« Taxis de la mer ». C’est l’espèce de formule-choc frauduleuse dont un homme politique en mal de racolage a osé qualifier, avec un cynisme qui n’a plus grand-chose d’humain, les sauveteurs des naufragés des routes migratoires maritimes vers l’Europe. Comme bien des « coups de com’ », cette espèce de sale blague a laissé des traces, y compris sous la forme aseptisée – in english, please ! – du concept de « pull factor » : ce sont les sauveteurs qui attireraient les réfugiés, comme, c’est bien connu, les pompiers qui tirent profit de l’incendie ou les toubibs qui provoquent les épidémies…
Il faudra donc, inlassablement, comme s’y emploie Roberto Saviano, décrire les mécanismes de l’exil, en analyser la réalité et révéler les vrais visages de la migration. Ainsi les photographes sont-ils à l’honneur dans son livre En mer, pas de taxis, qui en appelle à la force du témoignage face au mensonge.
Il faudra, comme l’ont fait certains journalistes qui parlent ici, embarquer avec les migrants, avec les sauveteurs, et raconter… Il faudra tout reprendre pour comprendre cette longue chaîne, dont la traversée n’est qu’une étape, aussi cruciale fût-elle. Roberto Saviano le fait simplement, nettement, sans bavures, comme il l’a fait pour démonter les mécanismes du crime organisé dans Gomorra (2006). Alternant les explications factuelles, les entretiens avec les photographes et de nombreuses images de leurs reportages, ce livre dur n’est pas pour autant un album, un « beau livre », mais par sa franchise, son appel à l’intelligence du lecteur, à son humanité plutôt qu’à ses peurs, un livre beau. J. v. G.
> En mer, pas de taxis, Roberto Saviano,
Gallimard, 180 p., 25 euros