« Le livre des Noirmoutrins par eux-mêmes »
Quarante ans de quêtes ethnographiques insulaires (1979-2019) sont réunies dans cette remarquable somme. « Notre objectif principal a toujours été de laisser parler les gens », expliquent les auteurs, qui constatent que le résultat auquel ils ont abouti « est plutôt le livre de l’Île par ceux qui y vivent ou y ont vécu, le livre des Noirmoutrins par eux-mêmes ». Sur cette île, ou presqu’île à marée basse – reliée par un pont au continent depuis 1971 –, hommes et femmes ont dû leur survie par le passé « au combat incessant contre les éléments : le vent, l’océan, le sable ». Située pour les deux tiers de sa surface en dessous du niveau des hautes eaux, elle a en effet été de tout temps protégée par des digues et enrichie de polders aux XVIIIe et XIXe siècles.
Du côté des hommes, marins et paysans s’y sont toujours cotoyés : « Les marins étaient les plus pauvres, sûr ! Le paysan, il tuait son cochon, il avait rentré son blé, du grain, de la volaille, le jardin en plus, un petit bout de vigne pour se faire son vin… le marin avait sa pêche, un point c’est tout ». La vie était rude sur cet espace où la terre manquait, où les rapports des visiteurs du XIXe siècle décrivent les qualités d’une population « extrêmement travailleuse mais misérable ». Si le labeur des hommes et des femmes est au cœur de l’ouvrage, les croyances – on parla même d’« île des sorciers » –, les réjouissances, avec un corpus important sur les danses et les chants, l’humour et la « menterie vraie » sont également longuement documentés. On mesure, à travers ces pages très illustrées, l’originalité d’une communauté, fière de ses traditions : « Où aller pour être mieux ? », demandaient souvent les témoins interrogés par les auteurs. Et c’est toujours vrai, car les jeunes ont tendance à choisir une activité du secteur primaire pour pouvoir aujourd’hui encore demeurer sur leur île. N. Couilloud