Le cargo à voile Juren Ae est entré le 24 juillet dans l’atoll de Majuro, capitale des îles Marshall, après un périple de 3 500 milles et vingt-trois jours de mer depuis la Corée du Sud. Sorti du chantier coréen Asia Shipbuilding Co., ce navire en acier va former des marins et surtout ravitailler les soixante mille habitants des îles et atolls du pays éparpillés au cœur du Pacifique.
Commandé par la coopération allemande (GIZ), dans le cadre d’un projet de lutte contre le réchauffement climatique, et financé par le ministère de l’Environnement de ce pays, il vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’archipel en exploitant les alizés locaux. La République des îles Marshall s’est, en effet, engagée à réduire les émissions du transport maritime intérieur de 40 pour cent en 2030, par rapport aux niveaux de 2010, avant de décarboner entièrement ce secteur d’ici 2050.
Plusieurs partenaires ont travaillé sur le projet : l’université de sciences appliquées d’Emden/Leer (réflexion sur le navire et conception), le cabinet SDC Ship Design & Consult de Hambourg (conception de l’appel d’offres), et le Briese Research de Leer (supervision du chantier).
Le Juren Ae, qui porte le nom d’une pagaie servant à diriger une pirogue traditionnelle, est un navire de 48 mètres de long sur 8,70 mètres de large, calant 2,70 mètres, jaugeant 290 tonnes de port en lourd, et pouvant charger 600 mètres cubes de fret. Il est armé par huit marins et peut embarquer douze passagers. Son gréement d’une surface de 500 mètres carrés, composé de trois mâts et de quatre voiles sur enrouleur, dont deux rectangulaires, s’inspire de l’Indosail mis au point à la fin du xxe siècle par l’architecte naval Peter Schenzle. Celui-ci a conçu un modèle performant, facile à construire et simple à manœuvrer en équipage réduit, afin de développer le fret à la voile entre les îles indonésiennes.
Peter Schenzle explique qu’il a conçu ce système en s’inspirant des ponts suspendus, la bôme et la corne jouant ici le rôle des piliers, tandis que le hale-bas, le hale-haut et la chute reprennent le rôle des câbles de suspension. L’architecte précise qu’on sépare ainsi les fonctions de contrôle du profil horizontal et de la torsion verticale. Avant le Juren Ae, l’Indosail a équipé le cargo Maruta Jaya 900, puis le Rainbow Warrior II de Greenpeace.
Michael Vahs, de l’université d’Emden/Leer, qui a dirigé l’équipe d’exécution technique, explique que ce concept cochait plusieurs cases : « de très bonnes performances aérodynamiques, une conception simple et robuste, de faibles investissements et coûts de maintenance, un bon potentiel d’automatisation ». Le navire devrait atteindre la vitesse de 12 nœuds sous voiles, et de 7 nœuds avec sa propulsion Diesel auxiliaire, en l’absence de vent, celle-ci servant aussi aux manœuvres de port. L’énergie du bord est en outre produite par des panneaux photovoltaïques et l’hélice de propulsion qui fait office d’hydrogénérateur sous voiles. Pierre Tanguy
Publié dans Le Chasse-Marée 341 – Octobre-Novembre 2024