À bord de l’Odessa, un paquebot saisi pour dettes dans le port de Naples, sept marins rêvent de revoir la perle de la mer Noire. Nous sommes au début des années 2000. Dans l’attente d’un repreneur depuis cinq longues années, les hommes ne sont plus payés par la compagnie ukrainienne qui s’est substituée à l’état soviétique. Pour tuer le temps, ils évoquent avec nostalgie leur ville cosmopolite, sa synagogue, sa statue du duc de Richelieu (1766-1822), cet aristocrate émigré qui a rejoint l’armée russe pendant la Révolution et qui est devenu gouverneur d’Odessa.
La caméra des deux coréalisateurs, Leonardo di Constanzo et Oliviero Bruno, nés respectivement à Ischia et Torre del Greco, près de Naples, accompagne les jours et les nuits de ces marins oubliés. Formé à l’anthropologie à l’université L’Orientale de Naples, Leonardo di Constanzo a participé en 1988 aux stages des ateliers Varan, un lieu fondé par Jean Rouch quelques années plus tôt pour former, par la pratique, à la réalisation de documentaires. Fidèles au « cinéma direct » de Rouch, Di Constanzo et Bruno suivent leurs personnages, en particulier le capitaine Vladimir Lobanov, qui quitte régulièrement le bord pour assister aux marchandages autour de son navire. Il semble perdu dans le ballet des juges, des acheteurs potentiels et des avocats qui parlent fort, en italien ou en anglais, des scènes qui contrastent avec le silence du paquebot vide, souvent filmées en plans fixes.
Une vente intervient finalement et laisse entrevoir l’espoir d’un retour au pays natal. Mais la situation juridique des marins, fonctionnaires d’une compagnie ukrainienne disparue, déroute les syndicats italiens. Lobanov et ses marins assistent au départ de l’Odessa vers son port d’attache, tandis qu’ils doivent encore attendre à Naples le règlement des arriérés de salaires qui leur sont dus. L’un des marins, Anatoli, meurt pendant l’hiver suivant, deux jours avant son retour en Ukraine. Dans une scène poignante tournée à la morgue, le capitaine demande au cameraman de filmer le visage du mort pour sa famille. Deux autres marins sont déjà décédés dans des circonstances que Lobanov a consignées dans le livre de bord. La cinéaste Claire Denis a écrit : « Imaginez que Duras et Eisenstein aient fait un film ensemble, ça aurait pu être Les Sept Marins de l’Odessa ». Pour l’amateur de mer et de cinéma, le nom d’Odessa évoque la révolte des marins du Potemkine en 1905, filmée vingt ans plus tard par Eisenstein. Il peut désormais y associer ce film du « réel », sombre et juste, où Odessa s’inscrit en lettres cyrilliques à la poupe d’un navire.
Vincent Guigueno
« Les Sept Marins de l’Odessa » (2006), disponible sur la plateforme Tënk.