Lucas Menget aime nager et il réussit à faire de ce sujet banal un livre passionnant qui nous promène aux quatre coins du monde et nous instruit à chaque page. Depuis son apprentissage de la nage à cinq ans sur une plage de Bretagne – avec une tante et une chienne terre-neuve –, il s’est jeté à l’eau dans le grand bain des océans ou le chlore des bassins, sans chercher l’exploit, goûtant le plaisir du jeu, de l’endurance ou de l’eau glacée.
En Amazonie, il suit avec sœurs et mère son ethnologue de père qui étudie la tribu des Ikpeng autour du fleuve Xingu. Les gamins blonds jouent avec les enfants bruns dans l’eau, qui efface les différences. Adolescent à Paris, il fréquente la piscine Keller, gérée par les postiers de l’ASPTT, « ambiance sportive et syndicale. C’est une piscine de gauche. » Sur la plage de Tel-Aviv, juste après avoir couvert le massacre de Jénine comme journaliste, il se demande devant les filles en string : « Ces corps à quoi ressemblent-ils en uniforme, mitraillette en bandoulière ? Est-il possible que ce soit les mêmes ? » Puis il entre dans l’eau, qui lave de tous les cauchemars… Au-delà des anecdotes personnelles, le récit de Lucas Menget, au style simple et sans affectation, éclaire la relation de l’homme à l’eau et à la baignade, sous des aspects scientifique, littéraire, historique, à travers une étonnante galerie de portraits : Edmond Dantès au château d’If, Lord Byron, dandy poète et nageur de l’Hellespont (Dardanelles), la reine Hortense qui se trempa dans la Manche, Annette Kellerman qui inventa le ballet aquatique, le photographe Jacques Henri Lartigue qui saisit la vogue des bains de mer à la Belle Époque…
« “Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre”, écrivait quelqu’un », lit-on page 115. Ce vers est tiré du « Cimetière marin » de Paul Valéry, établissement quasi balnéaire pour trépassés, avec vue imprenable sur la plage de la Corniche à Sète. Celle chantée par Brassens qui voulait y passer sa mort en vacances, où sa tombe aurait servi aux baigneuses pour changer de tenue… ■ N. C.
> Nages libres, Lucas Menget, Équateurs, 155 p., 7 €.