Il est loin, le temps où une sardine suffisait à boucher le port… Scientifiques et pêcheurs doivent en convenir : le poisson se ferait plutôt rare, et la taille moyenne des prises diminue drastiquement. Parmi les sept milliards et demi d’habitants à nourrir sur notre petite planète bleue, bien malin celui qui voit clair au fond des mers : le défi d’une meilleure gestion des pêches pose de bien épineuses questions écologiques, économiques, culturelles, humaines, et autres… Et comme en toute chose, plus c’est compliqué, mieux ça marche pour les charlatans simplificateurs. En particulier, s’agissant de la pêche, s’ils jouent sur l’émotion de ceux qui vivent éloignés du monde maritime… mais pas forcément des cercles de pouvoir !
Ce solide ouvrage de Didier Gascuel a pour premier mérite d’aborder ces questions de manière claire et rigoureuse, sans perspective réductrice. D’ailleurs, qu’on se le dise, malgré son titre, on n’y trouvera pas de solution miracle. Récusant la grille de lecture de la « tragédie des communs », qui voit le pillage irresponsable des ressources communes (non privatisées) comme une fatalité, il l’affirme : « S’il y a tragédie, c’est celle de la privatisation. » Hélas, la gestion de ces « communs » par les États et autres structures supranationales résulte trop souvent en surpêche, mesures contre-productives, fraudes ou « guerres du poisson » comme celle qui opposa les Islandais aux pêcheurs britanniques, appuyés par les canons de la Navy.
Pas de remède miracle donc, mais quelques principes humanistes de très bon sens, et un constat que l’on peut, ou non, partager : malgré les défauts qu’il dénonce chez nombre d’ONG environnementales, leurs financements opaques et leurs menées inavouables (CM 300), l’auteur ne voit guère que ce type d’organisations pour jouer auprès des États le rôle de « Jiminy Cricket » (vous savez, le criquet que Walt Disney a perché sur l’épaule de Pinocchio pour lui indiquer le droit chemin)… Paraphrasant les mots de Churchill sur la démocratie, Didier Gascuel écrit que « la représentation des générations futures par les ONG environnementales est le pire des systèmes… à l’exclusion de tous les autres. […] Si on veut rendre la gestion des pêches plus efficace, la désétatiser et la confier à des communautés locales d’utilisateurs qui en maîtrisent les tenants et aboutissants, il est indispensable d’internaliser cette pression permanente, d’en faire une composante directe du système de gouvernance. » En vérité, c’est comme si c’était fait. Mais qui se perchera sur les épaules de ces Jiminy Cricket pour leur servir, à eux, de conscience ?
Pour une révolution dans la mer – De la surpêche à la résilience, Didier Gascuel, Éd. Actes Sud, « Domaine du possible », 540 p., 25 €