©CAMILLE MOIRENC/HEMIS.FR

Propos recueillis par Maud Lénée-Corrèze - La protection des océans et des écosystèmes marins passe-t-elle par les aires marines protégées (AMP) qui se multiplient dans le monde ? Joachim Claudet, conseiller pour l’océan au CNRS, et Philippe Le Niliot, directeur du parc naturel marin d’Iroise, ont à peu près la même réponse : oui, si elles sont définies en concertation avec les acteurs du secteur. Non, si elles n’existent que sur le papier comme c’est le cas pour d’immenses zones reculées où réglementation et surveillance sont inexistantes. Tous deux s’accordent pour dire que la pêche industrielle n’est pas une activité durable, et que les politiques doivent accompagner de nécessaires et douloureux changements.

Joachim Claudet, quelle est la définition officielle des aires marines protégées (AMP) et comment sont-elles nées ?

Joachim Claudet : Par définition, une aire marine protégée est un outil de gestion par zone, dont l’objectif principal est la conservation de la biodiversité – et pas le développement durable, même si celui-ci peut être un des buts secondaires. Je fais la distinction, car il existe d’autres outils de gestion par zone dont l’objectif premier est le développement durable.

Après la Seconde Guerre mondiale, on a constaté que certaines populations de poissons avaient augmenté en Atlantique Nord, du fait de l’arrêt forcé de la pêche à cause du conflit. Les premières réserves ont donc été créées dans l’après-guerre sur le modèle de celles qui existaient à terre. Elles étaient petites et côtières avec la non-pêche comme principale réglementation.

Ces réserves ont montré leur efficacité pour la restauration des populations de poissons, tout en apportant des bénéfices pour les zones avoisinantes, selon le principe du débordement : les poissons grandissent et se reproduisent au sein de la zone protégée, avant d’en sortir à cause de la compétition plus forte. Ils peuvent alors repeupler les zones alentours, disperser les larves et réensemencer des milieux où ils pourront être pêchés. Aujourd’hui, les travaux de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) montrent que le facteur principal d’érosion de la biodiversité en mer est la pêche. Il faut donc accompagner sa transformation vers la durabilité. Car si nous avons besoin de la pêche, cette dernière a également besoin d’écosystèmes bien conservés.

Quels sont les différents types de protection ?

J. C. : Il existe six catégories de protection, mises au point par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), de la plus stricte, classée I, à la plus permissive, classée VI. Elles définissent un niveau de compatibilité avec des activités extractives et rappellent que toute activité industrielle et tout développement d’infrastructures sont incompatibles avec les aires marines protégées. Cette typologie UICN énonçant des objectifs de gestion et de conservation, une classification complémentaire, basée sur la réglementation de ces espaces, a été conçue dans le guide des AMP. Celui-ci n’est pas contraignant, c’est un outil à la prise de décision, à l’échelle locale et internationale.

Ce guide liste quatre niveaux protection. Quels sont-ils ?

J. C. : La protection intégrale ne permet aucune activité extractive ou destructrice, comme sur la réserve de Cerbère-Banyuls. La protection haute autorise seulement des activités extractives légères. Les autres impacts sont minimisés dans la mesure du possible. Dans une AMP de niveau léger, une certaine protection existe, mais des extractions et impacts, modérés à importants, sont autorisés. Le niveau minimal permet une extraction extensive et d’autres impacts [utilisation d’une dizaine d’engins de pêche, possibilité de grandes infrastructures d’aquaculture et d’ancrage, NDLR], tandis que certains bénéfices de conservation persistent.

Les protections intégrales et hautes correspondent, en termes d’objectifs de conservation, aux catégories I et II de l’UICN. Les AMP de ces deux niveaux de protection ont prouvé qu’elles présentaient des biomasses et une abondance d’espèces de poissons commerciales bien plus élevées que les AMP « légères » et « minimales » ; dans celles-ci, la biomasse et la présence de poissons sont identiques à celles des zones non réglementées. Par ailleurs, les deux plus forts niveaux de protection permettent une bonne restauration des interactions écologiques et des habitats, l’amélioration de l’efficacité de la reproduction, une plus grande résilience dans l’AMP et un potentiel d’adaptation aux changements environnementaux plus important.

Et quels sont leurs effets sur le plan socio-économique ?

J. C. : Pour la pêche, il est démontré que ce sont surtout les AMP de protection intégrale qui permettent l’exportation de poissons et l’accroissement des captures aux abords des AMP. Les aires marines protégées peuvent toucher d’autres aspects du bien-être humain, tels que la santé, la culture et les moyens de subsistance. Elles peuvent influer sur la vie des peuples autochtones, des pêcheurs, des acteurs du tourisme et des habitants des régions côtières. Les retombées positives typiques des AMP vont de l’amélioration de l’engagement communautaire à l’augmentation des prises de pêche, et donc à l’accroissement des revenus.

Pour l’aspect négatif, les AMP qui fournissent le plus de bénéfices à la pêche sont aussi celles qui sont les plus coûteuses sur le court terme pour les pêcheurs. Car avant que la nature se régénère dans ces AMP et bénéficie aux pêcheurs, cela prend en moyenne cinq à dix ans. Il faut pouvoir compenser ces coûts de transition. Une fois ce seuil dépassé, les AMP ont des effets positifs.

Des associations et des groupes de pêcheurs accusent souvent les ONG de « s’accaparer » une partie des océans en les transformant en AMP. Qu’en pensez-vous ?

J. C. : C’est une posture ! Au sein des AMP, les contraintes pour la pêche ne concernent que 0,1 pour cent de la façade méditerranéenne et 0,01 pour cent de la façade Atlantique-Manche-mer du Nord. Je crois qu’on est loin d’un accaparement par qui que ce soit… En revanche, il est important que les processus de création et de gestion des AMP prennent en compte les préoccupations et les besoins des communautés locales pour que l’AMP soit durable. Si ce n’est pas le cas, quel que soit son niveau de restriction, il est fort probable qu’il sera inefficace et non respecté, car imposé.

Les différents cantonnements sur le parc naturel marin d’Iroise : en rouge, celui de la langouste de la chaussée de Sein, où toute pêche est interdite ; en vert, celui du Conquet où seules les lignes et les palangres sont autorisées ; en violet, celui du cap de la Chèvre, où la pêche des crustacés est interdite du 1er avril au 30 septembre. ©PARC NATUREL MARIN D’IROISE

Philippe Le Niliot, vous êtes directeur délégué par intérim du parc naturel marin d’Iroise, créé en 2007, mais vous ne prônez pas une interdiction totale de la pêche. Pourquoi ?

Philippe Le Niliot : Le parc naturel marin est une catégorie d’AMP ayant pour objectif la connaissance et la protection de la biodiversité au profit des activités maritimes durables. On considère que la protection peut être compatible avec la pêche et son corollaire, le développement d’un territoire insulaire ou littoral, s’il dépend de ces activités. La protection est le chapeau permettant d’envisager une exploitation des ressources sur le long terme. S’il n’y a pas de mesures pour réguler une pratique ni de protection, il y a de grandes chances pour que celle-ci ne dure pas. La longue histoire de la pêche maritime fournit malheureusement beaucoup d’exemples.

Pour protéger efficacement l’environnement marin, il faut savoir dans quel état les écosystèmes se trouvent et comment ils réagissent aux pressions. C’est en partie le rôle des ingénieurs écologues du parc marin et des experts avec qui nous travaillons. Nous surveillons les écosystèmes au jour le jour, pour connaître leurs réactions aux pressions et leur capacité de restauration.

À bord d’Artemis IV, caseyeur du quartier de Brest. Les arts dormants ont peu d’impacts sur le milieu, selon Philippe Le Niliot. ©LIONEL FLAGEUL

Nous voulons faire cohabiter l’homme avec la biodiversité. C’est possible mais difficile sans un apprentissage pour apprendre à se connaître, puis se reconnaître, car chacun a ses propres représentations du milieu marin. Nous faisons le pari de la discussion, du débat concerté, car nous ne voulons exclure personne.

Comment faites-vous pour y parvenir ?

P. L. N. : Nous pensons que les pêcheurs sont des chefs d’entreprise comme les autres, avec des emprunts, des études à payer pour leurs enfants… Par ailleurs, leurs activités obéissent à certains codes, qui ne sont pas forcément écrits : par exemple, ils ont chacun une zone de pêche qu’ils exploitent depuis longtemps. Nous savons donc qu’interdire la pêche à tel endroit va bousculer une organisation implicite qui repose sur des équilibres anciens. Nous connaissons cette réalité et les professionnels sont rassurés quand ils voient que nous la prenons en compte.

Le conseil de gestion du parc marin d’Iroise réunit : 11 élus des collectivités locales, 12 représentants des professionnels de la mer, 8 des usagers, 2 des associations écologistes (Bretagne vivante, Eaux et Rivières), 9 personnalités issues de l’université, d’Océanopolis, d’Ifremer, de l’OFB…, 1 élu du parc naturel régional d’Armorique et 6 membres des services de l’État. ©CÉCILE BARREAUD/OFB

Au sein du parc marin d’Iroise, c’est le conseil de gestion qui prend tous les arrêtés. Quarante-huit membres y siègent ; parmi eux, il y a des pêcheurs qui exploitent la ressource, d’autres qui se préoccupent de la protéger, et des ONG. Pour les professionnels, c’est important et c’est même enrichissant. Ce dialogue est nécessaire pour définir des mesures qui s’appuient sur un diagnostic partagé. Le parc marin fait à ce titre office d’outil d’expérimentation pour évaluer des mesures de gestion qu’on peut répliquer ailleurs.

Comment décider de ce qui va être protégé ?

J. C. : L’idée, c’est d’essayer de protéger un peu de tout, de façon à avoir une bonne représentativité de tous les écosystèmes sur le globe, ou à l’échelle d’un pays, d’une région. Car chaque milieu apporte des bénéfices spécifiques : protéger les récifs coralliens mais pas les herbiers de posidonies de Méditerranée, cela n’a pas vraiment de sens. Il n’est pas nécessaire de tout protéger de la même façon. Il faut plutôt le faire en fonction du type et de l’intensité des activités humaines, et de leur impact sur les écosystèmes. Certains habitats sont plus ou moins vulnérables, ou plus ou moins productifs et cruciaux pour la biodiversité. Il faut donc adapter le degré de protection aux enjeux de la zone.

Près de la presqu’île de Giens, en Méditerranée, un plongeur plante des pieds de posidonie pour reconstituer un herbier. ©MICHEL GUNTHER/BIOSPHOTO

Il y a par exemple des « hotspots » de biodiversité bien connus aujourd’hui dans le monde… qui sont souvent aussi des hotspots d’usages, ce qui crée des conflits. Nous évaluons donc la compatibilité des activités avec le maintien de la biodiversité. Certaines pratiques sont jugées incompatibles par l’UICN, comme le chalutage de fond dans les AMP. Là-dessus, il y a un consensus scientifique : c’est un engin peu sélectif, qui endommage de manière physique les fonds. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas gérer le reste : même en dehors des aires marines protégées, il faut que la cohabitation entre l’homme et la nature se passe bien dans la durée.

Par ailleurs, la notion de réseau est importante, car elle permet une meilleure planification et donc une meilleure protection des espèces, et des bénéfices pour la pêche, notamment celle des poissons très mobiles qu’une AMP bien délimitée protègera moins efficacement.

Comment faites-vous pour faire accepter des changements d’usages ou des cantonnements de pêche ?

P. L. N. : Quand on nous signale qu’une activité pose un problème, nous l’évaluons avec des partenaires scientifiques, le CNRS, l’Université de Bretagne Occidentale… pour obtenir un diagnostic qui sera ensuite partagé et accepté par une majorité. C’est capital pour établir de nouvelles règles de gestion équilibrées et concertées. Si l’on n’arrive pas à s’entendre, on aura du mal à les faire respecter et on dépensera une énergie folle en contrôle et en tensions sur le terrain. En fermant certaines zones importantes pour la pêche des algues dans une partie du parc naturel marin, nous avons été confrontés à des conflits, intenables sur la durée. C’est pourquoi nous misons sur des mesures qui s’appuient sur un diagnostic fiable et partagé. C’est plus long à établir mais bien plus facile à faire respecter.

On parle aussi d’AMP « de papier » pour celles qui n’existent que sur les listes internationales pour montrer qu’on a atteint les objectifs… Quelle est la réalité ?

J. C. : Ce sont les États qui déclarent la création d’aires marines protégées, mais parfois elles ne sont que des limites sur la carte, sans aucune réglementation sur les activités impactant la biodiversité. En analysant les cent plus grandes AMP du monde, soit 90 pour cent des zones marines protégées, nous avons mis en évidence qu’un quart de cette superficie est dépourvue de réglementation et de gestion. Par exemple, plus d’un tiers des AMP autorise des activités industrielles telles que la pêche commerciale à grande échelle, principale cause de la perte de biodiversité dans l’océan, normalement incompatible avec la conservation marine. Les grandes AMP existent de manière disproportionnée dans les zones reculées et les territoires d’outre-mer de certains pays, au détriment d’habitats et d’espèces importantes localisées dans des régions déjà fortement touchées par les activités humaines.

Cette carte, créée par le Marine Conservation Institute, montre en bleu foncé les AMP complètement et hautement protégées, et, en bleu clair, celles qui le sont moins. Les zones hachurées correspondent aux aires marines déclarées dont la mise en œuvre n’est pas encore attestée.

En France, l’État soutient que 60 pour cent de la façade méditerranéenne et 40 pour cent de la façade Atlantique-Manche-mer du Nord sont dans des AMP, mais elles sont peu réglementées. Suite au rapport de la Cour des comptes européenne de 2020 sur les zones Natura 2000 très permissives, l’UE souhaite avoir un tiers des AMP en protection forte. Des États commencent à s’y plier comme l’Allemagne qui fait passer 10 pour cent de ses aires marines en protection intégrale. Au Royaume-Uni, le chalutage de fond est en cours d’interdiction dans les AMP.

En France, il y a encore beaucoup de controverses autour de la définition de protection forte. Il n’y a pas de liste d’usages non compatibles avec la conservation. Ce qui se dessine a priori, c’est une décision au cas par cas, sans socle commun réglementaire.

Que pensez-vous de cette politique du « chiffre » en France ?

P. L. N. : Au vu de la ZEE de la France, c’est assez tentant de proposer de très grandes zones d’AMP qui font du chiffre pour montrer nos engagements. Mais ensuite, il faut gérer et ça demande de lourds investissements, des bateaux, des outils de surveillance… Le suivi du milieu marin est très complexe et coûte beaucoup plus cher qu’à terre. Aller surveiller l’environnement profond peut parfois s’apparenter à travailler sur Mars !

Mais c’est nécessaire pour établir une réglementation efficace en fonction de l’état du milieu : pour savoir, par exemple, si l’état à un instant T d’un écosystème est la résultante d’une pression, ou si c’est la respiration naturelle de l’écosystème. Donc, on tâtonne, on dit qu’on va interdire telle activité à tel endroit, mais forcément, on se retrouve face à des gens qui nous disent : “Pourquoi ? Prouvez-moi que mon activité a un impact”...

Quelles seraient vos recommandations en tant que scientifique ?

J. C. : Si on parle de la France, il faudrait avoir moins d’AMP, et adapter les réglementations aux impacts sur la biodiversité. Il existe des pratiques de pêche durables, donc il ne s’agit pas de ne plus pêcher, mais de pêcher de manière durable. Cela passe par une transformation du secteur, des filières, des sources d’approvisionnement, mais aussi par le fait d’adapter notre consommation de produits de la mer aux saisons.

Il existe des solutions gagnantes-gagnantes pour les écosystèmes et les usagers. En France, nous nous sommes engagés vers du tout-industriel dans la pêche. C’est un choix politique, mais le politique ne peut pas laisser la responsabilité de changer la société aux parcs marins, il faut aussi qu’il s’implique dans la transition.

Pour vous aussi, il faut changer ?

P. L. N. : Oui, sans doute, mais pour les professionnels, le souci, c’est la célérité du changement exigé. Dire pourquoi on va interdire le chalutage de fond sur 40 pour cent du littoral français et à terme abandonner cette activité, c’est assez simple, mais vu du Guilvinec, c’est une révolution ! Le chalutier artisanal bigouden était un modèle jusque dans les années 1990. Aujourd’hui, on constate, économiquement et environnementalement, qu’il va falloir faire autrement. Mais cela implique des mutations équivalentes à celle de l’abandon de la sidérurgie dans le Nord avec les traumatismes et les résistances qui en découlent…

Alors comment accompagner ces transitions ? En partageant les informations et en comprenant les enjeux de préservation. Nous discutons énormément dans un parc marin. J’ai lu récemment que les AMP étaient des endroits où l’on parlait beaucoup mais où l’on agissait peu : nous l’assumons, car nous voyons grâce à ces discussions évoluer les représentations et les comportements. Certaines zones très riches ou fréquentées par les mammifères marins sont collectivement identifiées et il ne viendrait plus à l’idée de personne de les dégrader.

Par exemple, au début des années 1960, nous avions 4 dauphins à l’île de Sein, 17 à la fin des années 1990 et, aujourd’hui, ils sont 41. Et quand je vois ce mammifère, je vois aussi le milieu et sa capacité à le nourrir – il a besoin de 5 pour cent de son poids par jour en poissons, et il pèse environ 500 kilos… ◼

ENCADRÉS

Les aires maritimes protégées en France

©SHOM/AAMP

En France métropolitaine et dans les territoires ultramarins, 565 aires marines protégées ont été établies selon des catégories différentes. Les parcs nationaux ou réserves naturelles ayant une partie maritime, à l’instar de celle des Terres australes françaises (TAF), couvrent 1,6 million de kilomètres carrés. Les réserves naturelles sont créées par un décret qui énumère toute la réglementation en vigueur sur la zone en question : pour les TAF, la pêche est autorisée (légine, langouste…), mais soumise à des quotas établis avec les chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle. La réserve naturelle nationale des Sept-Îles, gérée par la Ligue de protection des oiseaux (LPO), interdit la chasse dans un rayon d’un mille marin autour de la laisse de basse mer de l’archipel et le débarquement de personnes, sauf sur l’île aux Moines ; elle autorise en revanche la pêche ; une soixantaine de bateaux seraient coutumiers des eaux du nouveau périmètre, étendu l’année dernière – c’est désormais le deuxième de France après la Corse.

En ce qui concerne les parcs naturels, à l’instar de celui de la mer de Corail en Nouvelle-Calédonie, ou dans les neuf parcs naturels marins, des objectifs sont énoncés à la création, et la réglementation évolue en fonction des décisions prises par le conseil de gestion. Quant aux zones Natura 2 000, un statut européen qui représente une majorité des AMP françaises, elles visent à garantir le maintien de la biodiversité tout en permettant des activités commerciales et touristiques.

Les AMP peuvent aussi être des espaces soumis à des arrêtés de protection de biotopes, des zones de conservation halieutique, des domaines appartenant au Conservatoire du littoral… On trouve aussi dans les AMP des zones délimitées par la France en application de traités régionaux ou internationaux tels que la convention de Barcelone en Méditerranée (vingt-deux pays signataires) pour garantir la gestion durable de la biodiversité marine et côtière. Parmi les obligations, on trouve l’application des principes de précaution et du pollueur-payeur, la réalisation d’études d’impact environnemental ou la coopération scientifique et technologique. ◼ M. L.-C.

Le cas exemplaire des Philippines

©ARTESUB/ALAMY BANQUE D’IMAGES

Un article scientifique de CellPress, publié en mai 2023, rend compte du travail d’une équipe internationale de chercheurs qui a étudié deux cent dix-sept aires marines protégées. Dans 82 pour cent des cas, le succès des AMP tient aux régulations gouvernementales : protection légale, moratoire sur la pêche d’une espèce, mise au ban de polluants ; pour 11 pour cent, il repose sur des actions initiées par les industriels eux-mêmes – réduction d’activités trop polluantes notamment ; dans 8 pour cent des cas enfin, il est lié à la gestion par des ONG. La collaboration entre ces différents acteurs reste cependant la clé, alors que les échecs sont dus à une faible gouvernance et à une mauvaise définition des efforts de conservation.

Certaines aires marines protégées aux Philippines, créées dans les années 1970 et 1980 par la population et les gouvernements locaux, sont souvent citées en exemple pour la restauration des coraux et des populations de poissons. Dans un article de 2022 de la revue Écocycles, on apprend par exemple que dans la réserve intégrale de l’île d’Apo, la densité de poissons sur 500 mètres carrés est passée de 1 427 individus en 1985 à 3 899 en 1986. Sur l’île de Sumilon, une autre réserve totale, en quatorze ans, la diversité des espèces a été multipliée par quatre, tandis qu’à l’extérieur, elle n’a pas évolué. Dans un rayon de 200 milles des limites de ces aires marines protégées, les prises de pêche ont aussi été multipliées par quatre. En revanche, le succès de ces aires marines sur la population et la réduction de la pauvreté reste mitigé, mais elles reçoivent un bon accueil des communautés locales, habitants ou pêcheurs. ◼ M. L.-C.

Remettre les bassins versants au cœur du débat

©EMMANUEL BERTHIER/HEMIS.FR

Si la pêche est sans doute l’une des causes de la perte de la biodiversité, il ne faut pas, selon Philippe Le Niliot, oublier le rôle des bassins versants sur l’espace littoral et maritime. « On voit beaucoup la mortalité par pêche mais moins l’altération de l’espace halieutique et de la qualité de l’eau par les apports venant de la terre. En Bretagne, nous en avons une démonstration avec les algues vertes, liées au flux de matières azotées, conduisant à une eutrophisation qui peut atteindre les peuplements benthiques jusqu’à 20 mètres de profondeur. D’une manière générale, une AMP doit gérer non seulement les activités maritimes mais aussi plus globalement un appauvrissement du milieu. » Et d’ajouter qu’en baie de Douarnenez, on comptait une douzaine de marais rétro-littoraux au XVIIIe siècle, dans lesquels les petits poissons qui naissaient dans la baie venaient se réfugier. Aujourd’hui, il n’en reste plus que trois.

Mais le lien terre-mer, s’il est connu et vérifié par les scientifiques, se heurte encore à l’organisation administrative, car les décideurs du secteur maritime ne peuvent pas s’exprimer sur les affaires terrestres et vice versa. Récemment, cependant, une exploitation, proche de la baie de Douarnenez, qui souhaitait augmenter de neuf cents têtes un cheptel de dix mille porcs et porceletsn’a pas été autorisée à le faire à la suite de l’avis défavorable émis par le Parc naturel marin d’Iroise. ◼ M. L.-C.

La vision des comités des pêches

Quelle est la vision du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) sur la question des aires marines protégées ?

« Le secteur de la pêche n’est pas du tout réfractaire à la mise en place d’aires marines protégées, explique le CNPMEM. C’est une profession qui vit du bien-être du milieu. Mais nous préférons la voie de la concertation. Ce que la profession met en avant, c’est qu’il n’y a pas qu’une seule façon de protéger le milieu marin. Une panoplie d’outils “aires marines protégées” est à la disposition des pouvoirs publics afin de coller au mieux à la nécessité de protection de l’espèce ou de l’habitat concerné. On n’y autorisera pas non plus le même type d’activités : si une AMP est créée pour protéger les fonds rocheux, il n’y a aucun intérêt à aller interdire des engins qui ne sont pas du tout en contact avec ces fonds, comme les chaluts pélagiques.

« Nous insistons aussi sur la justification des mesures. Et, là-dessus, les pêcheurs jouent un rôle pour essayer d’avoir la réponse la plus ciblée possible face aux pressions exercées par la pêche professionnelle. Nous participons actuellement à la réalisation des analyses de Risque pêche, uniquement sur les zones Natura 2000 (la très grande majorité des AMP françaises), qui permettront d’évaluer, au cas par cas, quelle est la pression réelle de chaque engin de pêche sur les espèces et les habitats d’intérêts communautaires. En cas d’incompatibilité avérée avec la conservation d’un bon état écologique, la profession sera d’accord pour mettre en place des mesures proportionnées. Sur l’interdiction de la pêche au chalut de fond, par exemple, qui est également évaluée, si jamais une pression trop forte est prouvée à certains endroits ou sur certaines espèces, la profession sera d’accord pour prendre des mesures de gestion particulières, qui peuvent aller jusqu’à l’interdiction ou la réduction de la pratique de façon localisée et/ou temporaire en fonction du besoin.

« Mais si c’est pour interdire le chalutage de fond dans des zones qu’il n’y a aucun intérêt à protéger comme des fonds très vaseux ou sableux, des zones, qui ont l’habitude de voir passer des chaluts et ont une très bonne réponse à cette pression, cela n’a aucun sens. » ◼ M. L.-C.

Joachim Claudet et Philippe Le Nilliot

©CYRIELLE LAM
©OUEST-FRANCE

Joachim Claudet, titulaire d’une thèse sur les aires marines protégées et les récifs artificiels, est entré au CNRS en 2010, au Centre de recherches insulaires et d’observation de l’environnement (CRIOBE), qui travaille, entre autres, sur l’étude et la restauration des récifs et des écosystèmes marins et la gestion des systèmes socio-écologiques. Il est aussi membre de plusieurs groupes de travail et conseils internationaux autour de la question des aires marines protégées, comme le CIEM ou le comité consultatif de l’UICN.

Philippe Le Niliot, ingénieur écologue, a travaillé pendant dix ans dans les laboratoires de recherche spécialisés dans les sciences de la mer sur la thématique de l’exploitation des ressources. Il a ensuite rejoint le ministère de la Transition écologique et solidaire, pour être affecté à l’Office français de la biodiversité où il assure les fonctions de directeur délégué par intérim du Parc naturel marin d’Iroise, à la création duquel il a participé. ◼ M. L.-C.