Arrogance, folie furieuse et splendeur authentique
Le charpentier, sur son chantier, n’a cure de faire de jolies photos de son travail ; il faut dire qu’il n’en a que rarement le loisir. À peine un selfie à l’occasion pour les réseaux « sociaux »… Lorsque le navire fraîchement lancé s’éloigne vers ses nouvelles eaux, et que l’on souffle enfin, on se prend à regretter de n’avoir rien qui témoigne de son œuvre, du savoir-faire du métier et de ses tours de main particuliers…
L’œuvre d’un Michel Le Coz, photographe attitré du chantier du Guip, ou la documentation réunie par Bruno Barbara, qui photographie tous ses travaux chez Candela, n’en sont que plus précieux. Les publications qui en sont issues font le régal des amateurs, et celle dont il est question ici ne dérogera pas à la règle. Toutes les semaines, Christian Topf, photographe, auteur et graphiste – il fut longtemps directeur artistique du Yachtsman britannique – s’est rendu sur le chantier où le flamboyant charpentier de marine anglais Luke Powell, fameux pour ses cotres pilotes (CM 300), construisait son chef-d’œuvre, la réplique du cotre des Sorlingues Vincent, lancé en 1852. Avant même la pose de la quille en mai 2017, le nouveau voilier, Pellew, s’annonçait comme une bête fabuleuse : pensez, une coque toute en chêne de 21 mètres, une grand-voile à corne de 140 mètres carrés, 74 tonnes de déplacement… Bref, le plus grand cotre lancé par un chantier britannique depuis un siècle et demi. Comme l’admettait le charpentier lui-même, ce n’était « qu’un mélange d’arrogance, de folie furieuse et d’atavisme. Mais une idée si romantique… »
Pellew a pris la mer à l’été 2020 pour ses premiers bords. Il navigue sous les ordres de son constructeur, avec le panache qui lui sied. En attendant de le voir dans nos eaux, on se félicite que le chantier ait fait l’objet de ce travail de mémoire, servi aujourd’hui par un livre qui, s’il peut laisser les mordus sur leur faim en matière d’explications techniques (en anglais), en illustre richement les étapes, du tracé aux derniers amarrages du gréement dormant et aux premiers essais. J. v. G.
> From the loft floor to the sea, Christian Topf, Lodestar, 360 p., 45 £