Par Catherine Lopez – Pour une communauté maritime, le fait d’organiser ses propres fêtes sur l’eau est sans doute le signe de sa vitalité, le symbole de la conscience qu’elle a d’elle-même. Dans certains ports, comme à Audierne, la volonté de relance des professionnels les conduit à recréer de toutes pièces des fêtes anciennes (1983). Ailleurs, ce sont les jeunes passionnés des bateaux traditionnels qui ont uni leurs efforts à ceux des pêcheurs. En Méditerranée, et notamment à Sète, cette coutume ne s’est jamais perdue ; c’est le cœur de la fête, la joute nautique, qui y reste le plus populaire. Si la tradition des joutes est à l’évidence bien antérieure à la création de Sète (à la fin du XVIIe siècle), sa codification est d’emblée très précise dans cette ville neuve dépourvue de traditions non-écrites anciennes. Grâce à la riche documentation disponible, Catherine Lopez a pu étudier minutieusement les implications sociales, le rituel et la technique de la joute : une fête essentiellement maritime, structurée et contrôlée par les classes d’âges, d’où les femmes sont exclues, et qui fournit un exutoire ritualisé aux agressivités, tout en échappant totalement au contrôle de l’Eglise. Le Chasse-Marée devra étendre cette passionnante enquête d’ethno-histoire à l’ensemble des joutes nautiques françaises, qui semblent surtout avoir été pratiquées en milieu fluvial et sur nos côtes du Midi.
Sète est un port de création récente. C’est seulement à partir de la fin du XVIIe siècle (1666) que la monarchie, dans sa volonté de rechercher des débouchés au commerce languedocien, développe le Cap de Cette. La ville naît avec la fête qui associe, dans la joie et le soleil, l’eau et les gens de mer. Cette fête, c’est surtout le combat de joutes nautiques : un tournoi sur l’eau du canal.
Les joutes auraient été introduites par les pêcheurs d’Aigues-Mortes, venus s’installer dans ce port récent. Ils furent les premiers acteurs des réjouissances organisées le 29 juillet 1666 pour célébrer la fondation du port, mais on peut penser que cette forme de jeux était déjà connue en Languedoc : on en note la présence lors de la venue du cardinal de Richelieu à Frontignan en 1627, où un tournoi de joutes fut donné en spectacle.
Force est de constater qu’au cours du XVIIIe siècle, Cette devient un lieu de prédilection de ce jeu nautique. C’est moins d’un siècle après sa création que les consuls délibérent, le 24 août 1747, sur le premier règlement, pour éviter les différends trop nombreux entre les jouteurs lors des combats qui se font « ordinairement à Cette »
L’organisation des groupes de jouteurs
En 1764, Pierre-Paul Alleman fait paraître un précis très complet sur les jutes. Le tournoi est déjà la manifestation essentielle de la Saint Louis, patron du port. Au XVIIIe siècle, sa célébration dure trois jours francs : du vingt-trois après-midi au vingt-sept avant midi.
L’institution de jeunesse
La fête est pour tous, mais ce sont des groupes bien structurés qui l’animent. D’abord celui de la jeunesse de Sète, groupée en corps, qui rassemble les gens de mer : calfats, marins, matelots. Tous ces jeunes gens ne se recrutent pas exclusivement dans la population maritime, mais sa forte représentation explique les formes festives de la Saint Louis. Sète est un port, et les jeunes gens qui ont le pied marin sont naturellement les plus aptes à jouter sur une tintaine, ou à courir le chapeau.
L’accession à la Société de Jeunesse est réservée aux garçons natifs de la ville, non mariés, dès l’âge de seize à dix-huit ans. Lorsqu’ils désirent être admis, les jeunes gens s’adressent au chef en fonction qui retient définitivement leur candidature après avoir vérifié leur moralité.
La jeunesse est représentée par des officiers : à leur tête le Chef de la jeunesse, puis le lieutenant, enfin l’enseigne. Ces charges sont occupées chaque année par les plus âgés. Il est d’usage que le renouvellement ait lieu à la Saint Pierre et Paul, le 29 juin, jour de l’élection des nouveaux consuls, mais surtout fête de la confrérie de Saint Pierre créée en 1706, qui unit patrons, matelots, pêcheurs, poissonniers, arrimeurs…
Le Chef de jeunesse, le cap de jovent, s’occupe de la Saint-Louis, fête principale de Sète, mais également de toutes les autres, veillant à leurs préparatifs. Il est l’interlocuteur de la jeunesse auprès du maire et des consuls.
Le lieutenant, second officier, prend en charge l’ordonnance du corps de la jeunesse lors des défilés et cérémonies. Il exerce une surveillance autoritaire sur l’ensemble des jeunes gens.
L’enseigne porte le drapeau en tête de sa troupe. Il dirige le cortège, en ayant au préalable fixé le trajet avec le chef.
Les sociétés de mariés
La jeunesse n’est pas l’unique composante de la fête. Les adultes affichent pour ce grand jour un goût toujours renouvelé et y participent dans les Sociétés de Mariés. où prédominent aussi les gens de mer. Regroupés en un corps, à l’instar de la jeunesse, ils retrouvent la même accession, la même hiérarchie, la même nomination des officiers.
Toutefois, les chefs de mariés ne sont pas nommés à l’hôtel de ville, ni installés par les magistrats de la communauté. Ils se choisissent et se désignent eux-mêmes. De plus, la troupe des mariés n’est pas présente à toutes les manifestations officielles et n’existe que pendant la durée de la Saint Louis.
La sélection des adversaires
La cérémonie du pavois, qui a lieu le 10 août, jour de la Saint Laurent, sélectionne les adversaires de la jeunesse. A une heure, celle-ci commence son tour de ville. Le chef porte au bras gauche le pavois, bouclier de bois décoré d’armes blasonnées. L’enseigne le précède, tenant le drapeau déployé et le lieutenant prend place à gauche. Le reste de la troupe défile deux par deux, la lance sur l’épaule droite, au son des instruments de musique.
Arrivés sur les lieux de la cérémonie, ils en font trois fois le tour, afin que les habitants profitent du spectacle. Le chef prend une lance et passe le cordon du pavois dans la couronne. Les autres lances sont passées dessous afin que le pavois ne puisse tomber sans les toucher. L’enseigne enroule son drapeau et le joint au pavois et aux lances. Le pavois est élevé. La jeunesse effectue un branle autour pour faire écarter la foule.
Plusieurs troupes de mariés se présentent alors. Auparavant, chacune a désigné son chef et ses officiers. Le pavois revient au marié qui le saisit le plus lestement. L’honneur de jouter contre la jeunesse le 25 août appartient donc à la troupe représentée par ce champion d’agilité, et pour concrétiser ce droit, la jeunesse lui remet le drapeau et les lances. La troupe des mariés est ainsi chargée de les ramener à l’hôtel de ville.
La préparation du matériel
Les préparatifs effectués du 10 au 25 août constituent une sorte de cérémonial tout aussi important que la fête elle-même. La fabrication du matériel doit en effet obéir à des règles impératives.
Le bateau
Chaque troupe de jouteurs, jeunesse et mariés, s’assure d’un bateau modifié pour la fête : les officiers chargent un charpentier de la construction d’une série de bancs de nage et d’une plateforme appelée tintaine, fixée à l’arrière, au bout d’une sorte de petite échelle à trois ou quatre degrés. Les bateaux sont tirés à terre et nettoyés l’avant-veille ou la veille de la Saint Louis. Pour les distinguer, on décore la barque de la jeunesse d’ornements bleus sur fond blanc qui figurent de lourdes draperies. Celle des mariés porte des ornements semblables, mais rouges.
Le pavois et les lances
Les deux chefs veillent à l’exécution d’un pavois et de deux lances pour chaque troupe, auxquels ils ajoutent ceux des années précédentes, plus deux autres prêtés par des jouteurs.
Pour pouvoir être récupérés, lance et pavois doivent flotter : ils sont en peuplier, bois sec et léger. Le pavois est constitué de deux pièces bien jointes d’un pouce d’épaisseur, deux pieds six pouces de long et seize pouces de large. La lance mesure huit pieds quatre pouces de long, cinq pouces de diamètre à la poignée et quatre à l’extrémité, garnie d’une couronne de fer pour l’arrêter ferme dans le pavois adverse.
Pavois et lances sont peints à l’huile (1). Les armes blasonnées se dégagent sur fond blanc au milieu du pavois et les ornements respectent le même choix de couleurs : la jeunesse est vouée à l’azur, symbole de pureté, et les mariés au rouge. La devise « Vive le Roy » apparaît entre les panneaux supérieurs et inférieurs, où l’on peut lire aussi « Vivent les mariés » ou « Vive la jeunesse ». Les lances sont également peintes sur fond blanc. Un grand filet, d’azur pour les unes, rouge pour les autres, tournoie depuis la couronne jusqu’à la poignée.
La tenue de joute
Les costumes demandent à être confectionnés quelques jours avant la Saint Louis. Tout de blanc vêtus, les jouteurs font assaut d’élégance. La jeunesse porte avec fierté ses bonnets couverts de dentelles. Des rubans longs de quatre pans flottent au vent et égayent les tenues unies. Les couleurs définissent la condition de jeune ou de marié. A la boutonnière de la veste, la jeunesse arbore une cocarde à double ruban, l’un blanc l’autre bleu, couleurs qui ornent aussi leurs chapeaux. Les mariés sont reconnaissables aux rubans rouges et verts de la cocarde qui fleurit leur veste.
Le déroulement de la fête
La musique est indispensable. Le pas de chaque troupe est réglé par deux hautbois, comme la cadence des rames lorsque les barques s’élancent. Les musiciens ne sont pas originaires de la ville, mais viennent de Montpellier. Moyennant finances, chaque chef de troupe loue leurs services pour la durée de la Saint Louis.
Un équipage de barque comporte un patron, un aide-patron et douze rameurs. Souquer sur les avirons ou tenir le gouvernail tout au long d’un après-midi, alors que le soleil darde ses rayons sur les épaules, demande une endurance peu commune. Mais cet effort lie les jouteurs à la gloire du vainqueur.
Ces derniers savent l’importance du rôle du patron. C’est lui qui leur permettra de jouter correctement, et leur évitera de se blesser en tombant. Il doit donc posséder parfaitement son métier, car les qualités exigées sont nombreuses : rapidité, appréciation des distances, autorité sur les rameurs… Maître à bord, le patron dirige l’évolution du bateau et surveille d’un œil l’adversaire. Lorsque les barques virent ensemble, il manœuvre pour que les jouteurs s’affrontent devant l’endroit réservé aux personnalités officielles.
L’aide patron dirige la relève. Sur chaque bateau, en effet, quatre hommes se reposent pendant que huit souquent sur les avirons. C’est également l’aide patron qui ordonne à l’équipage de laisser courir en effaçant les rames lorsque les deux bateaux se croisent.
D’anciens jouteurs composent le jury nommé par le maire et les consuls. Leur expérience et l’impartialité totale qu’on exige d’eux permet de trancher les litiges en cas de coup douteux. Aucun lien de parenté ne doit les lier aux jouteurs. Assis dans les bateaux, ils se portent garants de la bonne exécution du coup.
D’anciens jouteurs composent le jury nommé par le maire et les consuls. Leur expérience et l’impartialité totale qu’on exige d’eux permet de trancher les litiges en cas de coup douteux. Aucun lien de parenté ne doit les lier aux jouteurs. Assis dans les bateaux, ils se portent garants de la bonne exécution du coup.
du maire et des consuls. Le 25 août à huit heures, tous les jouteurs se rassemblent sous les drapeaux, en habit de joute. Ils accompagnent en grande pompe le maire et les consuls à la grand messe. Le cortège s’ébranle à l’hôtel de ville, où les jouteurs attendent les magistrats en se tenant sur deux files et en faisant tourner les drapeaux. Puis les officiers ouvrent la marche, couverts de leur pavois. Les jouteurs suivent à quatre pas, la lance sur l’épaule droite. En queue de cortège, les deux plus anciens tiennent leur pavois et encadrent maire et consuls. Les lieutenants, canne en main, sont les maîtres de la cérémonie. Ils veillent à ce que les jouteurs observent entre eux une distance convenable. Deux hautbois ouvrent la marche en jouant des fanfares, deux autres ferment le cortège.
Parvenu au parvis de l’église, on forme la haie d’honneur. Les magistrats passeront sous les lances croisées à l’entrée et à la sortie de l’office divin en recevant le salut des jouteurs : les mariés mettent chapeau bas, la jeunesse se contente de s’incliner. De retour à l’hôtel de ville, les officiers invitent patrons et rameurs à se tenir prêts pour le combat de l’après-midi.
Le combat de la Saint Louis
A l’heure fixée, en début d’après-midi, les deux troupes se rendent à l’hôtel de ville et reproduisent le cérémonial du matin pour conduire maire et consuls au lieu du tournoi : le Canal Royal qui relie l’étang de Thau à la Méditerranée. Les magistrats s’installent sur une bigue (2) où ils délibèrent des coups douteux. Les explosions de bombes déchirent l’air, le combat de joutes commence. Les bombes éclateront plusieurs fois pendant l’après-midi, marquant les différentes étapes du tournoi : le début, la fin et le commencement de la revanche (3).
Chaque chef de troupe monte sur sa tintaine, armé de sa lance et couvert de son pavois. Les deux bateaux s’élancent au son des hautbois, la bannière déployée, à contrebord.
Au premier passage, les chefs se saluent : droits sur la tintaine, les pieds serrés, la lance en main droite. Leur pavois passé au bras gauche leur couvre le corps. Lorsqu’ils se retrouvent en vis à-vis, ils élèvent leur lance à hauteur de la poitrine et les croisent. L’un la tend horizontalement, l’autre perpendiculairement.
Lors du second passage, les jouteurs se préparent à donner le coup, qui se décompose en quatre temps : le jouteur porte d’abord sa lance droit sur l’épaule. Puis il couvre son corps du pavois tenu fermement, le haut sur l’épaule, le bas contre le genou gauche. Au troisième temps, il appointe sa lance en direction du pavois de son adversaire. Enfin, il donne le coup en frappant l’intérieur du pavois et non le bord, car la lance peut glisser et blesser.
Lorsqu’il porte le coup, le jouteur doit rester droit sans appuyer ni le genou, ni le pavois sur la tintaine. Les deux jouteurs s’étant frappés comme il convient, si les bateaux ont une allure assez rapide, et qu’ils se sont croisés serrés, il faut nécessairement que le plus faible succombe au plus fort. Mais parfois, lorsque leur force s’égale, ils ne tombent pas à l’eau. Ils peuvent rester sur la tintaine pendant trois passes, s’ils ne sont pas départagés auparavant.
S’ils tiennent bon tous les deux après cela, ils sont dans l’obligation de descendre pour que d’autres puissent jouter à leur place. Si un jouteur tombe son adversaire, il reste sur la tintaine pour se mesurer à un autre combattant, jusqu’à ce qu’on le renverse, ou qu’il en culbute trois ; dans ce cas, il descend pour laisser jouter les autres, il ne remonte sur la tintaine que si sa troupe a été entièrement tombée. Tout jouteur tombé à l’eau sans qu’on l’ait touché, ne remonte plus sur la tintaine. Il ne joute que pour prolonger le spectacle, mais doit pour cela changer de linge, pour ne point paraître avoir été vaincu.
Celui qui perd sa lance ou son pavois, ou qui abandonne son poste, est déclaré vaincu, comme s’il était tombé à l’eau et doit descendre de la tintaine sans se faire prier. Il en est de même pour le jouteur qui, donnant son coup, et recevant celui de son adversaire, appuie le genou sur la tintaine lorsqu’il se sent forcé de tomber. Dans ce cas, il y a tricherie et il encourt une peine de prison.
L’intervention des juges
Il est ordonné à tous les jouteurs de faire bon pavois pour souffrir le coup sans tricherie. Celui qui ne frappe point dans le pavois ou qui donne son coup dans le blanc doit descendre de la tintaine. Les juges expulsent les maladroits, ceux qui volontairement blessent leurs adversaires ou ceux qui, après avoir donné un coup, en portent un second, ou s’aident de la main pour faire aller le rival à l’eau.
Celui qui brise sa lance par la force du coup, s’il n’en garde pas une partie en main, est considéré comme désarmé donc vaincu, de même que le jouteur démonté de la tintaine, et qui court sur les bigues, s’il ne peut se remettre sans aide et qu’il touche le bateau, est perdant. Celui qui se préoccupe de le retenir et de l’aider pour remonter, source de différends entre les jouteurs, est arrêté et risque lui aussi la prison.
Lorsque les juges décident qu’un jouteur doit descendre immédiatement, si celui-ci ne veut pas se soumettre, les jouteurs de sa troupe encore dans le bateau, doivent le jeter à l’eau.
Tous les jouteurs tombés, changent de linge et reviennent dans les bateaux, ou attendent à terre que les joutes finissent, pour accompagner les magistrats à l’Hôtel de Ville.
La récompense
Le tournoi touche à sa fin. Le triomphe du vainqueur est immédiat. Le public amassé le long du quai amène par ses cris et ses applaudissements un des bateaux au sommet d’une gloire toute sétoise. Gloire qui rejaillit non sur le bateau, mais aussi sur la troupe victorieuse à qui il appartient : celle à laquelle restent des jouteurs, ceux de l’autre ayant été tous culbutés.
Les jouteurs des deux troupes qui ont vaincu le plus grand nombre d’adversaires, reçoivent les premiers prix : un pavois et une lance dont ils ont la pleine propriété pendant l’année suivante. Si plusieurs jouteurs ont vaincu un nombre égal d’adversaires, celui qui a gagné le premier remporte le prix.
Enfin, le maire et les consuls décernent un troisième prix une couronne de laurier aux jouteurs qui se sont distingués. Le jury pour cela exige qu’ils aient jeté au moins un de leurs adversaires, sans tomber eux-mêmes à l’eau. Le prestige personnel s’ajoute ainsi à la gloire collective, jusqu’à la prochaine Saint Louis.
Ce combat, très prisé par les éléments virils de la ville naissante, est l’occasion d’assouvir des rivalités. Les habitants voient se relever des défis, tous plus héroïques les uns que les autres. C’est ainsi que Barthélémy Aubenque jouta seul en 1740 contre le pont de Sète, stoppant net, dans un effort surhumain, l’élan de la barque.
Cette anecdote révèle bien les passions suscitées par la fête. Certes la Saint Louis revêt un caractère officiel, mais ces temps de repos et de joie populaires donnent naissance à force exaltations.
Lors de la Saint Louis, la foule aime à suivre d’autres attractions : sur le canal, la course au chapeau ou capelet, suscite l’engoûment du public : une vergue surplombe le canal, saisie soit au quai, soit à un bateau amarré. Un chapeau garni de rubans est accroché à l’extrémité de cette bigue abondamment enduite de suif. Le prix, une somme d’argent, récompense le matelot qui parvient à décrocher le chapeau, et à revenir sur la terre ferme, sans tomber à l’eau bien sûr.
Les festivités de la Saint Louis occupent dans le coeur des Sétois une place privilégiée. La population et la jeunesse y sont sentimentalement attachées : en 1762, les consuls refusent l’organisation de la fête publique et des joutes, pour ne pas augmenter les dépenses, car la guerre sévit ; les jeunes gens veulent tout de même célébrer cette date et présentent un mémoire au comte de Moncan, gouverneur de la place de Sète, en vue d’obtenir l’autorisation de jouter. Pour faciliter cet accord, ils prétendent offrir ce spectacle au marquis de Rohan Montmorency. Le comte de Moncan se rallie aux raisons des consuls. Pour ne pas priver le marquis de Rohan Montmorency de ce plaisir, il suggère d’organiser le combat « non le jour de la Saint-Louis, mais le dimanche suivant, ou le second dimanche afin d’éviter tout rapport avec la fête locale ». Devant ces conditions, les jeunes gens refusent de participer.
Il règne pendant trois jours une atmosphère de liesse sujette à bien des débordements, dans les rues étroites et populeuses du port. Le maintien de l’ordre public est parfois difficile.
Les prétextes à l’émeute, à la violence semblent réunis lors du tournoi de 1783: « Le dimanche 24 août lors des joutes que l’on fit avec un ordre et une décence qui parurent mériter les applaudissements du public, MM. les consuls observèrent de diriger les bateaux, de manière que tous les assauts des jouteurs soient donnés sous les balcons de monsieur le Lieutenant du Roi ; et comme il était survenu une foule considérable d’étrangers qui occupaient une grande étendue le long du canal, il ordonna de donner un assaut un peu plus bas. Tout le public paraissait satisfait de cette disposition, lorsque M. Pouget père, ancien lieutenant général de l’Amirauté, envoya, coup sur coup, quatre différents émissaires qui vinrent de la manière la plus impérative et même fort incivile ordonner de livrer tous les assauts vis-à-vis du balcon où se trouvait la dame de Pouget, sa bru, en déclarant que si l’on n’obéissait point, il allait faire cesser les joutes et envoyer vingt fusilliers pour arrêter les bateaux. M. le Maire aperçut Pouget père qui s’embarquait dans une chaloupe pour venir à bord du bateau, il donna l’ordre qu’on le mit à terre et invita messieurs ses collègues à le suivre, ce qu’ils firent, parce qu’il craignait que le coup d’autorité de M. Pouget n’excitât quelque émeute. Bien que l’attitude des consuls soit pleine de sagesse, des troubles éclatent, et la brigade de Mèze reste un jour de plus à Sète pour restaurer la tranquillité publique ».
Ces formes de sociabilité, institution de jeunesse, société de mariés, qui assemblent dans un même désir de fête les gens de mer, obéissent aux mêmes caractéristiques :
– elles sont réservées exclusivement aux hommes, la femme n’y a pas de place. Le groupe, jeunesse ou sociétés de mariés, prime sur l’individu. A l’issue du tournoi il n’y a pas de vainqueur : c’est sur l’une des deux troupes que rejaillit la victoire.
– elles se détachent tout au long du XVIIIe siècle de la vie religieuse : la jeunesse, les sociétés de mariés, les confréries professionnelles sont laïques. Bien que la jeunesse accompagne les maire et consuls à la messe le jour de la Saint Louis, lorsqu’ils y assistent, ils le font le plus souvent en « comédiens effarés qu’en bons chrétiens ».
Mais ces formes de sociabilité, dont le but principal est pour ses éléments de participer au tournoi, garde tout au long du XVIIIe siècle un attrait évident. C’est la manifestation que l’on organise pour la célébration d’un événement important : en 1757, le 13 février, des joutes eurent lieu pour fêter le rétablissement de Louis XV, après la tentative d’assassinat de Damiens ; celles du 25 août 1765 célèbrèrent le cinquantième anniversaire de Louis XV. L’engoûment du public au XVIIIe siècle, est demeuré intact de nos jours, où chaque année, le combat de joutes de la Saint Louis déchaîne et exacerbe les passions avec autant de force.
Bibliographie et sources
– Archives municipales, Sète, délibérations communales : 1724, 1745, 1747, 1755, 1764, 1783, capitation 1695 – 1790, correspondances.
– Pierre-Paul Alleman, Précis sur les règles pour la fête et les joutes qui se font à la ville de Cette, le jour de la St- Louis, Avignon, François Domergue, 1764.
– Toussaint Roussy, Histoire des joutes cettoises 1905.
– Archives départementales de l’Hérault, plaintes et placets.
Crédit photographique :
Collection du Musée Paul Valéry à Sète, phototèque Giraudon : pp. 28, 29, 30, 32 – Le Midi Libre : p. 33 – Musée de la Marine à Paris : p. 31 -J. Ribière à Perpignan : p. 34.
(1) C’est en 1743 que les armoiries du port et de la ville de Sète sont fixées : un écu de gueule à une montagne d’argent mouvante, d’une mer de sinoples, chargée à sa rade d’une baleine au naturel, et un ciel d’or semé d’étoiles d’azur, l’eau surmontée d’un Neptune au naturel à demi-corps et orné de son cartouche duquel sortent deux cornes d’abondance, l’une à droite et l’autre à gauche, fruitées aussi au naturel.
(2) Bigue vient de l’occitan biga , qui signifie petite poutre.
(3) Une délibération des archives municipales indique que les consuls ont recours à des particuliers pour tirer ces bombes. Les boîtes en fer s’avérant dangereuses, ils en feront fabriquer en bronze afin d’éviter les accidents.