L’un des effets connus et observés depuis déjà de nombreuses années du changement climatique est l’augmentation de la température de l’eau, qui provoque une migration des poissons vers des eaux plus fraîches. Mais quelles sont les conséquences de ces mouvements de population pour les pêcheurs ? Un groupe de chercheurs s’est penché sur cette question. Menés par Eva Papaioannou (de l’institut geomar basé à Kiel) et Rebecca Selden (de l’université de Rutgers au New Jersey), ils ont analysé des données sur les stocks disponibles (leur abondance et distribution) débarqués depuis les années 1980 sur la côte Est des États-Unis, ainsi que sur la répartition de l’effort de pêche, grâce à un outil de modélisation spatiale des flottilles. En interrogeant des pêcheurs dans les dix ports ciblés (du Maine à la Caroline du Nord) sur l’évolution de leur activité, les scientifiques ont aussi pu étudier le ressenti des professionnels quant au changement climatique.
Ils ont ainsi mis en évidence trois méthodes adoptées par les pêcheurs pour s’adapter aux migrations des poissons. Certains, notamment les chalutiers de Beaufort, New Jersey, suivent le poisson – en l’occurence le cardeau, Paralichthys dentatus – en s’éloignent de leurs zones de pêche habituelles, avec tout ce que cela implique en terme de surcoût en carburant, de risques et d’incertitudes dus à leur méconnaissance de ces nouveaux secteurs. Mais cela ne concerne que les plus grosses unités. « La plupart préfèrent pêcher là où ils ont pêché pendant des générations, soulignent les spécialistes. Ils sont plus enclins à modifier leurs cibles plutôt qu’à suivre le poisson et, là, les réglementations ont un rôle important à jouer pour leur permettre de changer facilement d’espèces ciblées. » Les pêcheurs de Point Pleasant, au New Jersey, dont les bateaux sont plus petits que ceux de leurs voisins de Beaufort, ont choisi de se tourner vers les autres espèces encore présentes dans leurs eaux, notamment la roussette. Déclarée en danger en 1988, de fortes restrictions avaient été mises en place pour protéger ce petit requin ; il est aujourd’hui plus abondant, mais les pêcheurs restent cependant encore limités par la politique de conservation toujours en vigueur. Cette espèce ayant été longtemps absente du marché, il y a également moins de débouchés. Enfin, des flottilles débarquent leurs poissons dans d’autres ports, afin de profiter du marché et des quotas locaux, différents selon les États. Ce constat est « inquiétant pour la survie des communautés locales », précisent les scientifiques, puisqu’il génère des mouvements parfois définitifs.
Les chercheurs concluent en soulignant l’importance pour les décideurs de prendre en compte l’aspect sociétal des communautés de pêcheurs dans leurs politiques de gestion des pêcheries, rappelant que de nombreuses études ont montré que les réglementations et les quotas de pêche « ne répondent pas aux défis liés au changement climatique alors qu’elles modèlent la manière dont les pêcheurs travaillent. »