Pour l’amour du juste trait
Dans une livraison récente des chroniques qu’il livre à nos chers confrères britanniques de Water Craft, Colin Henwood, ce Stradivarius des skiffs et launches de la Tamise, livrait cette petite réflexion : « Si on ramène le savoir du charpentier de marine à sa quintessence, on en arrive à la “ligne juste”. Marquer, couper, créer cette fair line, c’est la base de la construction nautique ; apprendre à la reconnaître, c’est probablement ce qu’il y a de plus difficile à apprendre. » Cela devient une seconde nature pour le charpentier jugeant de la tonture d’un canot, de l’évolution du chant d’un bordage, fermant un œil et s’approchant, tandis que l’apprenti retient son souffle… Si le défaut est insupportable, choquant, la justesse lui procure une satisfaction sans égale. Tous les amoureux des bateaux y exercent leur sens critique – les gens du métier ne sont pas les seuls à s’obséder pour ces courbes fatales !
On y gagne… et on y perd : comme le dit aussi Colin Henwwod un peu plus loin, on devient difficile – devant tel tableau de marine « époustouflant », peu importe si l’artiste est brillant, si quelque chose cloche dans les lignes du bateau, ça ne le fait tout simplement pas !
Charpentier, navigateur, avant d’être peintre et graveur, James Dodds en a fait l’objet central et quasi unique de son œuvre, qui exalte cette beauté jusqu’à l’abstraction…
Le livre que le critique Ian Collins a consacré récemment à l’œuvre de James Dodds chez Jardine Press – chez l’artiste, à Colchester –, ne cause que de ça. Les formes du bateau de travail traditionnel – ses justes lignes – celles qui vous émeuvent à la lecture d’un plan d’architecte comme votre revue se plaît à en publier, celles qui font la beauté d’un tracé à l’échelle, bien lissé sur le plancher d’un chantier, voilà ce qu’il a choisi de montrer et rien d’autre. Les couleurs, les textures, la composition ne servent qu’à les mettre en lumière, tandis que les équipages, la mer, et toute autre distraction disparaissent, faisant éclater la merveilleuse distribution du bordé ou le retour de galbord d’une yole des Orcades. Il y a une culture qui est l’entraînement de l’œil, un discernement qui s’apprend tout au long d’une vie… et là, aussi, une forme critique de justesse, abstraite de toute histoire et de tout romantisme, de beauté graphique pure. C’est un langage universel. J. v. G.
James Dodds, The blue boat, Ian Collins, Jardine Press (<jardinepress.co.uk>), 172 p., 35 £