©Facebook/L'Europe à la rame

Le 1er mai 2023, Christophe Gruault partait pour un périple de quarante-neuf jours à l’aviron sur vingt-deux fleuves d’Europe. Tout au long du voyage, de la Vistule à la Seine, en passant par le Notec, la Warta, en Pologne, l’Oder, la Füsterwalder Spree, le Dahme, la Sprée, l’Havel, le Rhin, en Allemagne, la Meuse, aux Pays-Bas, en Belgique et en France, l’Oise puis la Seine, et en traversant plusieurs grandes villes européennes, il a effectué quatre-vingt-neuf prélèvements d’ADN environnemental (ADNe) pour le Muséum national d’histoire naturelle. Cette technique de suivi de la biodiversité se base sur les traces d’ADN que laisse tout organisme vivant, végétal ou animal, via ses excréments, ses sécrétions, la perte ou le renouvellement de tissus, qui perdurent plus ou moins longtemps selon leur nature : un simple prélèvement d’eau permet ainsi d’identifier les espèces qui ont fréquenté un milieu. Cinq scientifiques du Muséum ont analysé les échantillons récupérés dès le retour du rameur le 19 juin 2023.
« Près d’un quart des espèces de moules d’eau douce inventoriées et un tiers de celles de poissons ne sont pas indigènes. Certaines n’avaient pas encore été observées dans les cours d’eau d’Europe, soulignent l’hydrobiologiste Vincent Prié, salarié de l’entreprise Spygen, spécialisée dans l’adne, et Éric Feunteun, écologue, lors de la présentation des résultats en mars dernier. Il y a une banalisation des communautés de poissons. Alors qu’on pouvait s’attendre à des différences de populations selon les bassins versants, on constate que certaines espèces sont présentes dans presque tous les sites. »
Par ailleurs, sur les douze espèces attendues de poissons migrateurs (saumon, anguille…), seulement cinq ont été identifiées, témoignant d’une sous-représentation de ces poissons amphihalins. L’écophysiologiste Jean-Baptiste Fini s’est penché sur ces changements : en ligne de mire, les polluants dont des résidus au-delà des normes ont été détectés sur la totalité des sites d’échantillonnage. Il s’agissait de traces de pesticides, dont un sous-produit du glyphosate, de composés chimiques ou de produits perturbant les hormones de la thyroïde et de la reproduction.
Le bilan est lourd, mais l’on retient cependant des points positifs : l’observation de quelques espèces rares – telle une bivalve découverte aux portes de Paris – et les pistes énoncées par l’hydrologue Charlène Descollonges pour prendre soin des rivières. Elle propose de ralentir le parcours de l’eau, ce qui la laisserait filtrer dans les sols. Il serait aussi possible de créer un parlement de l’eau, à l’image de ce qui s’est fait pour la Loire, et un droit d’exister pour les rivières, afin qu’elles ne soient plus considérées seulement comme des ressources à exploiter. M. L.-C

Publié dans Le Chasse-Marée 340 – Août-Septembre 2024