Pierre Loti ? On aime ou on déteste. Le père d’Aziyadé n’a jamais engendré de tièdes consensus : certains moquent son lyrisme, ses accès de mélancolie autant que ses excès d’enthousiasme, l’exotisme d’une plume que sa carrière d’officier de Marine lui a permis de tremper dans les eaux de Tahiti, du Bosphore ou de Nagasaki. D’autres ressentent au contraire une communion d’âme pour cet être agité, doué d’une sensibilité frémissante, qui s’est donné tout entier à ses femmes, ses amis, ses chats, autant qu’à sa passion de l’écriture.
Loti étant tombé dans le domaine public depuis 1920, les éditeurs ne se privent pas de le rééditer et l’on voit régulièrement surgir sur les tables des libraires ses récits de voyage, de l’île de Pâques à Jérusalem, regroupés en coffrets ou découpés en opuscules bon marché, à peine rafraîchis par des couvertures au goût du jour. Dans cette abondance éditoriale se distingue le travail remarquable accompli depuis plusieurs années par les éditions Bleu autour. Après deux beaux livres qui ont salué Loti dessinateur (2009), puis Loti photographe (2012), cette maison de l’Allier a publié Loti en Amérique (2018) et Loti à Oléron (2019). Elle reprend aussi ses romans et vient de publier Mon frère Yves. Le fac-similé du livre, illustré en 1927 par des gravures de Renefer est de toute beauté, et il s’accompagne de commentaires fouillés, écrits ou recueillis par deux spécialistes français de Loti, Bruno Vercier et Alain Quella-Villéger. C’est un travail foisonnant et une façon inédite d’aborder le contexte du roman, à travers ses fibres géographiques, biographiques, critiques. On y trouve notamment les lettres à Loti de Pierre Le Cor, père du filleul de l’écrivain, et inspirateur du personnages d’Yves, une biographie de Renefer, de nombreuses photos ainsi que cette critique d’Octave Mirbeau : « Mon frère Yves est l’histoire d’un matelot qui n’a pas d’histoire. Il court les mers, se saoule terriblement, revient de temps à autre dans son village breton, repart pour des expéditions lointaines […]. Ce n’est que cela, avec les accidents et les habitudes journalières du matelot, avec des paysages de la mer et des paysages de la terre, du bleu, du soleil, de la brume, des horizons infinis, ce n’est que cela et c’est sublime car ce livre est véritablement l’épopée de ce monde énorme et mystérieux de la mer. » Relire un classique dans une telle édition, ce n’est plus un plaisir, c’est un privilège. Nathalie Couilloud
> Mon frère Yves,
Pierre Loti, Bleu autour, 440 p., 32 euros