même problème avec le paddle board, dont les encadrants sont formés par la filière kayak s’ils se destinent à l’eau vive ou plate. Ils rallient en revanche les cursus de surf s’ils entendent initier des pratiquants aux vagues… Joli casse-tête !
À lire :
Le site de l’École nationale de voile et des sports nautiques propose une riche documentation : < basedocumentaire.envsn.fr >
Jean-Louis Goldschmid, 40 ans aux Glénans, Éd. Ouest-France, 2009.
André Linard, « les cinquante ans des Glénans », Le Chasse-Marée n° 107, 1997 ;
Ron de Vos et Gwendal Jaffry, « la rose et le taureau », Le Chasse-Marée n° 160, 2003 ;
Antoine Chataignon, « les scouts marins ont cent ans », Le Chasse-Marée n° 229, 2011 ;
Emmanuel van Deth, « corsaire, le 2 cv de la mer », Le Chasse-Marée n° 246, 2018 ;
Jacques van Geen, « le petit monde de la caravelle », Le Chasse-Marée n° 306, 2020.
Réplique à l’échelle 1/7 des 12 m JI – sauf le pont –, le MiniJI, créé dans les années 1980 par Alain Gallois, a été adopté par la Fédération française handisport.