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Le HMS Challenger, propulsé à la voile et à la vapeur, mène un voyage d’exploration depuis trois ans quand il découvre l’un des points les plus profonds de la fosse des Mariannes en 1875. © Smith archive/Alamy Banque D’Images

Par Catherine Vadon – Il y a 150 ans, la corvette britannique HMS Challenger, en expédition autour du monde pour étudier les espèces et les grands fonds marins, découvre par hasard le point le plus profond des océans, la fosse des Mariannes. Plusieurs missions viendront plus tard l’explorer grâce à des sous-marins et des robots toujours plus performants. Elle recèle encore pourtant bien des mystères…

Dix kilomètres… Sur terre, c’est la distance d’un footing ou d’une balade en vélo. Mais en matière de profondeur, dans les océans, c’est une autre histoire ! S’y aventurer exige des compétences, des technologies, de l’ingéniosité et un sacré courage. Alors que des milliers d’alpinistes ont gravi l’Éverest, seuls quelques humains sont descendus dans les plus grandes profondeurs océaniques.

Tout commence le 23 mars 1875, à la station 225 de l’expédition du HMS Challenger, au cours de sa traversée entre la Nouvelle-Guinée et le Japon. Ce jour-là, la ligne de sonde n’en finit plus de se dérouler, avant de marquer une profondeur encore jamais atteinte durant l’expédition, ni nulle part ailleurs : plus de 8 000 mètres ! Par 11° 24’ N et 143° 16’ E, à quelque 350 kilomètres de l’île de Guam, l’expédition vient de faire une découverte historique : l’extrémité sud de la fosse des Mariannes.

Propulsé à la voile et à la vapeur, le Challenger est parti trois ans plus tôt pour un grand voyage d’exploration qui marque le début de la science océanographique des abysses. Doté des appareils les plus perfectionnés, mis à sa disposition par la Royal Society et l’Amirauté britannique, il réalise une formidable collecte de mesures et d’espèces profondes encore insoupçonnées, prouvant sans conteste l’existence d’une vie abyssale diversifiée. En quête d’arguments pour la récente théorie de l’évolution émise par Charles Darwin, l’équipe scientifique, dirigée par le naturaliste Charles Wyville Thomson, se demande si les froides profondeurs pourraient servir de refuge à des lignées archaïques, constituées de fossiles vivants, qui auraient peu, ou pas, évolué depuis les lointains temps géologiques.

La sonde cessa sa descente à 8 183 mètres, profondeur officiellement enregistrée

Le sondage est aussi l’une des plus grandes contributions du Challenger à l’océanographie. À chaque station, les voiles sont ferlées, et le navire est amené face au vent. Il se maintiendra dans cette position grâce à la seule vapeur pour plus de stabilité pendant toute la durée des prélèvements. Les marins préparent ensuite le matériel de sondage : un long bout en chanvre tressé, doté de marques tous les 45 mètres (25 brasses), d’une résistance à la rupture de 700 kilos, sur lequel sont fixés des manomètres et des thermomètres. Les mesures de température permettront en effet de formuler des théories sur la circulation globale des courants océaniques. Cette ligne de sondage, mise à l’eau depuis une passerelle aménagée au-dessus du pont principal du Challenger, passe par une poulie accrochée à la vergue de misaine et comprend un ensemble de quarante bandes en caoutchouc de 90 centimètres de long, dont le rôle est d’amortir les mouvements de tangage et de roulis du navire.

À gauche, la ligne de sondage est attachée à la vergue de misaine pour être mise à l’eau. Elle comprend les sondes de Baillie (au milieu) et un dispositif muni de bandes de caoutchouc qui amortit les mouvements du navire (à droite). © The Voyage of HMS Challenger Narrative, vol. 1

Comme ils s’attendent à atteindre une profondeur de plus de 1 000 brasses – soit 1 800 mètres –, les marins du Challenger délaissent la traditionnelle ligne de plomb, qui n’est alors plus assez lourde pour descendre à la verticale, et utilisent un appareil de sondage perfectionné, mis au point par le lieutenant de navigation C. W. Baillie en 1872 : quand cet appareil touche le fond, un mécanisme astucieux le déleste automatiquement de ses plombs et la tige de sondage remonte, remplie de précieux échantillons de sédiments. C’est cet appareil qui plongera au niveau de la fosse des Mariannes. Ce 23 mars « à 5 h 15, on raccourcit et on ferle les voiles. À 6 heures, on fait route à la vapeur », puis le navire s’arrête.

Le rapport de mission précise que « comme on ne s’attendait pas à une telle profondeur », la ligne de sonde est lestée de – seulement – 150 kilos. Une fois qu’elle est mise à l’eau, les marins notent, comme à l’accoutumée, toutes les 100 brasses, l’heure et la quantité de ligne évidée. À partir de 3 600 mètres, c’est toutes les 50 brasses, puis dès 5 400 mètres, toutes les 25 brasses. Soudain, la ligne de sonde et les accumulateurs se détendent : les poids se sont détachés, le fond a été atteint. On annonce 8 366 mètres pour la première estimation ! Mais « l’officier de quart soupçonne qu’un fort courant a pu arracher la sonde » et l’équipage essaie à nouveau, cette fois avec un poids de 200 kilos. La sonde cesse sa descente à 8 183 mètres et c’est cette profondeur qui sera enregistrée officiellement. Les deux thermomètres ont en revanche explosé à cause de la forte pression. Le tube de sondage rapporte un peu de vase composée de micro-organismes à squelette siliceux et de quelques fragments de pierre ponce volcanique et de manganèse.

Un second Challenger mesure une profondeur de 10 865 mètres, grâce à un échosondeur

En 1952, soixante-seize ans après sa découverte, la fosse des Mariannes est explorée par un autre navire de la Royal Navy, le navire océanographique HMS Challenger II, qui a embarqué du matériel pour effectuer des sondages par réfraction sismique, à l’aide de bouées soniques, ou acoustiques. Cette méthode permet de calculer la profondeur en mesurant le temps de déplacement d’une onde sonore, dont on sait que dans l’eau elle se propage à environ 1 500 mètres par seconde. Cette technique permet en outre de fournir des informations sur la nature des fonds et d’en dessiner les profils.

Équipées d’hydrophones, les bouées soniques sont larguées et récupérées à l’aide d’un mât de charge, bien que leur grande taille et leur poids d’environ 100 kilos les rendent peu pratiques à manipuler sur le pont. La source de l’onde provient de l’explosion d’une grenade de 22 kilos de TNT, déclenchée à 300 mètres de profondeur. La pratique consiste à déclencher ces explosions tous les 2 milles, alors que le navire se maintient sur un cap stable à vitesse constante en s’éloignant d’une ligne de quatre bouées, jusqu’à une distance d’environ 16 milles.

Le HMS Challenger II, de la Royal Navy, repart explorer la fosse des Mariannes en 1952. © Piemags/archive/military / Alamy banque d’images

À bord du Challenger II, c’est Thomas Gaskell et John Swallow, des géophysiciens, qui mettent à l’eau puis relèvent l’équipement sismique. L’officier de quart note le temps de retour des échos qui s’allonge ou se réduit à mesure que les plaines et les chaînes de montagnes du fond de l’océan s’abaissent ou s’élèvent. Quand ils croisent au-dessus de la fosse des Mariannes, on signale une sonde à 10 356 mètres. Mais comme l’échosondeur n’a pas assez de puissance au-delà de cette profondeur, l’équipage va devoir improviser. Les hommes immergent un câble en acier tendu lesté de « 140 livres de ferraille », qui mettra une heure et demie pour toucher le fond. La profondeur atteinte est de 10 870 mètres, par 11°19’N et 142°15’ E – une position d’une précision remarquable, à quelques centaines de mètres près, obtenue grâce à la navigation aux étoiles et au système loran-a (Long Range Navigation). En escale en Nouvelle-Zélande, l’équipage améliore les capacités de l’échosondeur au chantier naval d’Auckland. Les relevés effectués perpendiculairement à l’axe de la fosse des Mariannes mesurent cette fois une profondeur de 10 863 mètres, identifiée plus tard comme le bassin ouest du point Challenger Deep – ainsi nommé en hommage aux deux navires qui l’ont découvert.

Janvier 1960, à 8 h 23, le Trieste, sous-marin habité, commence à couler

Huit ans plus tard, l’historique Deep Dive, menée à bord du bathyscaphe Trieste, est l’un des plus périlleux voyages jamais entrepris. Le 23 janvier 1960, le Suisse Jacques Piccard et le lieutenant Don Walsh de la marine américaine s’apprêtent à plonger vers le Challenger Deep dans le cadre du projet Nekton de l’us Navy, dont l’ambition est de « conquérir » les plus grandes profondeurs océaniques. Conçu par Auguste Piccard, l’inventeur du ballon stratosphérique à hydrogène, le Trieste est composé d’une sphère habitable en acier, résistant à une pression d’au moins 123 mégapascals – soit 1 213 atmosphères. Elle est suspendue à un « ballon », un flotteur ovale de 15 mètres de diamètre, compartimenté en plusieurs réservoirs remplis d’essence d’aviation, très légèrement compressible et plus légère que l’eau de mer.

Le Trieste est hissé hors de l’eau par une grue flottante lors d’essais dans la région de San Diego, en Californie. © National Archives

Le flotteur est percé d’un orifice dans sa partie inférieure pour y laisser entrer l’eau, non miscible avec l’essence, de façon à équilibrer la pression lors de tout changement dans le volume de l’essence. Utilisée comme ballast, de la grenaille de fer remplit deux silos de part et d’autre de la sphère. Elle est retenue ou relâchée à volonté par des électro-aimants. Deux réservoirs d’eau servent également de lest.

Remorqué depuis la base militaire américaine de l’île de Guam, le Trieste est mis à rude épreuve par le mauvais temps et les paquets de mer qui mettent plusieurs de ses instruments hors d’usage. Comme les pièces de rechange ne sont pas disponibles, les deux plongeurs devront s’en passer. Le Lewis, le navire d’escorte, retourne au point le plus profond de la fosse des Mariannes localisé par Challenger II. Piccard et Walsh se glissent dans la tour d’entrée du Trieste, haute de 4 mètres et large de 60 centimètres, pour pénétrer dans la sphère de 1,80 mètre de diamètre, remplie d’instruments et de bouteilles d’oxygène. Ils en verrouillent l’écoutille. À 8 h 23, les ballasts se remplissent d’eau de mer, et les 150 tonnes du Trieste commencent à couler.

À 10 060 mètres, Piccard plaisante : « Vous pensez que nous avons raté le fond ? »

Vers 3 000 mètres, Walsh repère ce qu’il appelle « une vieille connaissance », un minuscule goutte à goutte. Mais, comme il le prévoyait, la pression croissante resserre le joint et la fuite se colmate. Presque simultanément, les deux hommes perdent le contact vocal avec la surface et doivent désormais se contenter d’envoyer des séries de signaux acoustiques concis. À 4 050 mètres, ils dépassent le précédent record de plongée, établi en 1954 par le valeureux commandant Georges Houot et l’ingénieur Pierre Willm à bord du submersible FNRS-3 au large de Dakar. À l’approche des 9 000 mètres, un puissant craquement secoue le Trieste : le grand hublot en plexiglas de la tour d’entrée s’est fissuré, mais Piccard et Walsh ne le savent pas…

Jacques Piccard et Don Walsh dans la sphère de Trieste en 1960. © National Archives

À 10 060 mètres, ils allument leur sondeur mais rien ne s’affiche. Piccard, faisant preuve d’un rare sang-froid, plaisante : « Vous pensez que nous avons raté le fond ? » À 13 h 06, le Trieste atterrit sur un lit de vase, propulsant un épais nuage opaque. Le manomètre indique 1 156 atmosphères, soit 10 916 mètres sachant que les 16 derniers mètres sont « terriblement théoriques ». Cette profondeur, dérivée de la pression, sera plus tard quelque peu remise en cause par les technologies modernes. Dans la lueur des projecteurs, Piccard entrevoit ce qui lui semble être un poisson, à un endroit où la pression aurait dû l’écraser à raison d’une tonne par centimètre carré !

Après 20 minutes, le Suisse largue 2 tonnes de ballast pour entamer la remontée du Trieste qui, au bout de 3 heures et 15 minutes, franchit glorieusement le miroir argenté de la surface. Les observateurs applaudissent quand ils aperçoivent le pont orange et blanc du bathyscaphe. Mais comme aucun des deux hommes n’en sort, l’inquiétude grandit. À bord du Trieste, Piccard et Walsh constatent que la tour d’entrée est remplie d’eau, à la suite de la fêlure du hublot, ce qui les empêche de sortir de la sphère. Ils parviennent finalement à la vider en y insufflant de l’air sous pression. Sans perdre de temps, ils montent sur le pont, claquant des dents après des heures passées dans la sphère glacée, juste au moment où deux avions de la Marine passent en trombe au-dessus d’eux en guise de félicitation.

L’expédition pionnière du Trieste témoigne ainsi de l’existence de la vie au fond du Challenger Deep et prouve qu’on peut y descendre. Le président américain Eisenhower décernera à Piccard le Distinguished Public Service Award et à Walsh, la Légion du mérite, pour leur exploit.

James Cameron plonge à nouveau dans le Challenger Deep en 2012

Par la suite, la fosse des Mariannes sera visitée par des robots (lire encadré), mais aussi par quelques courageux humains à l’instar du cinéaste canadien James Cameron, passionné par les grands fonds qu’il a magnifiquement mis en scène dans ses films Titanic et Abysses. Le 26 mars 2012, en partenariat avec la National Geographic Society et la firme Rolex, et avec l’appui de la Scripps Institution of Oceanography, Cameron descend en solo dans son submersible DeepSea Challenger au fond du bassin oriental du Challenger Deep.

Large de 2,30 mètres, haut de 7,30 mètres et pesant 12 tonnes, le DeepSea Challenger plonge à la verticale et en rotation pour ne pas dévier de sa trajectoire dans l’immense colonne d’eau. Pendant la descente, 550 kilos de billes en acier sont progressivement largués grâce au système d’électro-aimants. Son submersible vert pomme a été construit par l’équipe de l’ingénieur australien Ron Allum qui a mis au point une mousse composée de microbilles de verre remplies d’air, suspendues dans une résine époxy. Appelée IsoFloat, ce matériau offre à la fois une forte résistance à la pression et une flottabilité positive. Le submersible peut ainsi emporter davantage d’équipements électroniques qu’une coque en métal, plus lourde. Cameron, revêtu d’une combinaison sous vide chauffée électroniquement, se tient recroquevillé dans la sphère exiguë de 1,09 mètre… claustrophobe s’abstenir ! Il dispose de trois écrans de contrôle vidéo et d’un tableau de bord tactile. Actionné par un joystick, un bras manipulateur peut collecter roches et spécimens.

Mis à l’eau depuis son navire, le Mermaid Sapphire, il met 2 heures et 37 minutes pour atteindre le fond à 10 908 mètres (avec une marge d’erreur de plus ou moins 3 mètres), et l’explore pendant 2 heures et 34 minutes. « C’était parfaitement lunaire, un lieu de désolation totale, racontera Cameron. J’ai eu le sentiment d’être entièrement coupé du reste de l’humanité. » Après s’être propulsé sur 1,5 kilomètre par ses hélices, le DeepSea Challenger subit plusieurs dysfonctionnements, dont une fuite hydraulique du bras téléguidé, ce qui incite Cameron à remonter. Les images 3D haute résolution et les échantillons prélevés révèlent une abondance de crustacés, la présence d’étranges holothuries translucides et des dizaines de milliers de micro-organismes. Après sa descente historique, et une douzaine d’autres moins profondes dans le Pacifique, Cameron lègue le DeepSea Challenger à la Woods Hole Oceanographic Institution (Massachusetts).

Un submersible commercial pour une profondeur illimitée

De décembre 2018 à août 2019, l’expédition Five Deeps est menée par Victor Vescovo, ancien commandant de l’us Navy et richissime fondateur de la compagnie américaine Caladan Oceanic qui développe des technologies de plongées profondes. Le défi de « l’intrépide Texan à la queue de cheval » est de descendre dans les plus importantes fosses du monde : Porto Rico (8 376 mètres), Sandwich du Sud (7 434 mètres), Java (7 192 mètres), Challenger Deep (10 925 mètres), Molloy dans l’Arctique (5 550 mètres). Construit par la société Triton Submarines, son Limiting Factor est capable de descendre jusqu’à 11 000 mètres, ou plus, avec deux personnes à bord et une autonomie de seize heures. Il mesure 4,60 mètres, sa coque en alliage de titane pèse 12,5 tonnes et il est mis à l’eau par le DSSV Pressure Drop (Deep Sea Support Vessel, « navire de support pour plongée profonde »), dont l’équipage suit, seconde par seconde, chacune des plongées. Entièrement financées par des fonds privés, ces expéditions relèvent le défi de développer un véhicule permettant des voyages reproductibles quand aucun des submersibles précédents n’a fait le voyage plus d’une fois à une telle profondeur.

Les Mariana Dives 1 à 5 ont lieu du 28 avril au 5 mai 2019. Avant de procéder aux plongées, les environs de la fosse sont cartographiés depuis le navire Pressure Drop avec un échosondeur multifaisceaux. Les données obtenues, d’une précision inégalée, permettent de planifier chaque plongée. Le Challenger Deep se compose ainsi de trois dépressions le long de l’axe de la fosse des Mariannes, nommées bassins est, central et ouest. Le 28 avril 2019, Victor Vescovo plonge en solo au fond du bassin ouest, zone la plus profonde désormais confirmée, à 10 935 mètres (avec une marge d’erreur de 6 mètres), et l’explore pendant 3 heures et 4 minutes.

Le 5 mai, le Limiting Factor reçoit la première certification de l’histoire pour un submersible commercial à une « profondeur illimitée », accordée par la société de classification DNV GL. Invités lors de ces Five Deeps, quelques scientifiques, comme Alan J. Jamieson de l’université de Newcastle (Royaume-Uni), récupèrent de nombreux échantillons et données de pression, température et teneurs en particules. Encore très difficilement accessibles, ces grandes fosses intéressent passionnément les chercheurs : peut-être détiennent-elles en effet des clés biologiques qui nous renseigneraient sur l’origine de la vie sur notre planète… ◼

ENCADRÉS

Dans les profondeurs hadales

La zone hadale désigne les profondeurs océaniques de plus de 6 000 mètres. D’après les traditions antiques, Hadès était le dieu des enfers, confiné dans ses demeures ténébreuses situées par-delà les limites de l’océan, dans la région du soir que le soleil n’éclaire jamais. Ces profondeurs sont caractérisées par une obscurité permanente, des températures de 1 à 2 degrés Celsius, un faible approvisionnement en nourriture, une grande instabilité géologique et des pressions hydrostatiques colossales : la pression augmentant d’une atmosphère tous les 10 mètres, elle atteint au fond du Challenger Deep jusqu’à 1 100 fois celle qui s’applique sur nous à la surface de la Terre !

Source : Océans et mers du monde

Les profondeurs hadales concernent une trentaine de grandes fosses identifiées dans le monde, dont les neuf plus profondes se répartissent le long de la ceinture de feu du Pacifique. Les plaques tectoniques, qui composent l’enveloppe externe de la Terre, s’éloignent ou convergent les unes vers les autres. Lorsque deux plaques entrent en collision, la plus ancienne, plus dense, s’incline sous la plus légère, et poursuit son déplacement dans le manteau terrestre : c’est le phénomène de subduction. Les fosses qui en sont issues sont longues et étroites, avec des sections transversales en forme de V. Celle des Mariannes est une entaille en forme de croissant de plus 2 550 kilomètres de long et 70 kilomètres de large en moyenne, formée par la plaque Pacifique qui descend sous la plaque Philippines, un phénomène qui a commencé à l’Éocène, il y a environ 50 millions d’années. C. V.

Un Monument national marin

Ce phénomène libère une énergie titanesque à l’origine de tremblements de terre et de glissements de terrain sous-marins qui, à leur tour, génèrent des tsunamis. L’installation future d’instruments à demeure sur le fond pourrait sauver des vies grâce à la modélisation prédictive.

En 2009, en reconnaissance « du patrimoine biologique, écologique, géologique et culturel unique des terres, des eaux et des terres submergées » de la fosse des Mariannes, le président américain George W. Bush a instauré le Monument national marin de la fosse des Mariannes d’environ 240 000 kilomètres carrés. Il comprend le deuxième point le plus profond, le Sirena Deep, à environ 10 670 mètres de profondeur. C. V.

Une barrière à 8000 mètres pour les poissons

En-dessous de 8 000 mètres, les films obtenus par les atterrisseurs instrumentés montrent que leurs appâts attirent de nombreux habitants des profondeurs dans le champ de la caméra. Il s’agit principalement d’essaims grouillant de petits crustacés amphipodes, cousins des puces de mer. Actifs charognards, ils viennent s’agréger par grappes sur les appâts et les dévorent. En revanche, aucun poisson ne s’est jamais montré, en raison d’une intrigante « barrière » des 8 000 mètres qui proviendrait de la limite de fonctionnement du système de résistance à la pression des poissons, en l’occurrence l’oxyde de triméthylamine (TMAO), un stabilisateur de protéines présent dans leurs cellules. Les poissons-escargots (famille des Liparidés) sont les plus profonds qu’on ait trouvés, à 8 138 mètres. Ils présentent un corps blanchâtre recouvert de mucus gélatineux, une peau translucide, des os flexibles et un crâne pas complètement fermé permettant l’égalisation de la pression interne et externe. C. V.

Des robots en exploration

Des robots sous-marins télécommandés (ou ROV, Remotely operated vehicle, « véhicule opéré à distance ») ont brièvement visité le Challenger Deep. Largement instrumentalisé, un ROV est relié à son navire de soutien par un câble à fibre optique, d’environ 10 kilomètres de long, qui lui fournit l’énergie électrique, et qui permet au ROV de renvoyer à son équipe scientifique, en temps réel, les vidéos de l’environnement qu’il explore. Le ROV Kaikô de l’Agence japonaise pour les sciences et technologies marines et terrestres (JAMSTEC) aurait atteint une profondeur de 10 924 mètres en 1998.

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Conçu en 2009, le robot américain Nereus de la Woods Hole était hybride, fonctionnant sur une zone étendue sans attache comme un véhicule sous-marin autonome (AUV) et capable d’explorer et de cartographier le fond avec des sonars et des caméras, mais il pouvait être converti en ROV, avec imagerie et échantillonnage rapprochés. Il aurait atteint 10 903 mètres, mais les détails du calcul de la profondeur n’ont pas été publiés. En mai 2014, il a implosé dans la fosse des Kermadec.

Fin 2024, financée par la National Science Foundation, une équipe internationale téléguidait, depuis le navire de recherche Thomas G. Thompson de l’université de Washington, le ROV Jason avec le difficile défi de collecter des échantillons de roche dure sur la paroi intérieure de la fosse des Mariannes, près du Challenger Deep. C. V.