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Après La Vallée des Fous, où Jean-Paul Rouve court le Vendée Globe sans quitter La Forêt-Fouesnant, Jean-François Laguionie et sa scénariste Anik Le Ray racontent dans leur nouveau film d’animation, Slocum et moi, l’histoire d’un tour du monde dans un jardin. Surnommé Slocum par sa femme Geneviève et ses copains du bar de la Marine, Pierre est un paisible voyageur de commerce qui habite en banlieue parisienne, non loin de la Marne. Il a un fils adoptif, François, le narrateur du film. Devenu étudiant aux « arts appliqués », celui-ci rassemble ses souvenirs de la construction dans le jardin familial d’une réplique du Spray, le cotre sur lequel Joshua Slocum fit le tour du monde à la fin du xixe siècle.
Pour se rapprocher de son père, François se forge une culture maritime : il lit le récit de Slocum, Seul autour du monde sur un voilier de 11 mètres, sèche les cours pour se rendre au musée de la Marine, un lieu où le jeune Laguionie allait dessiner des bateaux. Sur le mur de sa chambre, une carte du monde remplace celle du tour de France cycliste. La passion de François anime le récit de Slocum, dont la circumnavigation représente un bon tiers du film. Les dessins de ce voyage rappellent l’esthétique minimaliste de L’Île de Black Mor (2004), l’histoire d’un pirate imaginaire pour laquelle Laguionie avait collaboré avec les regrettés Yvon Le Corre et Bruno Le Floc’h.
Slocum et moi raconte donc l’histoire de deux bateaux, celle du Spray et de sa réplique, dont le chantier avance lentement dans le jardin. La mer est quasi-absente de la vie des personnages, hormis un bref séjour en Normandie pour visiter une grand-mère hypocondriaque. Le film baigne dans l’ambiance des bords de Marne, avec ses guinguettes où l’on joue du jazz manouche. Une nuit, François découvre que ses parents ont déménagé dans le bateau. Il y cherche sa place et s’installe péniblement dans une couchette trop petite pour lui.
L’interminable construction du navire permet de ne pas répondre à l’épineuse question de son équipage. Qui part, qui reste : toute la famille, le père et le fils ou bien le couple, comme dans La Traversée de l’Atlantique à la rame, le court-métrage qui valut au réalisateur une Palme d’or à Cannes en 1978 ? Cette question n’est pas tranchée… Pour Pierre et Geneviève, l’important n’est pas de finir le bateau mais de nourrir leurs rêves de navigation, loin du quotidien pavillonnaire de la France d’après-guerre. Ce film familial, dans tous les sens du terme, est l’œuvre d’un « marin imaginaire », comme Laguionie se définit lui-même, qui apporte ici une contribution majeure à l’imaginaire marin, ses récits et ses images. Vincent Guigueno