En ce frais printemps, la Loire, sortie de son lit, se drape dans un voile de feuillages vert tendre. À Cunault, non loin de Saumur, près de La Guinguette du hangar, une grande tente blanche attire l’œil : elle protège la carène de Val de Vienne, un chaland en chêne de 10 tonnes, qui dégage un effet massif. Appelé pillard, ce type de bateau était jadis utilisé pour transporter des marchandises pondéreuses sur la Loire (ardoises, tuffeau, vin…) jusqu’à Orléans aux portes de Paris. Mais lorsque Val de Vienne a été construit en 1989, aucun bateau de ce type ne naviguait plus sur le fleuve et il n’en existait pas non plus de plan.
On doit sa naissance à François Ayrault, l’un des pionniers du revival de la batellerie ligérienne, qui s’est inspiré d’une gravure montrant deux toues à la fin du XVIIIe siècle. Retraité de l’armée, François a confié cette image à d’anciens collègues qui, grâce au matériel de pointe dont ils disposaient, ont permis de préciser les cotes et de finaliser les plans. Guy Brémard, charpentier à Saint-Germain-sur-Vienne, a pris en main la construction. Lancé en 1989, le Val de Vienne, dont le nom évoque un affluent de la Loire, a aussi goûté l’eau de mer puisqu’il s’est rendu en 1992 aux fêtes de Brest, où il a reçu le prix du meilleur gréement. Avec Pascale-Carole et Montjeannaise, construits à peu près en même temps, mais qui ne naviguent plus, il marque le renouveau de la batellerie de Loire.
François Ayrault a sillonné la Vienne et la Loire avec son chaland avant de le confier à l’université François-Rabelais de Tours. D’abord utilisé comme bateau-école, il a ensuite servi aux étudiants pour réaliser des prélèvements sur le fleuve. En 2016, l’université l’a cédé pour un euro symbolique à l’association Jeanne-Camille du Thoureil, une commune aujourd’hui englobée dans Gennes-Val-de-Loire. Cette association est née en 1996 pour naviguer sur Jeanne-Camille, un fûtreau de 8,70 mètres, construit en 1995 ; elle veille depuis sur une réplique de toue sablière, Dame Jeanne, construite en 2006, et se plaît à promouvoir la navigation traditionnelle sur le fleuve à bord de ces deux embarcations.
Le chantier doit durer toute l’année
Elle est présidée par Pierre-Alexandre Lequeux, 36 ans, qui pratique la Loire depuis l’enfance en barque. Il est depuis passé par les Ateliers de l’Enfer de Douarnenez, avant de s’installer au pays comme menuisier ébéniste. Entouré de quelque 80 membres, de 23 à 72 ans, il souligne que si « la plupart sont des néophytes, tous sont de bonne volonté. On est la deuxième génération, il y a eu une passation des savoirs, et ça va peut-être continuer car j’ai amené plein d’enfants sur l’eau avec nos bateaux. Le plus jeune devait avoir à peine quelques semaines ! » D’autant qu’ils ont le sens de la fête, et que celle du Thoureil, organisée en avril avec tous les mariniers qu’ils connaissent, de Blois à Chalonnes, est très prisée…
Le Val de Vienne sera le navire amiral de leur flottille : long de 16,25 mètres sur 3,60 mètres de large, il cale 30 centimètres, arbore un mât de 18 mètres et une voile de 90 mètres carrés. Mais il a besoin de gros travaux… dont le coût frôle les 100 000 euros. En 2021, l’association a lancé un appel aux dons avec la fondation du Patrimoine ; la souscription, toujours en cours, et de nombreuses aides, dont des fonds européens, ont permis de lancer le chantier.
Celui-ci porte d’abord sur l’étanchéité de la coque : le fond en bois va être remplacé par des tôles d’aluminium, soudées entre elles et boulonnées à la membrure, comme le premier bordage – qu’on appelle bord sur les rives de la Loire. La partie en aluminium remontera un peu au-dessus de la flottaison et sera dissimulée par le bordage en bois suivant. Ce procédé, devenu assez courant, permet de réduire les coûts d’entretien en sortant moins souvent les bateaux de l’eau – une fois tous les dix ans. Car les coques en bois s’abîment rapidement sous l’effet abrasif du sable charrié par la Loire.
« Le chaland sera suspendu pour travailler sur la sole et on va renforcer et brider la structure pour qu’elle ne se déforme pas quand on va enlever le fond et le premier bord », explique Benoît Vasse, le charpentier de l’atelier du Triton, également passé par les Ateliers de l’Enfer, et chargé de ces gros travaux par l’association. Pour l’heure, aidé d’Antoine Leroy, un bénévole motivé, il enlève les centaines de boulons rouillés et tordus qui lient les râbles (pièces qui assemblent et structurent la sole) aux douces (planches du fond). Le gros bord (dernier bordage du haut), bien abîmé, sera en partie changé, ainsi que quelques couples. La cabane, placée sur le pont, sera ensuite restaurée, puis le mât et la piautre (le gouvernail) seront repris. Une nouvelle voile sera aussi confectionnée.
Le chantier, commencé en décembre dernier, doit durer toute l’année ; la mise à l’eau du chaland est prévue en décembre. Ce sera à n’en pas douter l’occasion d’une nouvelle fête placée sous les auspices complices des eaux de Loire et d’un gentil vin de pays…
Nathalie Couilloud
Publié dans Le Chasse-Marée 339 – Juin-Juillet