Par Patrick Bigand – Après avoir construit un modèle de l’hydroplane Jupiter, conçu par l’américain Hal Kelly au milieu des années 1950, Patrick Bigand a mis sur cale l’original, documentant l’ensemble de ce chantier singulier, notamment de par les formes du bateau qui présente des œuvres vives destinées à le porter. Équipé du moteur que son architecte préconisait, By Jove !, mené par son constructeur, a atteint la vitesse de 39 nœuds et vise maintenant les 43 nœuds…
En 2013, des camarades du club de modélisme de Cergy-Pontoise, dont j’étais membre, avaient construit leur 152 VO (lire encadré) – un modèle réduit radiocommandé de hors-bord de course –, et j’ai voulu les suivre dans leurs épreuves amicales. Je me suis ainsi mis en quête d’un plan vintage chez Glen L Marine aux États-Unis, une entreprise spécialisée depuis 1953 dans la publication de plans et guides pour la construction amateur de bateaux à moteur comme à voile. Les articles de cette institution, publiés notamment dans Popular Mechanics, ont contribué à motiver des générations de constructeurs amateurs, y compris en France, où ils étaient régulièrement repris par la revue Système D dans les années 1950-1960.
La règle des 152 VO limitant la longueur du modèle grandeur à environ 3 mètres, j’ai recherché du côté des petits hydroplanes de course (lire encadré), les « pelles » comme on les appelle encore en France, un type de bateau dont l’originalité et le potentiel de vitesse m’intéresseraient. C’est ainsi que j’ai découvert Jupiter, un hydroplane de catégorie B Stock Hydro (le moteur doit avoir une cylindrée maximum de 328 centimètres cubes), dessiné par l’architecte et coureur américain Hal Kelly vers 1954 pour la construction et la course amateur.
Pour une quinzaine de dollars, j’ai obtenu le plan destiné à une exécution grandeur, plan que j’ai réduit à l’échelle 1/5,2 selon la règle des 152 VO pour construire le petit Jupiter qui s’est avéré très rapide, plus d’ailleurs que les autres bateaux du club Hippocampe de Cergy. Et, un jour où je le préparais pour naviguer, un ami auquel je racontais son histoire, en lui montrant le plan et des photos du modèle à pleine vitesse, m’a demandé pourquoi je ne construisais pas le « grand »… Pour finir de me convaincre, il me proposait d’en faire un lui-même pour des courses amicales.
Au milieu des années 1950, le moteur de choix pour un Jupiter était le Mercury Mark 20H, bicylindre deux temps – mélange à 6,25 pour cent d’huile – de 328 centimètres cubes, spécifiquement destiné aux hydroplanes de course de catégorie B, une mécanique produite de 1953 à 1956. L’arbre est ultracourt, environ 15 centimètres de moins qu’un arbre court standard. Donné pour environ 15 chevaux, le Mercury délivre en fait plus de 20 chevaux à près de 5 000 tours/minute, pour un poids guère supérieur à 30 kilos. Pas de point mort ni de marche arrière… c’est en avant ou rien !
Ce moteur, introuvable en France, je l’ai finalement déniché chez Aeroliners Race Boats en Floride, un spécialiste réputé. Le Mercury Mark 20H n’ayant pas de pompe à essence mais un réservoir à dépression avec deux durites allant au moteur – l’une pour l’essence, l’autre pour l’envoi d’air –, j’ai demandé à Aeroliner d’équiper le mien d’une pompe à essence, le réservoir d’origine ayant fait sensiblement grimper la facture.
L’accastillage du Jupiter est limité. Son volant est doté d’un moyeu large pour enrouler les deux drosses de direction que j’ai réalisées en Dyneema – un câble acier souple serait plus authentique –, drosses qui manœuvrent un palonnier en Inox fixé au moteur. La poignée de gaz à commande par câble et dispositif « homme mort » est une copie d’un modèle vintage. Cet accastillage a été trouvé d’occasion sur des sites Internet marchands, mais on peut aussi se le procurer neuf sur le site américain spécialisé Brown Tool and Machine Company.
J’ai appelé mon bateau By Jove !, un juron anglais « poli » remontant au XIXe siècle que les amateurs de la BD Blake et Mortimer connaissent bien. Jove n’est autre que le nom latin de Jupiter, le dieu des dieux. Comme en France on disait parbleu pour ne pas jurer avec le nom de Dieu, les Anglais disaient By Jove (« Par Jupiter ») pour éviter le sacrilège.
En ordre de marche, moteur compris, By Jove ! ne pèse qu’une centaine de kilos, ce qui facilite son transport – une remorque de dériveur suffit – et sa mise à l’eau. Les premiers essais ont lieu en octobre 2021 avec un résultat… mitigé. Le moteur fonctionne parfaitement mais le bateau est délicat à régler. Sur le groupe Facebook Strictly Race Antique Boats and Motors auquel je participe, je demande conseil aux nombreux passionnés et ex-coureurs qui s’y trouvent, notamment les frères Van de Veele, fondateurs d’Aeroliners Race Boats. C’est ainsi que j’apprends, à ma plus grande surprise, qu’une technique particulière doit être mise en œuvre pour faire partir un petit hydroplane au planning.
Du fait de son très faible volume arrière, une petite pelle à l’arrêt s’enfonce considérablement au tableau. Au démarrage, pour favoriser la poussée de l’hélice et sortir le cul de l’eau, le pilote doit porter son poids très en avant par-dessus le volant en mettant les gaz à fond. Alors, on sent nettement le début du planning au bout d’une centaine de mètres. Quand le moteur prend ses tours, c’est alors qu’il faut se reculer au maximum pour bien dégager le tunnel avant. L’assiette du bateau est alors presque horizontale, seules les arêtes des patins et l’extrémité du plan arrière, avec l’hélice, touchant l’eau. Mais ça, c’est si on a la bonne hélice, avec le bon angle et le bon enfoncement ! Ce qui n’était pas mon cas lors des premiers essais, une cavitation catastrophique limitant toute accélération…
En mai 2022, une troisième séance d’essai avec une hélice différente donne des résultats prometteurs. Cette hélice m’a généreusement été donnée par un Californien rencontré sur le groupe Facebook. Je lui ai envoyé deux kouign-amann pour le remercier ! Bien que prévue pour un autre type de moteur de course, un Yamato japonais, cette hélice de 7 pouces de diamètre (contre 6,75 pouces initialement) et 9,5 pouces de pas (contre 8,5 pouces auparavant) sera la bonne. Un coup de chance, car il existe un grand nombre d’hélices possibles, certains coureurs les faisant même faire sur mesure, par essais successifs en l’absence de recettes.
Avec cette hélice providentielle, j’atteins 32 nœuds, puis 36 nœuds en relevant le moteur pour un axe d’hélice à 28 millimètres sous l’afterplane, le plan inférieur arrière. En mai 2023, lors du rassemblement de bateaux de course vintage organisé à Rabodanges par le Cercle du motonautisme classique, j’ai pu atteindre 39 nœuds. Chose surprenante pour le néophyte que je suis, cette vitesse maximale est atteinte avec l’axe de l’arbre environ 23 millimètres sous l’afterplane, soit avec une partie de l’hélice de 17 centimètres de diamètre hors de l’eau, ce qui génère une gerbe d’eau verticale, dite rooster tail, en « queue de coq ». David Van de Veele, ancien coureur sur dinghies et hydroplanes à qui j’ai envoyé une vidéo du Jupiter à 39 nœuds, m’a d’ailleurs conseillé, au son du moteur, de relever encore le Mercury d’une poignée de millimètres pour gagner quelques centaines de tours/minutes. Objectif 43 nœuds !
Aller vite, oui, mais dans quelles conditions ? Eh bien le Jupiter, réputé être un bon bateau de plan d’eau « agité » – cela reste relatif ! – a un comportement très sain. Même par vent de face avec un clapot modéré, il reste bien à plat, y compris en virage où on ne constate pas de gros changements d’assiette latérale. Même si je sais que le danger potentiel de tous les hydroplanes est le retournement, si on lève le nez sur une vague à haute vitesse, vent de face, mes premières appréhensions disparaissent vite et je gagne en confiance. Mais il est vrai qu’à ce jour je n’ai pas navigué autrement que par vent faible ou modéré et eau calme.
En revanche, la position du pilote – casque et gilet obligatoires ! –, à genoux, bras tendus, est assez fatigante. Certains montent des cales pour appuyer les pieds sur l’arrière ; il est alors impératif de bien recouvrir le fond de mousse pour éviter de se massacrer les genoux.
Les matériaux pour construire la coque de By Jove ! me sont revenus à environ 900 euros. Aucun outillage spécialisé n’est requis. Pour l’accastillage, si on choisit d’être dans l’esprit de ce qui se faisait à l’époque, il faut compter environ 400 euros. En achetant des équivalents locaux, italiens ou autres, on peut diviser cette somme par deux. Il me semble difficile toutefois de ne pas utiliser la poignée de gaz made in USA, véritable marqueur de ce type de petit bateau de course, avec un retour au ralenti par ressort si on lâche prise.
Si un coupe-circuit standard en cas d’éjection est bien sûr obligatoire, un contrôle à distance marche avant-marche arrière-point mort me semble en revanche superflu, d’autant que, si l’on utilise un moteur « moderne » qui en est pourvu, le pilote peut facilement atteindre l’embrayage en tendant le bras en arrière.
Le moteur Mercury Mark 20H par contre, le nec plus ultra, a représenté un investissement important. Si on le trouve relativement facilement aux États-Unis – il est rarissime en Europe –, son prix est élevé, environ 2 500 à 4 000 dollars, auxquels il faut ajouter les frais d’importation. Mais cette mécanique n’est pas une obligation. Pour environ 300 à 500 euros, on peut trouver facilement des moteurs compatibles sur les sites de petites annonces, tels l’Evinrude Fastwin 18 chevaux, le Yamaha 15 chevaux, ou le Johnson/Evinrude 9,9 boosté. Comme mentionné plus haut, il faut alors remonter le tableau d’environ 15 centimètres. En revanche, si on retient cette option, il vaut mieux être bon mécanicien, ou en connaître un, car ces moteurs ne sont pas destinés à la vitesse et il sera difficile d’atteindre avec le potentiel maximum d’un Jupiter.
©Collection Patrick Bigand
©Henri Thibault
©Henri Thibault
L’immatriculation de By Jove ! auprès des Affaires maritimes s’est faite sans problème avec le dépôt d’un dossier de construction amateur. Ce certificat est venu conclure un projet que j’ai trouvé passionnant, à la fois par le plaisir de recréer un petit bateau de course « classique » mais inhabituel, par les rencontres qu’il a permises, et enfin par tout ce que cette construction m’a appris. Au final, j’ai découvert un bateau et une pratique beaucoup plus complexes et exigeants que je ne l’imaginais, ainsi que toute une communauté prête à aider, aussi bien aux États-Unis qu’en France, avec notamment le Cercle du motonautisme classique que je me dois de remercier. ◼