Depuis quelques années, les voiles au tiers, qui avaient pratiquement disparu de la Bretagne Nord reviennent en force sur notre littoral manchard. Toute une famille de bateaux de travail méconnus est ainsi tirée de l’oubli : celle des flambarts à cul carré et taillevent bômé, qui exerçaient des métiers très variés sardiniers, sabliers, goémoniers, chalutiers et même pilotes. Grâce à l’action des chercheurs, des associations et des municipalités, cinq flambarts naviguent aujourd’hui à Locquémeau, Perros-Guirec, Larmor-Pleubian, Dahouët et Saint-Cast.
La génération qui a pu voir évoluer dans l’entre-deux-guerres les derniers voiliers de travail de BretagneNord n’en a retenu qu’une image : celle de bateaux de pêche et de bornage presque toujours gréés en sloups, lancés pour la plupart en baie de Morlaix, à Paimpol, à Binic ou sur la Rance. A cette époque, la’ construction de Roscoff-Carantec étend son influence jusqu’à Molène à l’Ouest et Saint-Brieuc à l’Est. Vers Paimpol, les chantiers locaux ne construisent plus depuis belle lurette que des caseyeurs gréés en « bocqs », c’est-à-dire en sloups, voilure qui a supplanté dès la fin du siècle dernier le gréement à deux voiles au tiers relevé en 1866 par l’amiral Pâris lors de son passage à Loguivy. Dans tous les petits ports de haute Bretagne, après 1920, on ne trouve plus guère que des « chloups » à cul carré ou même à voûte dans le cas des macrotiers de Saint-Malo. Presque partout, la voile au tiers a disparu sur les bateaux d’une certaine dimension, nombre d’anciennes chaloupes étant remâtées en cotres ou regréées en goélettes (pilotes de Binic et Portrieux, caboteurs homardiers, borneurs). Seule Cancale, à l’extrémité Est de cette côte, conserve encore une flottille de bisquines, même si là aussi le sloup à tapecul tente de s’imposer à partir de la Première Guerre mondiale. A l’Ouest, dans le Trégor, on peut également signaler une survivance peu connue de la voile au tiers, celle des sardiniers de Locquémeau qui ont conservé et même développé jusqu’aux derniers jours de la voile un original gréement de flambait.
Pourtant, si l’on remonte quelque temps en arrière, jusqu’à ces années 1900 où l’abondance relative du matériau iconographique apporté par les cartes postales permet de suppléer à l’absence de témoignage oral, la situation apparaît bien différente. En effet, bien qu’il ait déjà disparu en de nombreux endroits, le gréement à deux voiles au tiers comportant le plus souvent un taillevent bômé subsiste sporadiquement. De nombreux types de bateaux ainsi gréés peuvent être relevés depuis Brignogan et Pempoul (Saint-Pol-de-Léon) à l’Ouest — la baie de Morlaix étant passée au cotre —, jusqu’aux baies de Lannion et de Perros. Si la région de Paimpol a presque complètement abandonné la voile au tiers, on rèncontre à nouveau ce gréement dans toute la baie de Saint-Brieuc, de Saint-Quay à Erqùy. Plus à l’Est, Saint-Cast et Saint-Jacut, avec leurs dragous, Dinard et Saint-Malo avec leurs « bateaux » de passage, Cancale, Granville, et les Anglo-Normandes arment de nombreux voiliers de cette famille. Vingt années auparavant, vers 1880, c’était même le gréement de sloup qui faisait exception ; la voile au tiers régnait sur toute la côte et concernait aussi bien les borneurs, les petits caboteurs et même les pilotes que les simples bateaux de pêche. « Sans chercher beaucoup, écrivait C.-F. Aubert en 1884 dans le Littoral de la France, on trouverait encore, dans les environs de Saint-Brieuc, de grosses chaloupes non pontées à arrière carré, très profondes, lourdes, et pouvant porter une dizaine de tonneaux.
Elles sont mâtées en « flambart », c’est-à-dire qu’elles marchent à deux voiles. D’autres flambarts, pontés, sont de vrais navires, jaugeant vingt tonneaux, très fortement mâtés. Le bâton de foc surtout est immense. » A cette époque, on rencontre ainsi des « flambarts », « lougres » ou « chaloupes » plus ou moins lourds, plus ou moins voilés sur toute la côte de la
Manche bretonne, y compris dans les zones qui s’imposeront par la suite comme des sanctuaires du gréement de cotre, telles la baie de Morlaix ou les régions de Paimpol et de Pleubian. Citons par-ci les moins connus les « péniches », à clins ou à franc-bord, construites à Roscoff; près de Paimpol, à Port-Lazo, on trouvait aussi une belle flottille de lougres pontés spécialisée dans le dragage des huîtres.
Lougre, flambart, bateau : une affaire de mots
En Bretagne Nord, le terme flambart désigne en général une embarcation à cul carré gréée d’une misaine et d’un Taillevent bômé – au cabotage, le mot correspond plus précisément à un gréement mixte avec misaine au tiers et grand voile à corne. Bien qu’il soit fréquemment utilisé dans les documents administratifs, notamment dans le quartier de Lannion, le mot n’est pas souvent employé par les marins, du moins par ceux de la dernière génération. Les termes utilisés tant par l’administration que par les pêcheurs peuvent varier selon les localités, et des appellations différentes désignent parfois des bateaux identiques dans des ports peu éloignés. Ainsi la Sophie, construite en 1911 chez Moguérou à La Croix en Carantec pour Sophie Briand et Yves Robin de Trébeurden, est-elle d’abord qualifiée de flambart. Pourtant, dans son certificat, le constructeur Moguérou affirmait « avoir fait une péniche à deux mdts ». Enfin à Perros, où l’embarcation est revendue en 1924 au capitaine Geoffroy, elle sera cette fois qualifiée de… lougre, selon l’habitude locale.
Lourds à l’Est, légers à l’Ouest
En Bretagne Nord, le vocable très général de flambart – utilisé ici par commodité – recouvre en fait deux grandes familles d’embarcations présentant des caractéristiques architecturales bien différentes, mais qui s’influencent parfois mutuellement, donnant naissance à des types intermédiaires, notamment dans les zones de contact comme la baie de Saint-Brieuc. A l’Est de Tréguier, on rencontre une majorité de coques profondes et lourdement lestées, présentant un maître-couple en V souvent très accusé. L’exemple le plus extrême de ce type de formes est apporté par les petits flambarts de Granville dont la voilure, le tirant d’eau et le déplacement sont particulièrement importants.
Le gréement de ces lourdes chaloupes à cul carré apparaît souvent influencé par celui de la bisquine, avec un foc amuré sur un très long bout-dehors, un grand mât implanté sur l’arrière du milieu et fortement incliné portant taillevent et hunier; le mât de misaine, plus vertical, est en général dépourvu de hunier, même si Cancalais et Granvillais n’hésitent pas à hisser deux phares complets sur de véritables coquilles de noix. Les taillevents sont toujours établis sur un gui débordant l’arrière, sauf en baie de Saint-Brieuc où ces voiles sont moins souvent bômées qu’à bordure libre. Sur les « lougres » du Légué, on préfère souvent rallonger la coque par l’adjonction d’un curieux faux tableau qui permet d’établir un taillevent à bordure plus longue sans recourir à l’emploi d’une bôme. Pratiquant des métiers qui demandent de la puissance et du coup — le plus souvent, le chalut à perche et la drague à huîtres —, ces bateaux sont pour la plupart pontés (certains lougres du Légué possèdent une sorte de « baignoire »).
A l’Ouest de Tréguier au contraire, les chaloupes, plus légères, ne sont plus pontées; leur carène est de moins en moins profonde à mesure que l’on progresse vers l’Ouest, la propulsion à l’aviron devenant de plus en plus importante. Dans l’Est de cette zone, on trouve encore des flambarts bien voilés à mâts haubanés, d’assez fort déplacement, comme les gabares à goémon de la baie de Perros, qui jaugent autour de 8 tonneaux. De Ploumanac’h à Locquémeau, les bateaux, plus légers, possèdent une mâture mobile, et des lignes assez tendues. Beaucoup pratiquent à la fois la pêche à la sardine, qui exige une bonne marche à la voile comme à l’aviron, et le transport du sable, du maërl et du goémon qui demande un faible tirant d’eau et une coque ouverte sans beaucoup de lest.
En baie de Morlaix, l’évolution se poursuit et l’on trouve carrément des bateaux « voile-aviron » à déplacement et à gréement légers, souvent construits à clins, qui pratiquent selon les cas le pilotage, la pêche, et la collecte des amendements marins : ce sont les fameuses péniches, dont le souvenir est attaché au petit port de Pempoul où elles ont survécu un peu plus longtemps, mais qui étaient auparavant plus largement répandues dans la région.
Au milieu du XIXe siècle, l’examen des matricules des navires du quartier de Roscoff montre que la voile au tiers régnait ici aussi en maîtresse : on n’y rencontre alors que des bateaux et des péniches, les seuls sloups non pontés recensés étant des borneurs d’un peu plus fort tonnage armés par les passeurs de l’île de Batz.
En Trégor, la genèse du flambart, parfaitement attestée par de nombreux documents, est plus lisible que celle des bateaux de haute Bretagne, où l’influence du gréement des bisquines se fait manifestement sentir. A l’origine, en basse Bretagne, on a des embarcations relativement légères, gréées d’une misaine et d’un tapecul à bordure libre, stade dont les canots de Ploumanac’h témoignent encore vers 1900. Dès les années 1860, certains bateaux, tels ceux de la baie de Lannion, adoptent une bôme sur le tapecul qui peut ainsi déborder le tableau arrière. Puis ce tapecul, devenant taillevent, se développe progressivement et acquiert une surface égale, et bientôt supérieure à celle de la misaine, pour atteindre une taille vraiment impressionnante sur les derniers flambarts sardiniers de Locquémeau.
Les flambarts sardiniers
Entre 1880 et 1950, le port de Locquémeau, à la pointe du Séhar, est le centre de gravité de la baie de Lannion. Disparue de nos jours, la sardine abonde alors dans les eaux du littoral trégorois. De juin à octobre, sa capture constitue l’activité exclusive des pêcheurs locaux. Au plus fort de la période sardinière, au début du siècle, soixante sloups et flambarts accostent chaque jour à Locquémeau, unique port sardinier de la côte Nord de Bretagne, tandis qu’à la pointe du Séhar fonctionnent deux conserveries et des chantiers navals.
L’important essor du port ne remonte toutefois qu’au milieu du XIXe siècle, bien que la pêche à la sardine soit de tradition ancienne en baie de Lannion — il y avait déjà des presses à Coz Yaudet au XVIIIe siècle. L’impulsion décisive est donnée par l’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Morlaix-Brest en 1865, qui permet aux mareyeurs d’expédier leur poisson « en vert ». Port le plus proche de Morlaix, Locquémeau sert de point de ralliement aux nombreux canots de pêche de la baie.
A partir de 1880, l’essor de la flottille est rapide. En 1900, vingt et un bateaux sont inscrits à Locquémeau, en 1909 on en compte déjà soixante-seize ! Au tournant du siècle, la vie du port est rythmée par deux métiers fort différents : de juin à octobre, on pêche la sardine, tandis qu’en hiver on récolte du goémon ou on pratique l’extraction du maërl — un engrais pour l’agriculture — et, dans une moindre mesure, du sable, activité plutôt assurée par des bateaux du Yaudet, de Servel ou de Lannion. Le maërl chargé par les flambarts de Locquémeau est débarqué au port, près de Dossenn Rouz, tandis que la flottille des sabliers décharge à pleine mer le long des quais de Lannion.
Au maërl, les bateaux sont échoués sur le flanc pour faciliter le chargement qui s’effectue à la pelle. Alourdis par de pleines batelées de maërl, de goémon ou de sable, les flambarts font voile sur le port, franc-bord réduit au minimum. Et les accidents ne sont pas rares : en douze ans, entre 1896 et 1908, le quartier maritime de Lannion enregistre vingt-huit naufrages, entraînant la disparition de dix-neuf marins.
Mais l’activité maîtresse de Locquémeau, c’est la pêche à la sardine. En pleine saison, elle occupe près de quatre cents marins ! Pratiqué épisodiquement depuis le XVIIIe siècle, ce métier ne prend son essor en baie de Lannion qu’à partir de 1870, grâce à un négociant lannionnais, M. Rustuel. Dès cette époque, il s’emploie à organiser la pêche, et construit une conserverie à Locquémeau en 1880. Son succès est rapide : en une décennie le nombre de bateaux passe d’une dizaine à plus de soixante-dix, et dès 1884, on compte quatre sardineries ! La pénurie du début du siècle les oblige toutefois à cesser leurs activités en 1906 et 1909. Mais dans l’entre-deux-guerres, deux usines rouvriront leurs portes : les établissements Collet et Armelin, bientôt connus sous le nom de Conserveries de la baie. Elles fonctionneront — irrégulièrement — jusqu’en 1954, date à laquelle le poisson disparaît de la baie.
L’équipage d’un flambart sardinier comprend trois ou quatre hommes. Les marins sortent deux fois par jour à la belle saison. La technique de la pêche, qui s’effectue à l’aviron, bateau démâté, est identique à celle pratiquée en Bretagne atlantique (voir ArVag, tome 1). Les sardines sont débarquées à partir de l’une des deux cales de Locquémeau — de basse ou de haute mer —, bien abritées des vents de Nord-Ouest, et apportées aux conserveries dans des paniers ronds en noisetier. On les y dépose sur des tables marquées au nom du bateau.
L’évolution du type
Grâce à un relevé effectué en 1866 par le futur amiral Pâris, et à une série de dessins publiés en 1884 par Alexandre Brun, on connaît fort bien l’architecture des flambarts de la baie de Lannion dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Les caractéristiques les plus notables des grands canots construits à cette époque au chantier Meuric sont leur étrave élancée, et leur tirant d’eau modéré allié à un faible relevé de varangues; leur gréement à deux mâts non haubanés comporte un modeste taillevent bômé plus petit que la misaine et qu’on qualifierait ailleurs de tapecul. L’aménagement de ces bateaux creux présente une particularité remarquable — que l’on retrouve sur les photographies des sabliers de la rivière de Lannion au début du siècle —, le court pontage transversal entre les deux mâts, qui laisse un espace de manœuvre à l’avant pour l’homme de misaine, mais permet de tenir des effets au sec.
A partir des années 1880, les flambarts sont construits par le chantier Robert Collet — dont le patron dirige également la sardinerie du même nom — qui ne cessera son activité qu’en 1930. Un troisième constructeur, Yves Landouar, s’installera en 1934 et travaillera jusqu’en 1952. Certains flambarts sont également lancés au chantier Sibiril à Pen al Lan, en Carantec, ce qui ne sera pas sans influence sur l’évolution du type.
C’est sans doute à la veille de la Première Guerre mondiale que les grands flambarts de Locquémeau ont la silhouette la plus racée. L’étrave est droite, le tableau peu incliné, le franc-bord reste assez bas malgré l’allongement de la coque; le taillevent hissé sur un mât incliné sur l’arrière commence à s’agrandir et à s’apiquer de manière spectaculaire. Après 1920, la coque s’élargit, le franc-bord augmente, un retour de galbord apparaît, l’étambot s’incline et le tirant d’eau arrière devient très important, les flambarts se spécialisant dans le métier de la sardine et abandonnant le transport du sable. La carène devient identique à celle des cotres de la baie de Morlaix, quelques unités étant même dotées d’une petite voûte carrée dans le plus pur style des constructeurs carantécois.
Les derniers flambarts construits chez Collet sont, selon Louis Bonny qui navigua à leur bord, des voiliers maniables, bons marcheurs et parfaitement adaptés à la pêche à la sardine, qui se terminait souvent en régates, car arriver le premier au port permettait de réaliser la meilleure vente. « Ils sont bien quillés, précise-t-il, ont une certaine culotte, un beau galbe, bons porteurs de toile et souples à la mer. » La coque est construite en chêne (étrave, étambot, membrures), en orme (quille et petits fonds) et bois du Nord (bordages des hauts). Elle est équipée de trois bancs — dont le principal au centre reçoit l’étambrai du grand mât —, d’une petite chambre arrière et de planchers mobiles. L’abri transversal de l’avant, qui caractérisait les sabliers, a disparu.
Le gréement de flambart reste en usage à Locquémeau jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs voiliers bien typés seront encore construits après 1920 — ainsi le Poilu et la Marie, respectivement lancés en 1920 et 1924, ce dernier servant de modèle pour la reconstitution du Barr Awel en 1991. La mémoire de ce type de bateau, oublié partout ailleurs, est donc exceptionnellement vivante à Loquémeau, où des régates ont encore opposé les dernières unités ainsi gréées dans les années 1930.
Les flambarts goémoniers
A l’inverse de ceux de la baie de Lannion, les gros flambarts utilisés de Perros-Guirec à Port-Blanc pratiquent avant tout le transport du sable et du goémon, la pêche n’étant pour les marins qu’une activité complémentaire. On en relève plus de soixante-dix construits à Perros et surtout à Plougrescant entre 1865 et 1905. Les plus grandes unités sont basées au Lenn à Perros-Guirec, qui est également un port de cabotage et de bornage important; les équipages se recrutent sur Louannec, Trélévern (havre de PorzSpern) et Trévou-Tréguignec (Trestel).
Avec ces forts voiliers, on récolte le goémon noir (teil denved en breton) pendant la période hivernale, d’octobre à mars; durant la belle saison, d’avril à septembre, les marins ramassent du sable et du maërl, et font en alternance la pêche côtière (casiers et ligne). La cueillette du goémon se fait essentiellement dans les îles, notamment aux Sept-Îles, au large de Perros-Guirec. Le trajet s’effectue à la voile, ou à l’aviron en cas de manque de vent, deux hommes nageant sur chaque aviron, debout sur les bancs.
Arrivé sur les lieux de coupe, à marée descendante, le bateau est échoué et béquillé, puis l’on place soigneusement sous ses flancs de gros cailloux plats surmontés d’une planchette de bois amarrée avec un bout, pour protéger les bordés. Les deux béquilles sont ensuite escamotées : elles ne résisteraient pas au poids du chargement. La coupe peut alors commencer. Quand elle est terminée, le patron prospecte les alentours pour la marée du lendemain et marque l’endroit choisi à l’aide d’une bouée.
Un chargement complet représente trente-six civières de goémon, correspondant à une charretée de trois chevaux, soit quatre ou cinq tonnes. Pleine à ras bord, souvent à la limite de la rupture de charge, la gabare se soulève avec le flot. On récupère alors les planchettes d’échouage et le voilier regagne la côte pour livrer son goémon aux paysans. Le travail est dur, aussi une coutume locale, bien vivante au port de Trélévern, veut-elle qu’après le déchargement du goémon, l’équipage -généralement le patron, trois matelots et un mousse — ait droit à une bouteille d’eau-de-vie au bistrot le plus proche du quai. Sur celle-ci, le patron noue son mouchoir indiquant qu’ elle est pour son équipage. La bouteille est remise vide, afin d’être remplie pour la marée suivante.
En été, période calme, les goémoniers navigants travaillent leur lopin de terre, ou se font embaucher dans les grosses fermes comme ouvriers saisonniers pour couper le blé à la faucille. Comme dans le Léon, des liens étroits unissent d’ailleurs les communautés paysannne et maritime. Certains marins naviguent aussi au cabotage, et Trélévern a ses capitaines, tel Jean-Marie Le Brozec.
La fréquence des naufrages inhérente au métier de goémonier incite les marins à créer à la fin du XIXe siècle une « association de prévoyance » pour assurer leurs bateaux. Quête d’une autre protection, d’ordre spirituel ? Les gabares de Trélévern adoptent très souvent des noms de saints tels Sant Ervoan, Saint-Georges, Saint-Henri, Saint-Yves… ce qui les distingue des autres bateaux de la région.
Dans les dossiers de navires du quartier de Lannion, les flambarts généralement qualifiés de « lougres » sont parfois appelés « bateaux d’engrais de mer ».
Ar vag dor gommon
De leur côté, les gens de la côte parlent souvent en français des « gabares de Trélévern et du Trévou ». Mais entre Perros-Guirec et Tréguier, où dans le premier tiers du siècle le breton est d’usage courant, les marins les appellent parfois ar flambart (voire /lobait ou plus simplement ar vag dor gommon (le bateau faisant le goémon), à moins qu’ils ne les surnomment plaisamment bottoiers coat (les sabots) ! Différents termes aident à décrire ces voiliers : leurs lignes pleines sont qualifiées depogn ou kovek (bateau qui a du ventre). Selon les témoignages des anciens, ces bateaux aux formes puissantes, mais manouvrants et relativement rapides grâce à leur ample voilure, étaient bien adaptés aux dures conditions de navigation que l’on rencontre dans les parages des Sept-Iles.
Le flambart goémonier grée un foc sur un bout-dehors long de quatre mètres, qui prend souvent un apiquage vers le bas très caractéristique, notamment en régate, lorsque plusieurs hommes étarquent à fond la sous-barbe en se suspendant à l’extrémité de l’espar. Le mât de misaine implanté dans le tillac avant est tenu par deux haubans mobiles tout comme le grand mât, dont le haubanage rappelle sur l’avant. Le taillevent, dont le long gui dépasse de deux mètres environ le tableau arrière, est amuré très bas. Au total, la voilure atteint près de 80 mètres carrés. Dès le début du siècle, les vergues sont bien apiquées et la bordure du taillevent est très ascendante, ce qui achève de donner à ces flambarts une silhouette très typée.
Haute de franc-bord et bien défendue de l’avant avec une puissante étrave verticale, la coque large et volumineuse se termine par un tableau arrondi, peu incliné, mais bien dégagé. L’aménagement comporte un tillac avant, accessible par un panneau et une porte coulissante, qui peut abriter un homme ou « trois moutons », puis deux cales vaigrées de taille inégale séparées par le banc central. Sur l’arrière, un second banc muni d’une cloison permet d’isoler l’équipage de la cargaison. On épuise l’eau à l’aide d’une pompe et d’une écope en bois emmanchée, appelée skull. Le matériel du bord comprend par ailleurs fourches, faucilles et civières pour le goémon, et une drague formée d’un sac de toile fixé à une structure de fer triangulaire en demi-lune, permettant à trois ou quatre hommes de remonter à chaque fois cent kilos de charge, pour le sable ou le maërl.
Le dernier gros flambart, inspirateur d’Ar Gentiles, sera l’Espérance de 8,24 tx, lancé en 1906 par le chantier Bernard de Plougrescant pour la famille Le Grossec et qui naviguera encore dans l’entre-deux-guerres. A cette date, on ne construit plus guère que des sloups motorisés sur le gabarit des goémoniers léonards.
Les constructeurs
Avant 1914, les flambarts de la baie de Perros sont construits occasionnellement au chantier Camus à Ploumanac’h, plus souvent chez Briand à Perros et surtout par Bernard à Plougrescant, ce dernier réalisant les plus forts bateaux. Nicolas Briand dit « Kolas », né vers 1850, était charpentier-cal-fat itinérant et se déplaçait de Ploumanac’h à Trélévem, mais construisait la plupart de ses bateaux à Perros. Son fils Adrien, né en 1898, se spécialisera dans la construction de petites unités à Ploumanac’h et dans le carénage des caboteurs. A Plougrescant, trois générations de Bernard — tous prénommés François — ont lancé de nombreux flambarts au Roudour en Pors Scarff. A la fin du XIXe siècle, l’aïeul, surnommé « an Hermit coz » ou « Bernard l’Ermite », construisait les plus grosses unités dans un champ dit « ar chantier » en haut de la grève de Pors Scarff; les bateaux étaient mis à l’eau à bras d’hommes et déplacés sur des rondins en bois. Les petites embarcations construites dans son atelier de Prat Vilin étaient traînées sur un chariot à quatre roues. Les lancements étaient l’occasion d’une petite fête, le nouveau patron se devant d’abreuver la compagnie. La femme de l’aïeul, aidée de ses filles, tenait une petite ferme à côté de l’atelier pour augmenter les ressources familiales. Souvent, les charpentiers voyant la pauvreté des pêcheurs, n’avaient pas le cœur de leur demander trop cher, et le chantier rapportait bien peu.
Les chaloupes de Dahouët
Malgré un accès difficile, considéré même au XVIIIe siècle comme franchement périlleux, Dahouët a une longue histoire maritime. Ce petit port d’échouage de la baie de Saint-Brieuc — aujourd’hui doté d’un bassin à flot — bénéficie d’un site remarquable, sorte de fjord naturel offrant un parfait abri.
Chalutage et drague
Tout comme le cabotage et la grande pêche à Terre-Neuve puis à Islande, la pêche côtière est de tradition ancienne à Dahouët. En 1830, Habasque y recense six barques occupées à la drague des huîtres, mais déjà des problèmes de surpêche, dus semble-t-il aux Cancalais et aux Normands et dans une moindre mesure aux Anglais, font disparaître les bancs — les Dahouëtins en garderont un durable ressentiment contre les « marchands d’orbiche », surnom des Cancalais. Cette pêche devient alors très surveillée et, vers 1860, le chalutage prend le relais de la drague des huîtres, dont les bancs ont été dévastés. Les bateaux creux de Dahouët y excellent, concurrençant dit-on les grandes bisquines.
Cavelier de Cuvervillle, lieutenant de vaisseau, étudiant en 1863-1866 la pêche côtière en baie de Saint-Brieuc, et particulièrement celle des huîtres, préconise l’emploi de bateaux pontés, plus sûrs. Probablement est-ce le point de départ des chaloupes dahouëtines. L’ingénieur Pelaud signale en 1878 environ huit barques à Dahouët : c’est le nombre de chaloupes pontées que l’on retrouve sur les documents de 1900. Après la Grande guerre, l’effectif des chalutiers se réduit à trois cotres à Dahouët et trois bisquines à Erquy, tandis que se développe une flottille de doris, souvent achetés aux morutiers.
La chaloupe pontée de Dahouët
La taille des grandes chaloupes pontées de Dahouët, destinées principalement au chalutage, varie de 8 mètres (Jeune Julia) à 9,10 mètres (Rosalie, Saint-Laurent, Amélie, Saint-Sébastien, Pauline), le tonnage utile allant de 3,70 tx à 7,90 tx. Leurs coques ont pris le type général de la baie de Saint-Brieuc où l’on sent l’influence des bis-quines, mais il n’y a jamais de voûte : le tableau est de rigueur. Celui-ci est encore plus ou moins incliné, et les formes se sont affinées, surtout sur les grands modèles. Le vaigrage des pavois semble fréquent; probablement est-il lié à l’ancienne tradition de dragage des huîtres. La coque est peinte en blanc avec un liston en relief (même sur les canots). Seul le bateau pilote fait exception. L’utilisation de peinture et non de coaltar est sans doute une habitude héritée de la grande pêche et du cabotage.
Le mât de misaine, vertical, a une fusée réduite, peinte en blanc. Nettement plus haut, le grand mât, en position reculée, possède une forte quête arrière; sa fusée, plus longue, est également blanche. Contrairement à celui des bisquines, il est implanté sur l’arrière du grand panneau de cale. Les deux espars non haubanés sont tenus par des bastaques, auxquelles il est possible d’ajouter un étai volant. Le gui de la grande voile dépasse le tableau. Seule cette voile est surmontée d’un hunier au tiers. La misaine s’amure au pied de son mât. Les vergues sont disposées alternativement d’un côté ou de l’autre — ainsi la Pauline a-t-elle sa grande vergue à bâbord, tandis que le Saint-Sébastien l’a à tribord. Au mouillage, le foc se ferle — comme sur un chasse-marée — sur le long bout-dehors qui fait plus de la moitié du bateau. Il n’existe en général pas de treuil, la barre de chalut étant relevée à l’aide des bastaques. Celles-ci sont au nombre de quatre — une de chaque côté de chaque mât — et présentent, par rapport aux haubans fixes, l’avantage de libérer la place du train de pêche.
Un autre modèle de chaloupe existe à Dahouët. Non ponté, plus petit (de 6 à 7 mètres), plus trapu, il n’est pas sans rappeler le « dragous » de Saint-Jacut (ainsi l’Andrea à Gabriel, ou le Joseph-Jeanne à Cardin). L’existence d’une grande voile basculée, faisant penser à celle des flambarts trégorois, et l’absence de tille (réduit avant) évoquent l’allure des canots de l’Ouest. Ces embarcations de taille réduite ne semblent pas employer le chalut, qui serait sans doute gêné par la présence de bancs.
Les quatre vies de la belle Pauline
Destin original que celui de la Pauline : lan-cé le 4 juillet 1901 par un chantier de Kerity-Paimpol, ce petit lougre ponté de DahouEt de 5 tx (long de 8,60 m pour une largeur de 3,60 m) fera le pilotage, le chalutage ou le cabotage, tantôt chez les « Brettes », tantôt chez les « Gallos », avant de disparaître…
Chez les Pouchots de Dahouêt
En 1899, à 33 ans, Hippolyte Guinard devient le septième pilote-lamaneur de DahouCt, succédant à son oncle dont il reprend le lougre Saint-Sébastien. Deux ans plus tard, il fait construire la Pauline (SB 737), sur lequel il naviguera, avec un matelot, jusqu’en 1910. Mais le métier de pilote est peu rémunérateur — les tarifs n’ont pas changé depuis 1857 ! — et « Polyte » doit, comme ses prédécesseurs, compléter ses revenus en pratiquant le chalutage en zones réservées. Hippolyte Guinard acquiert un bateau à moteur en 1910, et revend alors son lougre. Si la mémoire populaire n’a pas tout à fait oublié cette période — quelques anciens racontent encore des histoires du vieux DahouCt qui n’intéressaient pas le beau monde de la proche station touristique du Val-André —, il ne restait plus de témoins directs du « batiau à Polyte » quand les enquêtes sur l’histoire du lougre ont été menées.
Chez les Gris d’Erquy
Les frères Pellois ramènent la Pauline à Erquy en 1910. C’est alors, se souvient Monsieur Le Rudulier, marin long-courrier, « une des plus petites et des plus fines bisquines du port ». Les photos de l’époque montrent qu’on lui a laissé son gréement et son gui de flambart; elle est seulement repeinte avec un liston plus étroit. Elle tient compagnie à un autre flambart construit en 1910, la Sarcelle (SB 32) à Pierre Névot. Les Pellois semblent avoir essayé de pratiquer le bornage en été et la petite pêche en hiver. Jean, le « matelot patron », se trouve très vite avec un équipage réduit (six hommes la première année, dont un capitaine au cabotage, deux la deuxième). Il essaye alors de faire inscrire sa femme sur le rôle, niais elle est refusée, « ne pouvant être embarquée comme matelot ». La Pauline disparaît des rôles en 1914 pour n’y réapparaître qu’à sa vente, en 1917.
Chez les Brettes de Pleubian
Vendu à Eugène Lamandé, de Larmor-Pleubian, le lougre est réimmatriculé au quartier de Tréguier sous le numéro 693. Les rapports des gens de DahouCt avec les bretonnants de la côte d’Olva étaient très bons, surtout avec les Pleubiannais, qui fréquentaient beaucoup leur port. Es venaient charger bien sûr des patates, mais emportaient aussi des pommes « et souvent des cuites ! » Nombre de bateaux dahouêtins ont fini leur carrière à Larmor (Louis-Marie, Frère-et-Sœur, Audacieux) et bien des équipages ou des capitaines y étaient recrutés.
Eugène Lamandé prend un rôle au bornage dans une zone allant de Saint-Malo à Roscoff, mais il tombe bientôt malade et meurt en 1918. Son successeur, Joseph Le Tance, fait de la Pauline un goémonier. Comme à l’habitude dans cette région, le lougre est regréé en bocq à corne. Monsieur Croajou, de Pleubian, se souvient avoir navigué sur le bateau de son cousin Job : fin, élégant, il manœuvrait bien.
Mais la Pauline ayant trop de tirant d’eau pour les passes de Larmor, elle a du mal à rejoindre l’usine par grande marée. Aussi décide-t-on d’enlever et scier les galbords et de rectifier les varangues pour remonter la quille. On agrandit également le panneau de cale pour charger le goémon. « On évitait une gîte trop forte à l’échouage de ce bateau profond, précise Monsieur Croajou, en l’équipant d’un pi/- bost » . Ce billot de bois, retenu par une chaîne en bas sous la quille et par un bout sur le plat-bord, portait sur le fleur (bouchain) ou les flourennou (bordés d’échouage).
En 1923, l’usine de traitement de Penlann à Larmor achète une demi-douzaine de bocqs, dont la Pauline. Celle-ci fait le goémon jusqu’ en 1930 environ. Elle est mise au plain en 1931, lors de la cessation d’activité de la société due à la concurrence de l’iode et des nitrates du Chili. Selon Monsieur Kerleau de Lanmodez, des goémoniers de la Rivière (le Trieux) l’ont ensuite récupérée. Elle aurait fait naufrage à pleine charge près de l’île Maudez vers 1933 en talonnant une roche. C’en est fini des trois carrières de la chaloupe de Dahouët… mais son sosie la ressuscitera pour une quatrième vie soixante ans plus tard, renouvelant encore le type d’activité pratiqué par le voilier !
La renaissance des flambarts
En huit ans, de 1984 à 1992, cinq flambarts, tous très typés et bien représentatifs de leur port d’origine, ont vu le jour sur le littoral des Côtes-d’Armor. Chacune à sa manière, ces reconstitutions de voiliers de travail ont été l’occasion d’une redécouverte progressive de la richesse du patrimoine maritime de la côte Nord de la Bretagne.
L’impulsion est donnée dès 1982 par l’association Communes-École de mer de Lanmodez, dont l’objectif est de faire construire un voilier traditionnel neuf. Une manière de braver les idées reçues qui circulent alors sur les « vieux gréements ». Lancé en 1984, An Durzunel (« la tourterelle », ou « la jolie fille » en breton) ne cesse de naviguer depuis lors, sans moteur s’il vous plaît !
Deux ans plus tard, la maquette de dragons réalisée par Gilles Godefroy d’après l’article de Michel Duédal paru dans le n°1 du Chasse-Marée, suscite l’enthousiasme de quelques passionnés. « Et si on en construisait un vrai ? » lancent-ils, avant de créer l’association Le dragous de Saint-Jacut. Ce n’était alors qu’un voeu pieux, mais l’idée fait son chemin et les gens de Saint-Cast y adhèrent. Les voisins canca-lais, qui ont déjà lancé leur bisquine, montrent la marche à suivre, et Frotte Berniques navigue dès l’été 1988 ! Il se rend même au rassemblement de Douarnene 88 : deux semaines de navigation à la voile le long des côtes de Bretagne sur un bateau creux de 6,60 mètres. Difficile d’imaginer plus belle initiation !
L’année suivante, au retour de la fête du chant de marin de Paimpol, les frères Eouzan, de Dahouët, se prennent à rêver à une réplique des goélettes islandaises, nombreuses dans ce port au début du siècle, pour participer au concours « Bateaux des côtes de France ». Finalement, un projet moins ambitieux, mais plus original, jaillit d’une discussion sur le quai avec Jacques Guéguen, autour d’un canot en restauration. Ce chercheur averti a remarqué sur des cartes postales un type de bateau aux caractéristiques surprenantes, et peut-être spécifique à Dahouët. C’est le début de l’aventure de la belle Pauline, et de l’association Une chaloupe pour Dahouët, qui rassemble bientôt une bonne part de la population locale. Le bateau est lancé deux ans plus tard.
Quant aux flambarts de Perros-Guirec et de Locquémeau – Ar Centiles (« les Sept-Îles ») et Barr Awel (« Coup de vent ») –, ils voient tous deux le jour grâce au rôle moteur des municipalités concernées, qui saisissent l’opportunité offerte par le concours « Bateaux des côtes de France » pour galvaniser les énergies autour d’un projet de mise en valeur du patrimoine local.
Dès 1988, inspirée par le succès des fêtes de Ploumanac’h, la ville de Perros-Guirec souhaite faire reconstruire un de ses anciens voiliers de travail, mais la mémoire en a été perdue et l’on hésite sur le type à choisir; aussi l’équipe municipale répond-elle avec enthousiasme à une suggestion du Chasse-Marée lui signalant l’existence d’un type de flambart oublié, mais fort intéressant et bien spécifique de cette côte, les gabares de Trélévern.
A Locquémeau au contraire, certains flambarts naviguaient encore après-guerre, et bien des habitants de la commune – à commencer par le maire, Joël Le Jeune – se rappellent leur silhouette. Ici le choix du type de bateau n’a pas besoin d’être discuté ! En outre, la démarche de cette municipalité s’inscrit dans un projet plus large d’aménagement et de développement du port, qui se poursuit aujourd’hui : Locquémeau participe maintenant au concours « Patrimoine des côtes et fleuves de France ». Ar Centiles et Barr Awel seront tous deux mis à l’eau juste à temps pour participer à Brest 92.
Sur les traces de Pauline, de Marie ou de l’Espérance…
Comment reconstituer à l’identique un bateau dont il ne reste pas même une épave ? Pratiquement aucune carcasse de flambart n’est parvenue jusqu’à nous ! Le premier recours est de se tourner vers les ouvrages maritimes existants. Au début des années 1980, on dispose d’une première synthèse relative aux voiliers de travail bretons de la Manche : Bateaux des côtes de la Bretagne Nord, publié en 1976 par Jean Le Bot. L’auteur y présente une intéressante série de plans recueillis au chantier Lemarchand de La Landriais. Par chance, ce charpentier a construit ou s’est documenté sur des types de bateaux fort variés, utilisés de la baie de Saint-Brieuc à celle du Mont-Saint-Michel. Un siècle auparavant, un grand précurseur de l’archéologie navale, le futur amiral Pâris, avait relevé les formes de plusieurs types d’embarcations traditionnelles du Trégor-Goëlo, qu’il avait publiées dans ses précieux Souvenirs de Marine.
Les travaux de ces deux pionniers de l’ethnologie maritime ont fourni la base documentaire nécessaire pour reconstituer un dragous de Saint-Jacut, sur un plan de Lemarchand, et surtout un lougre de Loguivy d’après le relevé effectué en 1866 par Armand Pâris. A l’exception d’un second plan (publié en 1887 dans Le Yachl), aucun autre document précis sur ce type de bateau n’a pu être retrouvé : il a déjà presque totalement disparu quand les premiers photographes fixent sur le papier l’image de la flottille locale !
Si l’on ne dispose qu’exceptionnellement de plans, la seconde source à mettre à contribution est bien sûr la documentation iconographique, cartes postales du début du siècle ou tirages inédits de plaques de verre. En l’occurrence, la recherche auprès des organismes officiels, alors mal équipés pour la mise en valeur de leur fonds photographique, s’est souvent avérée décevante; par contre, l’aide des collectionneurs locaux s’est révélée fort efficace.
L’examen attentif de ces nombreux clichés a permis d’observer, pour chaque flambart, des détails de gréement, de plan de pont, ou d’espars, qui s’avéreront précieux pour la reconstitution. Certaines photos sont même tellement précises qu’elles vont permettre de choisir au sein de la flottille le voilier qui servira de modèle pour la reconstruction. Ainsi à Locquémeau décide-t-on de faire une réplique de la Marie, un des derniers flambarts du port, construite en 1924 au chantier Sibiril à Carantec et dépecée en 1960.
Les cartes postales permettront même de redécouvrir un type de voilier spécifique à Dahouët, et jamais mentionné qu’ alors. Observant à la loupe une carte intitulée « Un jour de régate à Dahouët », où il croit d’abord reconnaître une petite « bisquine » immatriculée à Saint-Brieuc, Jacques Guéguen ne manque pas d’être intrigué : « Voilà une drôle de bisquine, qui n’a pas l’air d’avoir de voûte ! »
Troisième source disponible, pour peu que l’on fasse l’effort de s’y plonger : les archives de l’Inscription maritime. Remarquablement précises, puisqu’elles ont une fonction de contrôle administratif, elles permettent de reconstituer la liste des bateaux ayant travaillé dans le quartier maritime, mais aussi l’histoire et les caractéristiques de chaque unité : numéro d’immatriculation, nature de l’armement, type (« lougre à deux mâts », « flambart », « chaloupe »…), tonnage, tirant d’eau, lieu et date de construction, nom du propriétaire et du patron, circonstances de la fin du bateau (naufrage, dépeçage) et liste des matelots.
Quant aux archives de la Douane, elles indiquent notamment, grâce à l’acte de francisation, la liste des propriétaires successifs, le tonnage, le volume de la coque, la jauge — brute et nette —, et comportent parfois des certificats de jauge fort précieux pour une reconstitution. Enfin, elles fournissent le nom du constructeur, les dimensions exactes, le nombre de mâts, la forme de l’arrière. Malheureusement pour les associations des Côtes-d’Armor, ces archives sont incomplètes dans leur département. Remonter les pistes évoquées par chacun de ces documents tient de l’enquête policière, mais le résultat peut se révéler inespéré. Ainsi, ayant appris par le registre d’immatriculation que la Pauline avait été vendue en novembre 1919 en l’étude de maître Quérec, et sachant que les notaires faisaient scrupuleusement recopier les actes de francisation, on a pu retrouver celui de la Pauline chez son successeur, alors que la Douane en avait perdu la trace Intrigué par l’énigmatique « chaloupe trégoroise » dont il existe une carte postale assez connue -d’ailleurs publiée sous ce titre dans l’ouvrage de François Beaudouin —, un chercheur d’ArVag décide de mettre à l’épreuve la méthodologie qu’il a élaborée. Il entreprend de repérer ce type de bateau dans les registres matricules de l’Inscription maritime aux archives de la Marine à Brest, avant de faire le relevé complet des unités construites de 1865 à la Première Guerre mondiale. Puis il complète cette liste par une étude systématique des dossiers de navires des Douanes conservés aux archives départementales du Finistère, pour préciser les dimensions des bateaux et l’identité de leurs constructeurs. Dépouillant ensuite les rôles d’équipage, il repère les principales familles d’utilisateurs et note en particulier les noms et les hameaux d’origine des marins ayant navigué sur le dernier flambart construit et armé, l’Espérance à Vincent Le Grossec, qui ne fut dépecé qu’en 1934. Il ne restait plus qu’à rencontrer les descendants de ces marins pour recueillir la tradition vivante, ce qui fut fait avec succès. Bien orienté d’emblée, Christian Berrezai retrouve rapidement quelques témoins de la fin des flambarts — notamment Hervé Le Bourzec, qui navigua sur le Saint-Yves en 1920, et François Pouliquen —, mais aussi la famille des charpentiers Bernard, à Plougrescant, qui possède encore photos et maquettes de certains voiliers construits par ses ancêtres. En effet, rien ne peut remplacer les témoignages directs des marins ayant navigué sur ces voiliers, ou tout au moins ayant eu l’occasion d’en voir de près les derniers exemplaires. C’est ce qu’a compris dès 1980 Michel Duédal, le syndic des gens de mer de Saint-Jacut, qui publie dans le n°1 du Chasse-Marée le résultat de ses investigations auprès des « hommes et femmes de mer de Saint-Jacut », une enquête ethnographique de premier ordre qui nourrira le projet de reconstruction du dragous et lui donnera tout son sens. Un peu partout, les recherches menées dans le cadre du concours pour étayer toutes ces reconstitutions de flambarts vont permettre de retrouver de remarquables témoins de la voile au travail. Ainsi Louis Bonny, marin de commerce né en 1920 à Locquémeau, qui navigua sur les sardiniers avant-guerre. Bon maquettiste, il réalise d’après ses souvenirs un modèle de flambart qui sera précieux pour le chantier à venir. A Dahouët, la connaissance de l’histoire de la Pauline permet de trouver de précieux informateurs dans les divers ports où le bateau a navigué. A Erquy, par exemple, Louis Duclos a vécu sur le bateau de son père la fin du cabotage à voile, et se souvient des dernières bisquines et des lougres locaux dont il a fait des maquettes très fines.
A Lanmodez, Jean Kerleau, « charpentier de grève » qui réparait les embarcations sur la plage, donnera des indications très précises sur la Pauline, qu’il a connue à la fin de sa carrière, et en réalisera de mémoire une demi-coque. « Je me souviens très bien de la Pauline que je voyais tous les jours en allant à l’école à Pleubian ou en allant garder les vaches. J’en ai souvent parlé avec mon père. C’était un bateau fin, élégant, qui se distinguait de nos goémoniers. Le tableau était assez pe-tit et frégaté; c’était d’ailleurs une caractéristique des bateaux de pêche de ce temps : fort de l’avant va en avant, fort de l’arrière reste en arrière. »
La conversation avec Jean Kerleau, tant en français qu’en breton, est source de renseignements d’un exceptionnel intérêt sur la navigation côtière dans la région de Paimpol-Pleubian. Excellent modéliste, ce témoin est aussi un acteur, qui a participé activement à la reconstitution d’Enez Koalen, le bocq homardier de Loguivy lancé pour le compte de l’association Communes. Mais il faudrait citer, pour chaque flambart, bien d’autres informateurs…
Reconstruire !
Que les initiatives aient été associatives, comme à Saint-Jacut, Dahouët ou Loguivy, ou municipales, comme à Perros-Guirec ou Locquémeau, vient un temps où il faut concrétiser les projets, ce qui implique de se plonger dans les études techniques pour réaliser le bateau et de lancer dans le même temps les collectes de fonds pour boucler le budget.
Les plans définitifs du flambart à construire font l’objet de longues discussions. A Locquémeau, l’association en discute avec la famille du constructeur Rolland qui a conservé des gabarits, mais les pêcheurs qui travaillent encore aujourd’hui sur la commune y vont eux aussi de leurs conseils. A Perros-Guirec, on demande à l’architecte naval François Vivier de reconstituer le plan à partir des relevés de cotes tirés des dossiers des Douanes, de cartes postales et de renseignements collectés auprès des anciens. A Dahouët, la démarche bénéficie de sources multiples : on confronte plusieurs demi-coques et maquettes réalisées de mémoire par les anciens à une demi-coque conçue par Emmanuel Robert à l’aide des techniques les plus modernes — lecture au laser de cartes postales, permettant la définition de courbes de niveau de la coque, restituées par ordinateur.
La future utilisation des voiliers est également prise en compte. Ainsi la Pauline, bateau ponté, aura-t-elle dans sa cale sept couchettes, une grande table, des toilettes et une petite cuisine. Selon les flambarts, les budgets varient : 320 000 francs pour le Barr Awel, 500 000 francs pour la Pauline. Quelle que soit l’association, les recettes pour réunir ces sommes — importantes quand il s’agit de petites communes (Trédrez-Locquémeau ne compte que 1 600 habitants !) — sont les mêmes : d’une part, recherche d’aides publiques -et il faut souligner que les municipalités, le Conseil général des Côtes-d’Armor et le Conseil régional se sont montrés à la hauteur —, d’autre part, ingéniosité, sens de la communication et du commerce, et surtout dévouement bénévole ! Mais le soutien de la population est partout immédiat et encourageant : à Dahouët, une commune de 3 600 habitants, l’association compte bientôt 660 adhérents ! Ventes de membrures, fêtes ou « thés dansants », spectacles de chants de marins — assurés gracieusement par le groupe Boujaron à Locquémeau et Dahouët ventes de posters… les adhérents ne chôment pas !
Mais Brest 92 approche et il est temps que les voiliers soient lancés, s’ils veulent être de la partie ! La mise à l’eau de la Pauline sera clignement fêtée le 14 juillet 1991 — exactement 90 ans après celle du vrai « batiau à Polyte », mais Barr Awel et Ar Centiles ne rejoindront leur élément que quelques semaines avant le rendez-vous brestois, au cours de cérémonies populaires émouvantes. Le jour-même du départ pour Brest, les réglages ne sont pas encore terminés sur BarrAwel, et P’tit Louis Bonny, prenant un bain de jouvence, devra monter à bord du flambart pour virer quatre fois dans la passe afin de tester les réactions du bateau… « Ça marche, vous pouvez y aller ! » s’écrie-t-il, ajoutant, le verre à la main, un « ça s’arrose ! » retentissant.
Ce n’est pas sans émotion, avec une pointe de nostalgie et un soupçon d’orgueil, que l’équipe de bénévoles qui a œuvré de longs mois, à Locquémeau, à Perros-Guirec ou à Dahouët, comme auparavant à Loguivy ou à Saint-Jacut, voit s’éloigner le voilier symbolisant l’identité du port, pour son voyage vers l’Iroise.
Naviguer sur un flambart
La plupart des flambarts sont actuellement encore en période de réglages, car il s’agit d’un gréement délicat où tout est à redécouvrir. En attendant de consacrer un article technique approfondi à chacun des bateaux, voici quelques remarques provisoires sur leur comportement. Presque tous les flambarts ont rencontré de sérieuses difficultés de mise au point. Ainsi sur BarrAwel, le taillevent s’est-il révélé trop grand et inadapté à la carène, rendant le voilier dur à tenir et beaucoup trop ardent, d’autant que le gouvernail est nettement sous-dimensionné à cause de la cage d’hélice.
D’une manière générale, tous les bateaux ainsi gréés sont jugés très ardents, en dépit de leur long bout-dehors, qui ne pose d’ailleurs que peu de problèmes, même si la Pauline en a déjà cassé deux. Du coup, sur Ar Gentiles, par exemple, un enfant ne peut tenir la barre seul. Le gréement se révèle en revanche maniable — deux personnes peuvent manœuvrer ce flambart de 10 tonnes. Il est également très intéressant sur le plan pédagogique ; en effet, chacun a du travail à bord; on peut en outre gréer une cargue sur la misaine, ce qui permet de réduire très rapidement la surface de toile tout en conservant une voilure bien équilibrée. Cette disposition facilite les manœuvres de port. A Ploumanac’h par exemple, Ar Centiles fait des rentrées spectaculaires qui enchantent le public, en ne carguant la misaine qu’au niveau de la dernière perche balisant l’étroit chenal. Tous les patrons de flambarts le confirment, la navigation sous taillevent et foc seuls est très agréable sur ces bateaux à partir de force 3. Sur le Barr Autel et sur la Pauline, on remplace même le taillevent par la misaine par forte brise, ce qui leur confère un excellent comportement. Par vent de Sud-Ouest, au-delà de force 4, la Pauline peut aussi tirer des bords de largue sous misaine seule.
Sur le dragous de Saint-Cast, le gréement est d’une simplicité extrême et les mâts, de très fort échantillonnage, n’ont ni haubans, ni étais. En revanche leur calage à l’étambrai doit être réalisé avec beaucoup de soin. Sur le flambart de Perros, le taillevent bômé a tendance à cintrer fortement le grand mât lorsqu’il est bordé plat. Ar Gentiles a donc dû gréer quelque temps une balancine volante en étai. Une fois les cadènes de haubans avancées de cinquante centimètres, ceux-ci ont retrouvé la fonction d’étai latéral qu’ils avaient sur les gabares d’origine : à l’expérience, on retrouve la tradition !
Sur la Pauline; et bien que les chaloupes de Dahouët aient autrefois utilisé un étai volant, le mât a une tenue longitudinale suffisante pour s’en passer. En revanche, on a rajouté des haubans dans l’axe du mât et reculé les bastaques. La tenue du mât de misaine, placé très en avant de la coque, à un niveau où le débattement des bastaques-haubans est très faible, a posé de difficiles problèmes, car l’espar travaille beaucoup en flexion, surtout dans le clapot en mouillage forain. On a donc pris le parti de reculer les bastaques et de gréer une paire de haubans métalliques supplémentaires dotés de ridoirs.
La manœuvre du hunier ne pose pas de problème sur le dragous, où on le hisse toujours au vent du mât, du même côté que le taillevent; ainsi le hunier se plaque-t-il bien contre cette voile. A bord de la Pauline on utilise peu le hunier en navigation courante — les sorties durent deux heures et l’on n’a guère le temps de l’établir de façon « rentable ». D’ailleurs, actuellement il ne porte pas bien au plus près car la toile synthétique choisie pour la voilure de la Pauline s’est beaucoup allongée, ce qui nuit également à l’établissement de la misaine où il faut parfois prendre un ris de fond pour rattraper le creux. Sans doute la toile meunière mixte, plus résistante et d’aspect plus traditionnel, conviendrait-elle mieux à ces bateaux.
D’une manière générale, les flambarts sont jugés très matins — même si le Barr Awel, survoilé, enfourne un peu au portant —, mais assez peu évolutifs — à l’exception du caseyeur An Durenel—, sans doute plutôt du fait des coques que de celui des gréements. Au départ, Ar Centiles, mené par des marins venus de la voile moderne, manquait même souvent à virer; on a compris qu’il fallait utiliser systématiquement le foc bordé à contre, et bien choquer le taillevent pour redémarrer. Sur Frotte Berniques, s’il y a de la mer, mieux vaut laisser également la misaine à contre. Plusieurs flambarts embarquent une forte godille qui peut se révéler bien utile dans certaines circonstances, mais aucun n’utilise vraiment ses avirons.
Les petits flambarts peinent un peu au plus près serré dans la mer formée, mais sont très rapides au portant : « en allant à Erquy sur Ar Centiles, on a fait 12 nœuds de moyenne — avec l’aide du courant — pendant deux ou trois heures entre les Héaux et Bréhat, raconte Camille MangeL Je l’ai vu tenir aussi le Sant Chirec au retour des Sept-11es. » La Pauline, elle, s’avère excellente marcheuse à toutes les allures puisqu’elle « tient » les voiliers modernes de sa taille en cap et en -vitesse, du moins lorsque le da-pot n’est pas trop dur. Au largue, elle abat régulièrement ses 7 nœuds de moyenne. Seul bateau ponté de la famille, elle dispose évidemment d’un rayon d’action et d’une marge de sécurité supérieurs. La chaloupe de Dahouët est faite pour battre la mer, bien que la sortie de Dahouët soit impossible par vent de Nord-Ouest à partir de force 6; du fait du poids important de son grand mât long et très incliné, la belle Pauline, en vraie jolie fille, a seulement une certaine tendance à rouler des hanches par mer de trois quarts arrière.
Des flambarts pour quoi faire ?
Les cinq flambarts de Bretagne Nord ont un point commun : ils naviguent tout le temps ! A l’exception de la Pauline, tous fonctionnent dans le cadre d’écoles de voile. A Saint-Jacut, après avoir été géré par l’association, puis cogéré plusieurs années durant avec le Centre nautique de Saint-Cast, Frotte Berniques a été cédé à ce dernier en 1992 — ainsi que le macrotier Saint-Pierre —, et une section voile traditionnelle y a été ouverte. Depuis 1994, le dragous est devenu l’emblème du Centre nautique dont les moniteurs se sont pris de passion pour ce sympathique bateau. A Loguivy, An Durenel est toujours un des fleurons de l’École de mer du Trégor qui, après quelques difficultés, repart de plus belle. A Perros-Guirec, Ar Centiles, propriété de la ville, est géré par le Centre nautique municipal; les membres de l’Association pour la conservation et la sauvegarde du patrimoine maritime local ayant en charge l’entretien du bateau, financé grâce à une redevance versée par le Centre. A Trédrez enfin, l’association Le flambart de Locquémeau loue Barr Ave! depuis 1993 à la Fédération des œuvres laïques des Côtes-d’Armor, qui gère le Centre d’animation et de séjour du Vorlenn situé à proximité du port.
Les associations conservent néanmoins la jouissance de leur bateau quand elles décident de participer à certains rassemblements — en 1995, tous les flambarts se sont notamment retrouvés aux fêtes de Ploumanac’h —, ainsi que pour organiser des sorties le week-end ou en période de vacances scolaires. A Locquémeau, par convention, le voilier est réservé pendant une semaine de juin aux enfants de l’école du bourg. Ces deux activités complémentaires, scolaire et associative, permettent aux bateaux de naviguer près de dix mois sur douze, et de populariser très largement la pratique de la voile traditionnelle. Au fil des années, le dragous de Saint-Jacut, par exemple, a accueilli tant des clubs du troisième âge que des enfants — venus des banlieues parisiennes comme des environs de Saint-Cast —, ou encore des handicapés physiques ou mentaux. Sans oublier naturellement les amateurs de jolis bateaux et de belles manœuvres !
A Locquémeau, trois modules sont aujourd’hui proposés aux jeunes venant au Vorlenn (centre qui dispose de 55 places) : des « classes pratiques de mer » où les enfants découvrent la voile, la pêche, l’économie locales et le patrimoine maritime, des classes « écologie du littoral » — étude du milieu côtier, introduction à l’environnement, ateliers scientifiques —, et d’autres où l’on apprend « l’art du paysage ». L’expérience pédagogique est par certains côtés comparable à celle de l’école de mer de Lanmodez. Un des animateurs, Ronan Merlateau (patron du flambart, matelot et bosco confirmé) en est d’ailleurs issu. Pêcheurs, archéologues, botanistes, anciens marins de la voile… se succèdent pour transmettre leur expérience, et Barr Awel est mis à contribution lors de chaque séjour, à temps plein ou au moins pour une demi-journée. Les enfants montent à bord par groupes de sept, pour participer aux manœuvres, et observer l’environnement et le patrimoine du littoral. Certains jeunes, sensibles à cette richesse culturelle, en parlent avec tant de chaleur une fois revenus dans leur contrée d’origine qu’il n’est pas rare de voir l’été des familles choisir de passer quelques jours dans les environs, pour découvrir Locquémeau et son flambart !
Les sorties organisées par les associations permettent à ceux qui le souhaitent d’embarquer, généralement à la journée, pour s’initier aux manœuvres et apprendre à lire le paysage marin. Des sorties à thème sont parfois proposées; ainsi à Locquémeau des journées pêche en mer à la voile, tout comme à Saint-Cast où l’on retrouve les gestes de la pêche au chalut, mais où l’on peut apprécier également des itinéraires de découverte dans l’ancienne « rade de Saint-Malo ». An Durzunel participe, depuis maintenant plusieurs années, à une « marée de goémon », ainsi qu’à des sorties de « découverte du patrimoine maritime du Trieux » avec les autres bateaux de la flottille de l’École de mer.
La Pauline navigue quant à elle sous le statut de « navire à utilisation collective » (Nuc). L’association propose également des sorties à la journée et à la demi-journée, ou pour des week-ends, vers les îlots de la baie, voire les îles anglo-normandes. Dynamique et bien gérée, l’association maintient, elle aussi, un équilibre entre une activité culturelle — recherches sur l’armement morutier local, ateliers du patrimoine maritime pour les enfants… — et une activité commerciale permettant d’assurer le financement de son entretien et de constituer des réserves. Grâce à une meilleure organisation des sorties, le chiffre d’affaire a doublé en 1994 par rapport à la première année d’exploitation ! Cette même année 1994, une convention avec le centre nautique local a permis à la Pauline d’embarquer 457 scolaires en quatre mois de fonctionnement, souvent sous forme de sorties courtes (1h30) dites « baptêmes »; au total sur l’année, 1877 personnes ont embarqué lors de 191 sorties, sous la houlette du patron du bord, Nicolas Grekoff : une animation quotidienne pour le port qui, malheureusement, n’est pas accessible à toutes les marées!
Bibliographies et sources : A. Pâtis, Souvenirs de Marine conservés, relevés de 1866. A. Aubert, Le littoral de la France, 1884. J. Le Bot, Bateaux des côtes de la Bretagne Nord, 1976. M. Duédal, Hommes etfrimes de mer de St-Jacut, Le Chasse-Marée n°1, 1981. An Durrne4 lougre de Lopin Le Chasse-Marée, n°20, 1983. J. Guéguen, La Pauline de Dahouët, 1991. J. Raignant, Le quartier maritime de Lannion, 1992. C. Berrezai, Dossier d’étude du flambart de Perros-Guirec, 1991.