Luc Guerrillot, après avoir acheté Piccanin, l’a aussitôt mis en chantier au Guip (CM 163) pour une refonte sans concession. Remis à l’eau en 2002, le yacht navigue depuis presque tous les ans, bénéficiant d’un entretien soigné et réfléchi de la part de son propriétaire.
Émergeant de la toile de plastique blanc qui entoure son yacht pour le protéger de la poussière, sous le hangar du chantier Pors Moro à Pont-l’Abbé, Luc Guerrillot annonce fièrement qu’il vient d’achever, avec Francis Baton, ébéniste indépendant basé à Nantes, la restauration du rouf de Piccanin, plan Robert Clark de 1936 (CM 163). « Moi je suis la petite main, ajoute Luc avec un sourire, ça réduit les dépenses pour les travaux, mais c’est aussi et surtout un vrai plaisir de travailler avec un artisan. » Au chantier Pors Moro, en effet, Arnaud Pennarrun, patron depuis 2004, autorise les propriétaires à faire venir des artisans spécialisés pour s’occuper des bateaux en hivernage chez lui.
Pour les derniers travaux en date, commencés en 2019, puis achevés en juin dernier, Francis et Luc se sont donc attelés au rouf et aux hiloires de Piccanin. Pour reprendre l’étanchéité du rouf, Francis a posé un taffetas qu’il a ensuite imprégné à l’époxy. Luc s’est ensuite chargé des finitions, en appliquant les couches primaires, puis la peinture. Il a également, avec l’aide de l’ébéniste, refixé les mains courantes avec des vis Inox, les précédentes attaches en bronze étant pourries. Il a enfin posé des tampons pour dissimuler les têtes de vis. Les hiloires, également source d’infiltration, ont été décapés, puis Francis a plaqué et collé à l’époxy une feuille d’acajou tranché de 5 mm contre les hiloires d’origine.
Depuis vingt ans, pas de travaux sur la charpente
L’ébéniste n’en était pas à ses premiers travaux sur Piccanin. Lors de la première restauration réalisée par Luc, au Guip, de 1999 à 2002, il fait partie de l’équipe du chantier. Luc fait alors reprendre toute la structure de Piccanin, ainsi que les emménagements. Il change aussi le mât au Guip, mais préfère remettre à plus tard le reste du gréement et le pont. « Depuis, rien n’a bougé en dix-huit ans, précise Luc. On a bien dû reprendre en 2013 l’étanchéité de la râblure de quille ainsi que la jonction entre la quille et l’étrave, en calfatant, mais c’est tout. »
En 2013 toujours, souhaitant revenir au plan de voilure d’origine, avec yankee et trinquette à la place du génois, il se dote d’un nouveau jeu de voile, gréant le yankee sur enrouleur. Il en profite pour commander deux nouvelles bômes en spruce, pour la grand-voile et la trinquette. Plus tard, en 2017, Francis, passé entre-temps à son compte, refait les joints de pont au Sikaflex, et, l’année suivante, restaure les joints et les vis des claires-voies de rouf en aluminium.
À l’arrière du hangar de Pors Moro, sous l’abri juste devant la cale de mise à l’eau, le mât de Piccanin sèche après avoir été verni par Luc et son fils Nicolas. Luc met un point d’honneur à se charger lui-même de l’entretien courant de son bateau, souvent aidé de son fils, à qui il souhaite transmettre le bateau et les gestes pour l’entretenir sans surcoût majeur. « Je reprends les vernis du mât, des deux bômes et du pont tous les deux ans : après égrainage au papier 240, nous appliquons deux couches de vernis dilué à 5 pour cent, en laissant vingt-quatre heures entre chacune. » Outre cet entretien bisannuel, Luc applique tous les quinze à vingt ans dix couches de vernis sur les bois remis à nu, suivant un « protocole » établi avec l’expérience :
« Tout d’abord, je ponce et je décape avec des grains de tailles décroissantes, puis je passe la première couche de vernis, dilué à 50 pour cent. Cette opération peut prendre quelques heures, trois pour mon mât par exemple. Il faut ensuite attendre de seize à vingt-quatre heures maximum, afin que la couche suivante accroche bien. J’applique une deuxième couche diluée à 30 pour cent, et je laisse sécher pendant au moins quarante-huit heures avant d’égrainer au 180. J’applique ensuite huit autres couches, espacées chacune de vingt-quatre heures, en égrainant toutes les deux couches, et en diluant toujours moins le vernis. La dixième couche sera ainsi diluée à 5 ou 8 pour cent. C’est un travail qui se réalise sur plusieurs semaines, demandant juste quelques heures à dégager tous les jours. Évidemment, il faut s’y connaître un peu mais ça s’apprend ! Pour ma part, j’ai pris la main avec mon voile-aviron Aven. Francis ou les gars du chantier de Pors Moro me donnent aussi volontiers des conseils. »
Un bateau en bois n’engendre pas forcément de surcoût
Outre les vernis, Luc nettoie au début de chaque saison l’intérieur au produit anti-moisissure et dégraissant, et le pont à l’aide d’une brosse douce et d’un produit détachant et dégraissant suivi d’un dégrisant pour le teck. « Pour la finition, je mettais de l’huile de teck, mais je trouvais ça collant, alors cette année, j’ai appliqué un saturateur de bois. On verra si c’est mieux ! À part cela, je ne fais rien qui diffère vraiment de l’entretien des bateaux polyester. Beaucoup de gens semblent avoir un peu “peur” du bois, arguant que c’est trop cher. Depuis vingt ans, Piccanin me coûte 4 000 à 5 000 euros par an, sans compter l’assurance. Mais ce budget comprend les dépenses liées à l’hivernage, à l’électronique, à l’entretien du moteur, à l’accastillage ou à la reprise de quelques éléments d’intérieur, comme les housses de coussin… des dépenses communes à tous les types de bateaux. »
Francis partage cet avis et lui-même s’est engagé dans une démarche pédagogique avec les propriétaires pour qui il travaille : « Je m’occupe des travaux un peu techniques, et eux m’aident pour les manipulations du type décapage ou peinture, précise-t-il. Au-delà de la satisfaction pour le propriétaire, celui-ci apprend à mieux connaître son bateau. Il pourra ainsi repérer rapidement les éventuels points de faiblesse. Le bois est une matière vivante, il travaille tout le temps, et donc s’use et peut pourrir. C’est là que les coûts peuvent vite devenir conséquents. » Cette exigence n’effraie pas Luc Guerrillot. Au contraire, s’il est un plaisir qu’il affectionne tout particulièrement, c’est bien de bichonner son bateau – et d’en parler !
Ayant repéré des faiblesses sur quelques têtes de membrures à l’arrière, et souhaitant reprendre les cale-pieds, Luc prévoit pour l’an prochain un important chantier au Guip, qui lui coûtera sans doute autour de
20 000 euros. « Je ne dis pas qu’avoir un bateau comme ça ne coûte rien. C’est un budget, assurément, mais il y a des moyens de réduire les dépenses. » Un budget que le propriétaire valorise sans doute très bien par les nombreuses navigations qu’il effectue tout au long de la saison, en se rendant aux Glénan, à Groix, dans le golfe du Morbihan ou jusqu’à Brest plusieurs fois dans l’été. « Et puis, c’est si beau et agréable de naviguer sur un bateau tout en bois ! » • Maud Lénée-Corrèze