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Camille Lecointre, à la barre, et Jérémie Mion, au rappel, sur 470, lors de la "grande répétition" des Jeux de 2024 à Marseille, où ils ont remporté la médaille d'or. ©PhotoPQR/La Provence/MAXPPP

Par Maud Lénée-Corrèze - Pour mieux comprendre la voile olympique, nous avons interrogé Gildas Philippe, spécialiste du 470, le dériveur dessiné par André Cornu, apparu aux jo de 1976. Il nous renseigne sur la préparation des athlètes, le choix et l’évolution des supports ou les changements apportés aux épreuves. Le 470, ouvert aux femmes en 1988 et aux équipages mixtes en 2022, offrira peut-être une médaille aux Français cet été…

Quelles sont les évolutions dans le profil et l’entraînement des athlètes olympiques ces dernières années en France ?

Au fil du temps, les athlètes se sont beaucoup professionnalisés, surtout dans les années 1980-1990, avec l’arrivée de sections sport-études voile légère à Brest, La Rochelle, Montpellier, Marseille… Le développement important de ces filières a permis une autre bascule dans les années 2000, celle qui a donné les moyens aux sportifs voulant aller aux JO de pouvoir consacrer 80 pour cent de leur temps à l’entraînement. Parce qu’il faut aujourd’hui se projeter sur au moins quatre ans, voire huit : on fait une première olympiade pour voir, mais on a déjà en tête l’olympiade suivante.
L’âge des athlètes a aussi reculé : dans les années 1980-1990, à partir de 30 ans, on était considéré comme vieux, et donc plus forcément compétitif. Aujourd’hui, certains ont une quarantaine d’années, plusieurs olympiades derrière eux, et continuent à faire des podiums. En ILCA, par exemple, un athlète de 36 ans [Jean-Baptiste Bernaz] en est à ses cinquièmes Jeux…

Au premier plan, Ching Yin Cheng, sélectionné pour Hong Kong, lors de la répétition des épreuves d'IQ Foil des JO de Paris. Le Français Nicolas Goyard décroche la médaille d'or. ©PhotoPQR/La Provence/MAXPPP

Comment cela s’explique-t-il ?

Peut-être parce que, justement, l’investissement est tel qu’il est parfois difficile pour les jeunes de se projeter sur deux ou trois olympiades. Et les places sont très chères : nous avons sept supports en comptant ceux réservés aux hommes et aux femmes, avec quatorze places, soit deux places par support, une pour les hommes, une pour les femmes. La place peut être déjà prise par un ancien d’un niveau difficile à égaler. Nos sélections se déroulent sur quelques épreuves de référence pendant un an et demi, des championnats, des régates importantes, auxquelles participent les membres de l’équipe de France.
Ensuite, peut-être parce que la voile est plus médiatisée qu’autrefois, il est plus facile pour les athlètes et la fédération de trouver des financements et des partenaires pour poursuivre plus longtemps dans la pratique. Avant, jusqu’à 30 ans, on pouvait vivre avec un petit budget, mais ensuite, si on voulait fonder une famille, c’était plus difficile de rester athlète.

Que savez-vous du choix des supports pour les épreuves olympiques ?

Pour 80 pour cent d’entre eux, il faut qu’ils soient relativement accessibles financièrement. C’est ce qui a d’ailleurs progressivement fermé la porte aux quillards : même le Star ou le Soling pouvait coûter trois fois plus cher qu’un dériveur, entre l’organisation des courses, le bateau, le matériel… Il faut aussi que le support soit bien diffusé à l’international : on ne choisira pas un engin s’il est très peu pratiqué. Les tests, comme peut-être celui du Wingfoil pour les jo de 2032, permettent de mesurer si un sport est bien pratiqué et diffusé.
Ce sont des choix réfléchis à l’avance qui entrent dans une enveloppe budgétaire jouable. C’est ce qui explique que le foil n’arrive que cette année, alors qu’il existe depuis longtemps. Il y a aussi des raisons politiques, car chaque pays vote pour choisir les supports. Par exemple, les Asiatiques soutiennent énormément le 470, car sa pratique est très répandue en Asie, alors qu’aux États-Unis, où il est peu pratiqué, les chances de médailles sont moindres ; ce dernier pays a donc peu d’intérêt à voter pour le 470 dans les instances internationales.

Gildas Philippe a amené sur le podium Camille Lecointre et Hélène Defrance aux JO de 2016 puis à nouveau Camille Lecointre et Aloïse Retornaz en 2021. ©Coll. Gildas Philippe

Le 470 est au programme depuis 1976. Pensez-vous qu’il a encore de l’avenir en tant que série olympique ?

Je l’espère ! Cela fait des années qu’on l’enterre, qu’on le dit vieillissant… mais il est très bien diffusé à l’international et reste peu cher. Nous sommes assurés d’être là au moins jusqu’en 2028, et on ne désespère pas pour la suite. Car il faudrait lui trouver un remplaçant. Or, aujourd’hui, c’est la seule série qui correspond aux gabarits féminins d’1,60 mètre et de 55 kilos. D’ailleurs, je pense que c’est un critère qui compte pour le choix des supports : autrefois, les quillards, mais aussi le Finn par exemple, exigeaient de gros gabarits. Il y avait à chaque olympiade deux ou trois séries où il fallait peser 90 ou 100 kilos et mesurer 1,80 mètre pour espérer faire une performance. C’étaient des séries très typées et fermées. Même avec le Finn, pourtant ouvert aux femmes, il fallait peser au moins 90 kilos pour obtenir de bons résultats. Difficile d’ouvrir le sport aux femmes avec de pareilles conditions…

Le 470 a d’ailleurs été le premier support réservé aux femmes en 1988…

Oui, c’est vrai, et aujourd’hui, il est mixte. Et, là, c’est intéressant, car on a vu que les configurations avec une femme à la barre et un homme au rappel et vice versa fonctionnaient assez bien. C’est aussi une chance qu’offre ce bateau. Sinon celles qui ont un grand gabarit devraient se contenter d’être équipière et ne pourraient pas barrer. Et les petits gabarits ne pourraient pas être équipières.

Comment les épreuves ont-elles évolué ?

Depuis les Jeux d’Atlanta en 1996, les organisateurs ont décidé de faire davantage de manches, et des manches plus courtes : ils sont passés d’épreuves d’une ou deux heures et demie à moins d’une heure. Cela donne des régates plus dynamiques, plus sportives peut-être, avec plus de chances de « performer » aussi, puisque les manches sont plus nombreuses. C’est vrai qu’en 470, au bout d’une heure et demie, on a fait le tour de la question, les places sont à peu près acquises.
Pour la planche et le kite, les formats sont parfois de quelques minutes, avec dix-huit manches : là, tu prends le départ, tu slalomes un peu et tu es arrivé… Par ailleurs, ils souhaitent aussi rendre les résultats plus compréhensibles, car, dans notre sport, on peut être dernier à la dernière manche et gagner malgré tout la médaille d’or. Pour le kite et la planche, ils expérimentent ainsi un système avec des éliminatoires tout au long de la semaine ; celui qui gagne la dernière course remporte le titre olympique.

Ben Ainslie aux Jeux d'Athènes de 2004, en Finn, pour la Grande-Bretagne. Il remporte la médaille d'or lors de cette édition, puis à nouveau en 2008 et en 2012. ©PA Images/Alamy Banque d'Images

Pourquoi ces changements ?

Sans doute pour rendre l’ensemble plus médiatique. On est encore en phase de tests pour trouver le modèle qui convienne à la fois aux médias et aux coureurs. Nos disciplines se déroulent dans un milieu très changeant, entre le vent, la mer, les courants. C’est bien d’avoir une multi-
plicité de manches pour pouvoir obtenir une moyenne entre le risque, la chance, et les choix que fait le coureur, sa technique. La multiplication des manches gomme un peu le côté chance-malchance.

Comment les athlètes sont-ils entraînés ?

Pour le 470, nous sommes deux, un préparateur physique et moi. Pour l’entraînement sur l’eau, on essaie de coller au maximum aux conditions de régate, mais ce n’est jamais parfait. L’une des choses les plus importantes, à laquelle on ne peut déroger, c’est qu’il faut aller sur le plan d’eau de l’événement pour le découvrir, s’y préparer. Pour tous les championnats, on essaie d’aller un mois avant sur place, de s’entraîner quinze jours, puis de rentrer, avant d’y retourner. Si on ne fait pas ça, les athlètes, aussi bons soient-ils, ne font pas de performances.
Chaque plan d’eau a ses spécificités. On parle souvent du « poids » du vent, à cause de sa densité, qui peut dépendre de la température et de l’humidité de l’air, qu’on ne peut pas facilement reproduire ailleurs. Pareil pour le courant. L’idéal, c’est d’avoir un plan d’eau avec des températures assez clémentes, entre 12 et 25 degrés, et un minimum de 12 à 13 nœuds de vent tout le temps. S’il y en a moins, on perd notre temps en fait.

Qu’est-ce qui fait la différence entre un athlète de haut niveau et un champion ?

Pour moi, c’est vraiment la motivation, l’envie de se dépasser. Certains, même s’ils se font mal quatre fois, se relèvent, tandis que d’autres n’arrivent pas à aller jusqu’au bout. Car c’est un sport assez dur, il faut être solide. Les journées peuvent être difficiles : en Angleterre, lors des JO de 2012, par exemple, il pleuvait, il faisait froid, c’était très dur…
Après, on bidouille pour améliorer le bateau, surtout en 470, où on a une certaine latitude, car ce n’est pas une monotypie au sens strict, c’est-à-dire que toutes les unités sont identiques et, souvent, construites par le même chantier. Les formes du 470 sont les mêmes, bien sûr, mais pour le gréement par exemple, on peut jouer sur la raideur et la souplesse de la dérive, des voiles, du mât, en fonction du gabarit des athlètes. Mais ce qui fait la différence, pour moi, c’est vraiment la technique des sportifs et, en double, la cohésion. Quand l’un pense à un truc, l’autre, sans qu’il y ait eu un mot de prononcé, agit tout de suite. Il faut aussi que le matériel soit impeccable, bien sûr.

Comment cela se passe au niveau financier ?

Nous avons eu des diminutions d’effectifs. Au niveau national par exemple, on a perdu douze à quinze postes à la fédération, parce que les budgets de l’État diminuent. On a tendance à recruter moins, parce qu’on peut encadrer moins de monde. Avant, en 470, pour les deux séries réunies, hommes et femmes, nous avions tout le temps une quinzaine d’équipages et avec la mixité, on aurait dû en avoir huit au total, mais aujourd’hui nous sommes à quatre ou cinq. Et nous sommes passés de cinq cadres à deux. C’est dommage mais ça nous permet de nous concentrer sur moins d’athlètes, donc d’être peut-être plus efficaces. Et ça ne diminue pas forcément les chances de gagner, car il y a de petits pays, avec peu de pratiquants, qui sont très bons.

Que pensez-vous du plan d’eau de Marseille : sera-t-il favorable aux Français ?

Il est vraiment complet et complexe, avec un relief énorme, il peut y avoir de la mer, du mistral, des vents d’est, etc. Je pense que nous avons un avantage, notamment psychologique, sur les autres car ils pensent que nous le maîtrisons. Cela fait plusieurs années qu’on s’entraîne presque exclusivement à Marseille, où les conditions très variées sont intéressantes. On croise les doigts pour qu’elles perdurent cet été ! Quant au niveau des athlètes français, il est plutôt bon depuis deux ou trois olympiades. Nous avons réussi à ramener trois à quatre médailles et, là, je n’en attends pas moins… ◼