Le “roman” des marins dans la Grande Guerre
L’histoire de ce livre est à elle seule un roman : c’est le fruit d’un stratagème monté par l’écrivain et lieutenant de vaisseau Maurice Larrouy et par un intellectuel incontournable de l’époque, Ernest Lavisse, le directeur de La Revue de Paris – membre de l’Académie française, directeur de l’École normale supérieure… Dès le début du conflit, ce dernier soutient l’effort de guerre à sa manière, en mobilisant les esprits. Impressionné par Sous Verdun de Genevoix et par Le Feu de Barbusse (Goncourt 1916), qui décrivent le sort des poilus dans les tranchées, il regrette l’invisibilité des marins. L’idée de ce livre naît donc entre Larrouy et Lavisse fin 1916. Par devoir de réserve, l’écrivain fait parler un marin de commerce qui raconte, sous forme de lettres, son quotidien à un ami de la Royale. La première livraison paraît dans La Revue de Paris en mars 1917 : les courriers, émanant d’un certain Y, sont présentés comme authentiques. Puis la censure s’en mêle : en juillet, le texte est amputé des deux tiers… ce qui ajoute à la curiosité. Fin 1917, surprise : Payot publie l’intégralité des textes dans un livre, qui reçoit aussitôt le prix Fémina !
Et il le mérite ! Les tribulations du cargo, vécues à la passerelle avec Y et le commandant Fourgues, sont incroyables. Il transporte à peu près tout (coton, mulets, charbon, réfugiés, bois, troupes…), sans TSF ni protection, en évitant les U-Boot allemands, dont l’état-major français minimise le danger. Ce qu’Y résume ainsi : »Dans cette guerre navale, il y a les jeunes qui font le turbin, tout comme les navires marchands, mais ça ne compte pas ; et puis il y a les légumes qui se tiennent tous ensemble, pourvu que chacun gagne du galon, de la solde ou des décorations. » Outre la qualité du « roman » – qui finit mal comme l’annonce le titre –, le livre est présenté avec une passionnante introduction de l’éditeur François Laurent. N. C.