Quatre lycées maritimes français vont se doter de nouveaux bateaux- écoles dotés de propulsions nouvelles, à émissions réduites de gaz à effet de serre, financés par l’État. Entre l’hybridation électrique et thermique ou l’hydrogène, chacune avance ses arguments et défend ses choix.
« Avoir un bateau-école pour nos élèves est une nécessité pédagogique, mais ce n’est pas forcément évident : il faut de la place, un port, et cela représente un certain coût, notamment pour l’entretien », confie Sylvain Pelegrin, directeur du lycée maritime Paul Bousquet, à Sète. Ces supports pédagogiques permettent aux élèves en formation d’expérimenter, de mettre en pratique une partie des savoirs inculqués dans les différentes filières, et de s’essayer, surtout, à la navigation comme à la manœuvre. Au lycée de Sète, ils disposent de neuf navires, naviguant principalement sur l’étang de Thau : barge conchylicole, bateau de plaisance, vedette polyvalente, semi-rigide, barque à rame…
À partir de mars 2023, une unité neuve viendra remplacer l’un de ces navires, celui destiné aux formations de pêche notamment, qui arrivait au terme de sa carrière. « Nous avons profité du plan de relance FranceAgriMer pour financer ce nouveau bateau à la propulsion moins émettrice, explique Sylvain Pelegrin, comme l’exigent le cahier des charges du financement de l’État, mais aussi les évolutions en cours dans le monde maritime. »
Conçu et construit par le chantier Martinez de Saint- Cyprien, dans les Pyrénées-Orientales, en collaboration avec le bureau d’études Mer et Design, ce navire de 10,37 mètres de long et 3,70 mètres de large sera équipé, pour l’enseignement, d’un treuil permettant d’effectuer des petites opérations de pêche ou de mise à l’eau d’engins, et, dans le carré, d’un espace suffisant pour accueillir un groupe d’une dizaine d’élèves. Prévu pour des sorties à la demi-journée, ce nouveau support pédagogique sera doté d’une propulsion hybride thermique et électrique – permettant de passer de l’une à l’autre si besoin. Il sera construit en polyester armé de fibre de verre et de fibre de lin.
« Nous avons choisi ce type de propulsion après avoir étudié les autres possibilités, précise encore le directeur. Le tout électrique ne me convenait pas, car je voulais une sécurité pour les élèves, les batteries d’aujourd’hui n’autorisant pas une grande autonomie alors que le temps de charge est encore assez long. La pile à hydro- gène ne me paraît pas encore suffisamment aboutie et je souhaitais avoir un bateau opérationnel dès cette an- née. Sans oublier que les moteurs thermiques de- meurent d’actualité et qu’il faut que les élèves ap- prennent à s’en servir et à les entretenir. »
Les lycées d’Étel et de Paimpol ont aussi choisi une propulsion hybride pour leurs futurs bateaux-écoles, sur lesquels a travaillé le bureau d’études Coprexma, basé à Pont-l’Abbé. « Pour Étel, nous avons entièrement conçu le navire (11,98 mètres de long et 5 mètres de large), construit en aluminium par le Chantier Bretagne Sud, à Belz », précise Jean-François Ansquer, directeur de Coprexma. Pouvant accueillir une petite classe pour des sorties en mer dédiées à la manœuvre, à la pratique de pêche et au travail aquacole, grâce à un portique à l’arrière, il disposera d’une salle de cours, de postes avec bannettes et douche, d’un carré et d’un grand espace machine. À la différence du bateau de Sète, « il sera doté d’une propulsion hybride parallèle, reprend Jean- François Ansquer, c’est-à-dire que l’électricité sera utilisée pour les manœuvres et que, sur de plus longues dis- tances, le moteur thermique prendra le relais. »
Sur le catamaran en aluminium de Paimpol, dessiné et construit par le chantier local Efinor, la propulsion hybride totale est accompagnée d’un petit tape-cul aidant à sa stabilisation, et de panneaux solaires. « Chaque lycée a ses propres contraintes et adapte son navire à ses besoins, poursuit Jean-François Ansquer. À Paimpol, où les élèves devront évoluer dans un petit port, ils souhaitaient un bateau très manœuvrant. Le catamaran aura également plus d’apparaux pour la pêche, en accord avec l’orientation de ce lycée. »
Également financé par le plan de relance, le lycée de Bastia a cherché à aller plus loin avec la commande pour 2024 d’un navire à propulsion électrique alimentée par des batteries et des piles à hydrogène, « une première en France », annonce le lycée. Le chantier Gatto, basé à Martigues, se chargera de la construction de ce navire conçu avec le Bureau Mauric. Mesurant 20 mètres de long pour 6 mètres de large, conçu pour des marées de quelques jours, il sera gréé pour la pêche à la senne ou à la palangre, et doté d’équipements pour initier les élèves à la recherche halieutique.
La propulsion est le fruit d’une collaboration entre les sociétés EoDev et Alternatives Énergies. Le navire sera doté de deux piles à hydrogène de 70 kilowatts chacune et de deux batteries, afin de pouvoir passer de l’une à l’autre. Le navire disposera ainsi d’une autonomie de 12 heures à 8 nœuds. « Grâce à ce bateau, les élèves pourront se familiariser avec une mécanique très différente de celle des moteurs thermiques, précise Frédéric Ferrero, d’EoDev. L’entretien est par ailleurs moins coûteux car il y a moins de pièces en mouvement que sur un moteur classique. »
« La sécurité était un point important de la conception de ce bateau, ajoute l’ingénieur Guillaume Rocolle, qui suit le projet pour le Bureau Mauric. Nous avons dû ins- taller les bouteilles d’hydrogène au milieu et dans l’axe du bateau, dans un local fermé, pour éviter tout risque en cas de collision et limiter l’impact des mouvements du bateau sur ces réservoirs. » De multiples détecteurs ont également été ajoutés pour signaler la moindre anomalie, fuite, l’hydrogène étant hautement inflammable.
Alors que l’univers du transport maritime cherche à se décarboner, ce projet est intéressant sur le plan de la formation, même si l’utilisation de l’hydrogène sur l’eau reste encore cantonnée aux plus petites unités, principalement fluviales (lire la partie sur la décarbonisation du transport maritime de notre article « Enjeux maritimes, la course à l’armement« ).
L’approvisionnement en hydrogène, dont la distribution n’est pas encore organisée à grande échelle, est également un frein. Sa production, surtout, fait toujours appel à des énergies fossiles, souvent du gaz naturel. À noter tout de même qu’en Corse, une filière de production d’hydrogène « vert » – produit à partir d’énergies renouvelables – est en cours de développement, ce qui pourra permettre au port de Bastia de se doter, à terme, d’une station de recharge. En attendant, le lycée devra se faire livrer de l’hydrogène liquide, sans doute « gris », produit à partir d’hydrocarbures.
◼ Maude Lénée-Corrèze