
Depuis 2007, l’association Patrimoine maritime et fluvial (PMF), qui est présidée par Gérard d’Aboville, décerne chaque année le label Bateau d’intérêt patrimonial (BIP) à des bateaux qui témoignent d’un homme, d’un concept, d’une technique ou d’un événement – palmarès sportif, aventure, ou unité ayant pratiqué une activité révolue… Ce label BIP, à renouveler tous les cinq ans, confère plusieurs avantages aux navires, dont l’exonération de la taxe annuelle sur les engins maritimes à usage personnel et des tarifs préférentiels dans les ports. À ce jour, 1 764 bateaux ont été labellisés, une flottille qu’on peut retrouver dans une base de données sur le site Internet de PMF, mine d’informations exceptionnelle. Le Chasse-Marée a décidé de la valoriser en présentant désormais à chaque livraison le « BIP du mois », sélectionné par la commission PMF.
Pour ouvrir le bal, elle a choisi Sheila, un yawl de 9,45 mètres de long et 2,10 mètres de large. Il a été dessiné par Albert Strange en 1903, et lancé en 1907 par Robert Cain, charpentier de l’île de Man en Écosse, pour Robert E. Groves, alors étudiant à l’école d’art d’Albert Strange. « Il croise avec Sheila dans les Hébrides et en mer d’Irlande pour démontrer qu’un gentleman pouvait naviguer seul, sans marin, sur un 4 tonneaux, raconte Éric Philippot, propriétaire actuel du yawl. Beaucoup de gens pensaient qu’il n’était pas raisonnable, mais les récits illustrés de Robert Groves, publiés dans Yachting Monthly de 1906 à 1910, ont eu du succès. Et Sheila participe à quelques régates, même si elle est avant tout un bateau de croisière. »
Pas d’électronique, pas de moteur…
L’artiste s’en sépare pour se faire construire un Sheila II, toujours sur plan Albert Strange, et le premier du nom est convoyé à Dublin par son nouvel acquéreur, Patrick Walsh. Alors que le yawl doit être réparé après avoir été endommagé lors d’une tempête en 1914, son propriétaire en profite pour augmenter le tirant d’eau de 25 centimètres. Patrick Walsh revend Sheila en 1920. « Elle a ensuite plusieurs fois changé de mains, ajoute Éric Philippot, mais, chose remarquable, un de ses propriétaires, James Y. Wilson, l’a rachetée trois fois de suite entre 1935 et 1957 ! » Ce dernier la gardera finalement jusqu’en 1977.
Sheila, acquise par un ami d’Éric Philippot, arrive en France en 2016, sans avoir subi de modifications. « C’est ce qui rend ce bateau si exceptionnel, précise Gérard d’Aboville. Sheila n’a pas de moteur, pas d’électronique, pas de toilettes. C’est un rare témoignage de la navigation du début du siècle dernier. » Éric Philippot a récupéré le yawl en janvier 2024 et navigue depuis la rivière d’Auray. « Je mène un assez gros chantier chez Loïc Siat depuis novembre, notamment sur l’arrière canoë, où il y avait des traces de pourriture : on a découpé toute la voûte avec l’étambot pour remplacer la structure en chêne, en veillant à ne pas endommager les virures en pin de Pensacola, en parfait état. » Les emménagements n’ont guère été modifiés et conservent leur marquetterie d’origine. Sheila devrait renaviguer dès la saison prochaine. M. L.-C.
Publié dans Le Chasse-Marée 343, février-mars 2025.